A bientôt j'espère

(To Chris M.)

mercredi 3 septembre 2025

Films préférés du XXIe siècle

 En vrac, sans ordre, avec des oublis surement


 


 

INLAND EMPIRE (David Lynch) 

Twin Peaks the return (David Lynch) 

My movie project (collectif) 

Bad Biology (Frank Henenlotter) 

Mulholland drive (David Lynch)

Song to song [Weightless] (Terrence Malick) 

Knight of cups (Terrence Malick) 

To the wonder (Terrence Malick) 

Voyage of time (Terrence Malick)

Steak (Quentin Dupieux) 

Suspira (Luca Guadagnino) 

Challengers (Luca Guadagnino)

Suite armoricaine (Pascale Breton) 

Illumination (Pascale Breton)

Lettre d’un cinéaste à sa fille (Eric Pauwels)

Les films rêvés (Eric Pauwels) 

Southland tales (Richard Kelly)

Incassable (M. Night Shyamalan)

Le village (M. Night Shyamalan)

Signes (M. Night Shyamalan)

Trap (M. Night Shyamalan)

Phénomènes (M. Night Shyamalan)

Les lois de l’attraction (Roger Avary)

Disneyland, mon vieux pays natal (Arnaud Des Pallières) 

Maniac (Franck Khalfoun)

Daughter of God (Gee Malik Linton) 

Il cartaio (Dario Argento) 

Dracula 3d (Dario Argento)

Occhiali Neri (Dario Argento) 

Giallo (Dario Argento)

Maps to the stars (David Cronenberg)

Les linceuls (David Cronenberg)

Aloha (Cameron Crowe)

Sub (Julien Lousteau) 

La La Land (Damien Chazelle) 

Primrose Hill (Mikael Hers) 

Montparnasse (Mikael Hers)

Memory Lane (Mikael Hers)

Le 15h17 pour Paris (Clint Eastwood)

Au-delà (Clint Eastwood)

The scary of sixty-first (Dasha Nekrasova)

Memoria (Apichatpong Weerasethakul)

Cemetery of splendor (Apichatpong Weerasethakul)

Le souvenir d'un avenir (Chris Marker et Yannick Bellon)

Chats perchés (Chris Marker) 

Coeurs (Alain Resnais)

Ceci n’est pas un film (Mojtaba Mirtahmasb, Jafar Panahi)

A.I. (Steven Spielberg) 

Twixt (Francis Coppola) 

Femme fatale (Brian De Palma) 

Passion (Brian de Palma)

Mission to Mars (Brian De Palma)

Domino (Brian de Palma)

Welcome to New York (Abel Ferrara)

Zeros and ones (Abel Ferrara)

Go Go Tales (Abel Ferrara)

Lucia et le sexe (Julio Medem)

I know who killed me (Chris Sivertson)

L’âge atomique (Héléna Klotz)

Le baiser (Ovidie) 

Un couteau dans le cœur (Yann Gonzalez)

Elixir (John B. Root) 

French beauty (John B. root)

24 heures d’amour (John B. Root)

Broadway Therapy (Peter Bogdanovich) 

Boarding School (Boaz Yakin)

Mektoub my love - intermezzo (Abdelatif Kechiche)

2046 (Wong Kar-wai)

Detective Knight – Independence (Edward Drake)

Cap Nord (Sandrine Rinaldi)

Wonder Wheel (Woody Allen)

Tra(sgre)dire (Tinto Brass)

Silent night (John Woo)

Boyka - Un seul deviendra invincible (Todor Chapkanov)

Frankenstein (Bernard Rose)

Chappie (Neil Bloomkamp)

Le conte de la Princesse Kaguya (Isao Takahata)

Rollerball (John McTiernan)

Les Chiens errants (Tsai Ming-liang)

Mercuriales (Virgil Vernier) 

Orléans (Virgil Vernier)

Il n’y a pas de rapports sexuels (HPG, Raphael Sibony)

La vengeance d’une femme (Rita Azevedo Gomez)

Lords of Salem (Rob Zombie)

Un film parlé (Manoel de Oliveira)

Le moral des troupes (Benoît Sabatier & Marcia Romano)

Oki's movie (Hong Sang-soo)

