A bientôt j'espère

(To Chris M.)

lundi 20 décembre 2010

Farewell to life


Jean Rollin a rejoint le monde des rêves.

Ce photogramme date de 1958. Il est tiré de son premier court-métrage, LES AMOURS JAUNES, mise en images d'un poème de Tristan Corbière, "poète maudit" selon le mot de Verlaine.

« Se mourant en sommeil, il se vivait en rêve.

Son rêve était le flot qui montait sur la grève,
Le flot qui descendait ;
Quelquefois, vaguement, i se prenait attendre…
Attendre quoi… le flot monter – le flot descendre-
Ou l’Absente… Qui sait ? »
Le poète contumace in Les amours jaunes

Tout son univers à venir était là : une silhouette de femme sur une grève, entre ciel et terre, entre rêve et réalité.

Cinéaste d'un autre temps (d'une autre dimension devrait-on dire), Rollin aura pourtant tourné - et écrit- jusqu'en 2010. En septembre dernier, il présentait son dernier film, Le Masque de la Méduse à la Cinémathèque Française. Cinquante deux ans de carrière d'une oeuvre dense et cohérente, à la fois impressionnante par son souci de rester à tout prix sur le même terrain de jeu imaginaire, et parfois frustrante, pour les mêmes raison. La marque des grands artistes est de savoir avec l'âge s'ouvrir au monde en gagnant  en limpidité et en assurance. Rollin lui se sera obstiné sans jamais rien abandonné à quiconque mais sans vraiment parvenir non plus à élargir son imaginaire. Il resta ainsi fidèle à la plupart de ses lieux de tournage sans et cette plage de Pourville sera arpentée tout au long de sa filmographie.



Une fois pourtant Rollin aura quitté la France pour aller voir ailleurs, c'était dans PERDUES DANS NEW YORK. Le film commence bien sur cette plage mais se déplace bientôt au gré des rêves de ses héroïnes vers la ville aux grattes ciels géants. L'irruption de ces monolithes tendus vers le ciel apporta verticalité à une oeuvre essentiellement horizontale (la plage, la mer, la grève, les ports). Débarassé de toute intrigue ou presque, ce poème émouvant constitue parmi ce que Rollin a fait de plus impressionnant. Laissant la voix off (celle de Rollin) divaguer au gré des souvenirs, les images forment une narration plus métonymique qu'illustrative. On n'est pas loin de SANS SOLEIL de Chris Marker, autre arpenteur de l'imaginaire, de la mémoire, et de la Planète Terre.



Une créature sur une plage californienne dans Junkopia (Chris Marker)

Et puis PERDUES DANS NEW YORK contient ce moment de grâce, cette scène où les deux petites filles lisent un livre illustré tandis que l'un d'entre d'elle, des années plus tard, dit ceci en off:

« La déesse lune nous emportait à l’intérieur de l’album,
Ouvert sur nos genoux,
Le livre devenait un écran de cinéma, l’écran du rêve
Nous étions en voyage, là où on ne va qu’en passant de l’autre côté du miroir
Là où sont parties les jeunes filles disparues du Picnic à Hanging Rock
Où Errol Flynn emporte Micheline Presle à la fin de la Taverne de la Nouvelle Orléans,
Où va la barque qui emmène Stewart Granger au large de Moonfleet
Nous allions là où se dirigent, par les toits, les enfants insurgés de Zéro de Conduite
Où les colombes des Yeux sans visage guident Edith Scob
Où dansent les amants de Dark Passage au bout de la route qui entrainent Chaplin et Paulette Godard loin des Temps modernes
C’était nous la jeune fille à l’ombrelle blanche qu’Everett Sloane ne fait qu’entrevoir dans Citizen Kane
Nous étions toutes les petites filles de la photo de Mortelle randonnée
La fleur étrange qui pousse là où sont morts Jennifer Jones et Grégory Peck dans Duel au Soleil
Nous étions à l’intérieur de la boîte à musique de La Morte Vivante
Sur le viaduc abandonné où errent les amants au cerveau détruit de La nuit des Traqués
Cachés dans l’horloge du Frisson des vampires qui s’ouvre au douzième coup de minuit
Derrière le rideau de théâtre de La Vampire nue
C’est nous que regarde au-delà des grilles qui l’emprisonnent la petite asiatique des Trottoirs de Bangkok
Nous qui faisons valser sur le pont levis les jeunes filles 1900 de Fascination
Héroïnes de tous les feuilletons, de tous les serials, de tous les épisodes, nous partions à la recherche de l’Ile de King Kong qui dissimule le fantôme de l’opéra, Balaoo, le mystérieux Docteur Satan, la Reine des jungles, Monsieur Lange et Arizona Jim, Rocambole et Sir Williams »