Le voyage du ballon rouge (Hou Hsiao-Hsien)

Stanley’s girlfriend (Monte Hellman)

Gods of Egypt (Alex Proyas)

A bread factory (Patrick Wang)

Esther 2 – les origines (William Brent Bell)

Annette (Leos Carax)

Valse avec Bashir (Ari Folman)

Silent Hill (Christophe Gans)

Under the silver lake (David Robert Mitchell)

Dans la ville de Sylvia (José Luis Guerin)

Stocker (Park Chan-wook)

American honey (Andrea Arnold)

Une journée d’Andrei Arsenevitch (Chris Marker)

Regard sur Olympia 52 (Julien Faraut)

Master and commander (Peter Weir)

Rock n’roll (Guillaume Canet)

Straight into darkness (Jeff Burr)

Indiana Jones et le royaume du crâne de cristal (Steven Spielberg) 

Requiem for a dream (Darren Aronofsky)

Mother ! (Darren Aronofsky)

Nope (Jordan Peele)

Mank (David Fincher)

Moulin rouge ! (Baz Luhrman)

Ted Bundy (Matthew Bright)

Didine (Vincent Dietschy) 

Seven Swords (Tsui Hark)

Silencio (F.J. Ossang)

Les intrus (Renny Harlin)

Cabin Fever 2 (Ti West)

World of tomorrow (Don Herzfeld)

Notre héritage (Jonathan Vinel, Caroline Poggi)

L'empire de la perfection (Julien Faraut)

Le Casse (Alex et Ben Brewer)

Le dos rouge (Antoine Barraud) 

La traversée du temps (Mamoru Hosoda)

Le souvenir d’un avenir (Chris Marker, Yannick Bellon)

Before sunset (Richard Linklater)

Retour à Kotelnitch (Emmanuel Carrère)

Watchmen (Zach Snyder) Director’s cut

Baadasss (Mario Van Peebles)

50 nuances de Grey (Sam Taylor-Wood) 

Eux et moi (Stéphane Breton)

Chez les heureux du monde (Terence Davies)

 

 

 

 

mardi 2 septembre 2025

SPIDER de David Cronenberg

 

 


 

« Le temps agrège les souvenirs aussi sûrement que le béton »

Spider, Patrick McGrath

Spider ouvre les années 2000 pour David Cronenberg. La décennie précédente a marqué sa consécration comme super auteur, et Cannes l’a récompensé d’un prix, celui du jury, pour un de ses plus beaux films, Crash. Fini les festivals de cinéma fantastique, désormais ses oeuvres sont présentées dans les festivals internationaux les plus prestigieux ; terminé également le label de réalisateur de films d’horreur – label que Cronenberg n’a jamais revendiqué. Les maquillages spéciaux se sont raréfiés pour une horreur plus mentale et les fastes baroques du « genre » ont laissé place à un style austère. Certains fans ont rejeté cette mue cohérente - il est évident qu’on a affaire au même cinéaste - mais de nouveaux spectateurs ont été séduits par ces cicatrices intérieures et ces constructions psychiques vertigineuses.

eXistenZ (1999) marquait son premier scénario original depuis Videodrome. Certains y voyaient la conclusion d’un cycle d’un réalisateur qui avait tout dit et nous livrait les dernières notes de son carnet à idées ; revers de la médaille, il était vraisemblablement condamné à se répéter. Sans doute en proie à ces mêmes interrogations, Cronenberg accepte de tourner une série de films qui paraissent, au premier abord, loin de lui. Il y a ce duo de thrillers, History of violence et Les promesses de l’ombre et avant, Spider.

Spider lui avait été proposé par l’acteur Ralph Fiennes et la productrice Catherine Bailey, sur un scénario de Patrick McGrath d’après son roman. Cronenberg disait pourtant détester qu’on lui soumette un projet avec un acteur attaché ; l’acteur étant son plus bel effet spécial, il était important pour lui de le choisir. Mais il trouve dans le script (1) des correspondances avec son cinéma : la conception mouvante du réel accentuée par la schizophrénie du héros, l’idée de faire jouer deux femmes par la même actrice, choix déjà présent dans son adaptation du festin nu (œuvre jumelle de Spider) et cette idée du double qui le travaille jusqu’à faire jouer son héros par deux acteurs (Ralph Fiennes et le petit Bradley Hall).  Bien qu’ils incarnent le personnage à deux moments de sa vie, les comédiens partagent régulièrement le plan. Il accepte donc de tourner Spider qui lui permet de rebondir sans devoir porter le poids parfois écrasant du super auteur devant chaque fois offrir à son public quelque chose de plus fort.

Est-ce parce que l’histoire de Spider s’articule autour d’une « scène primitive », ce concept freudien désignant le trauma indélébile de l’enfant voyant malencontreusement ses parents avoir un rapport sexuel, que le premier plan, l’arrivée d’un train en gare, cite une autre scène « primitive » pour le cinéma, L’arrivée du train en gare de la Ciotat ? Les wagons déversent un flot de passagers (pas loin d’une centaine – rarissime chez le cinéaste de voir autant de figurants dans un plan) qui savent où ils vont, tandis que descend, hagard, une silhouette dégingandée, le regard perdu, les traits tirés, vêtue d’un vieil imper, une petite valise à la main. Une fois le contemporain évacué du cadre, Cronenberg peut filmer frontalement cet homme perturbé et enquêter sur sa sexualité - au sens psychanalytique du terme. Et quoi de plus sexuellement cinématographique qu’un train entrant en gare ?

Le héros, Dennis, sorti de l’hôpital psychiatrique mais visiblement pas complètement guéri va errer dans les souvenirs de son enfance : sa mère aimée, son père glacial et coureur de jupon, un meurtre, une belle mère qui prend la place de la mère comme dans un conte, puis un autre meurtre. Cronenberg ne distingue pas les flash-backs des scènes au présent, les deux temporalités se confondent jusqu’aux décors identiques :  pavillons en brique de cité ouvrière, ruelles pavées, papiers peints vieillots, journaux jaunis au fond des commodes, et surtout cet extraordinaire gazomètre, réservoir de gaz géant serti de treillis en fer forgé qui obsède notre héros (2). Nos enfances sont marquées par ces lieux en Scope qui paraissent ridiculement petit quand nous les revisitons adulte ; dans Spider, Cronenberg parvient à leur donner l’intensité des origines.  

Le héros vit en effet dans son passé comme si le temps n’avait pas fait son œuvre. Ralph Fiennes est spectateur des scènes de l’enfance, il regarde le petit garçon qu’il était (re)vivre les scènes. On ne saura jamais si ses souvenirs sont réels ou si ce sont des constructions mentales (il y a de nombreux moments qu’il ne peut avoir vu puisqu’il en est absent). « Rien n’est vrai » disait l’accroche du Festin nu, ici, potentiellement, « rien n’est faux » mais il y a un pas à franchir pour discerner le réel de sa recréation. Cette confusion des souvenirs et leur véracité contraste avec un film tout sauf nébuleux. On peut même dire qu’il est d’une littéralité surprenante : le héros est surnommé Spider par sa mère qui lui raconte une histoire d’araignée tandis qu’il élabore une toile géante avec des fils dans sa chambre (attention, métaphore !). Quand le père, plombier, visite sa maîtresse Miranda Richarson tout en regard de braise, il s’en suit un dialogue à base de tuyau à déboucher avec son gros outil qui se prolongera jusqu’à la scène suivante. On saura même à la fin d’où vient sa hantise du gaz et il y aura une résolution à l’énigme originelle – résolution qui semble tout droit sortie d’un giallo. Vous souvenez-vous de l’illustrateur Edward Gorey et de ses dessins en noir & blanc mettant en scène des morts d’enfants avec une ironie très britannique – bien qu’il fût américain ? Spider semble souvent retrouver l’essence de cette poésie macabre et très drôle !

L’histoire qui nous a été racontée est-elle vraie, en a-t-on a appris plus sur notre anti-héros englué dans la toile des souvenirs comme Gregoire Samsa se débattait grotesquement sur le sol de sa chambre-prison ? Spider s’était ouvert avec Dennis qui entre en scène, celle de la mémoire, il se referme avec ce même Dennis qui repart en hôpital psychiatrique. Mais peut-être rejoint-il simplement le monde réel et abandonne le cinéma, après s’être fait une toile.   

 

(1)   (1)  Dans le roman, on apprend que le personnage principal a passé une partie de sa vie au Canada, cela a peut-être interpellé le réalisateur. Les extérieurs ont été tournés en Angleterre, les intérieurs à Toronto, comme souvent chez le cinéaste.

(2)    (2)  A propos d’un autre David fameux, Lynch, Spider a quelque chose de l’esprit de Eraserhead : même héros à la mine fermée et à la gestuelle gauche, même drama familial transformé en cauchemar poisseux et onirique par la mise en scène, obsession pour des éléments invisibles (électricité / gaz).

 

lundi 1 septembre 2025

SICARIO de Denis Villeneuve

 

 


En 2015, la sortie de Sicario fit l’effet d’une déflagration dans le monde du cinéma d’action, pour au moins deux raisons.

Déjà, il a marqué la naissance d’un scénariste génial, Taylor Sheridan, qui allait devenir le grand conteur de notre temps (les séries Yellowstone, 1883). C’est son premier scénario porté à l’écran. L’ancien acteur, vu dans la série Sons of Anarchy, tisse une histoire d’affrontement entre forces de l’ordre et narcotrafiquants à la fois classique en surface et foncièrement retorse dans sa manière d’en garder sous le coude pour dévoiler des cartes du récit jusqu’alors cachées. L’introduction, avec la découverte de cadavres enterrés dans les murs d’un pavillon puis, alors qu’on croit la scène terminée, une explosion soudaine qui laisse l’héroïne sonnée, annonce le motif esthétique du film. Sheridan a enchainé ensuite plusieurs autres scénarios remarquables qui prenaient le pouls de l’Amérique profonde: Comancheria, Wind River (qu’il a réalisé) et la suite inattendue – mais réussie – de Sicario (La Guerre des Cartels). Depuis, ce pourvoyeur d’histoires œuvre essentiellement dans l’univers de la série télévisée, comme si la durée limitée du cinéma ne suffisait plus à contenir ses envies proliférantes de personnages et de portraits diffractés du pays.

Ensuite, Sicario a confirmé au centuple les espoirs placés dans le canadien Denis Villeneuve. Il était déjà l’auteur de plusieurs films importants et bigarrés, de Incendies d’après le dramaturge Wadji Mouawad au thriller Prisoners, en passant par le terrifiant et réaliste Polytechnique. Mais avec ce film, Villeneuve affirme son talent avec l’assurance de l’artiste en pleine conscience de la totale possession de ses moyens, revendiquant pleinement sa dimension « B », décentrant légèrement la perspective (il est québécois alors que Sheridan est un pur texan) tout en donnant à l’ensemble une certaine sophistication – le film sonne comme une tragédie antique et le théâtre n’est pas si loin dans la façon dont les personnages sont dépeints, qu’ils soient fougueux (Josh Brolin), marmoréen (Del Toro) ou transi (Blunt). Plusieurs années avant le diptyque Dune, Villeneuve démontrait déjà une maestria à filmer les déserts - celui de la frontière américano-mexicaine et un génie formel dans la dépiction charbonneuse des guerres pour le contrôle, non de l’épice, mais de la cocaïne, ce qui est tout comme. Il filme ce western urbain comme il filmera plus tard ses films de science-fiction, captant les frictions entre des mondes lointains. Les différentes factions en présence (FBI, barbouzes de la CIA, trafiquants) sont figurées telles des peuplades venant de différentes planètes. Avant de les éloigner dans ses films postérieurs, Sicario les rassemblait sur une même bande géographique étroite, et le péage entre le Mexique et les États-Unis semblait jouer le rôle d’une quelconque frêle barrière d’astéroïdes. Sicario a beau se dérouler essentiellement sous un soleil brûlant, sa grande scène d’action finale est, elle, filmée dans une nuit noire comme le cosmos à travers les objectifs de caméras thermiques transformant l’image en une soupe verdâtre de pixels agités. Et le spectateur de découvrir les yeux dessillés ce monde avec l’impression d’être un témoin privilégié à qui on montrerait en avant-première une galaxie lointaine.