samedi 18 septembre 2010

Le masque de la méduse (Jean Rollin, 2010)

La Méduse par le Caravage
Lorsque L'amant de Jean-Jacques Annaud sorti en salles, Serge Daney se demanda pourquoi le producteur Claude Berri ne donna pas en parallèle quelques sous à Marguerite Duras pour qu'elle filme sa version de son roman. Son film n'aurait pas coûté très cher, et le double programme aurait été une mine d'informations pour les étudiants en cinéma.

En début d'année, on a vu Sam Worthington affronter la gorgone Méduse dans Le Choc des titans, le temps d'une scène mémorable dans un film qui ne l'est pas. Hier soir, même scène à la cinémathèque mais vu par l'oeil de Jean Rollin (dont le premier film, inachevé, L’tininéraire marin, était dialogué par Duras, tout se recoupe) avec Jean-Pierre Bouyxou dans le rôle de Percée, et Simone Rollin (femme de -) dans celui de la Méduse. Le budget du Masque de la Méduse, titre en hommage au fanzine fameux d'Alain Petit, doit à peine représenter celui de l'animation d'une seule des tentacules en CGI dans le film de Louis Leterrier.

Rollin transpose les aventures des trois gorgones (Méduse, Stenoh, Euryale) dans un théâtre de Grand Guignol reconstitué à Paris. Outre les trois sœurs s’affrontant, trois hommes hantent ce théâtre : un nain, un collectionneur des victimes de Méduse transformées en statues, le veilleur du théâtre a.k.a Persée. Quarante ans de carrière et rien ne change chez Rollin ou presque. Dialogues alambiqués, incongruité générale des situations, acteurs pour la plupart statiques et empruntés hormis les deux comédiennes incarnant Sthéno et Euryale, Sabine Lenoel et Marlène Delcambre, et Bertrand Charnacé qui sont très biens. Rien ne change et pourtant le film est très différent de ses autres : c'est son oeuvre le plus raide, la moins poétique, surement la plus difficile d'accès. Et reconnaissons que nous sommes restés de marbre devant celle ci. Reste néamoins quelques beaux comme décor comme l'Aquarium de la Porte Dorée où l'ouverture a été filmée.

Sabine Lenoël dans le rôle de Euryale. La photo vient du site de la comédienne : http://sabine.lenoel.online.fr/
A la première partie « volontairement théâtrale » (selon les mots du réalisateur dans sa présentation), Rollin a ajouté un codicille quasi comique voyant Stheno faire visiter à une jeune femme son caveau au Père Lachaise. Cette partie est plus dans le style du Rollin que l'on connait, avec crypte démoniaque, jeunes filles en fleur somptueusement dénudées (ah mon Dieu, les fesses rebondies de la jeune visiteuse sont à se damner!). Dialogues humoristiques, situations moqueuses, Rollin avait rarement fait preuve d’autant d’auto dérision.

vendredi 17 septembre 2010

Hot Dreams : les deux tours

Difficile de ne pas être ému devant la dernière scène de HOT DREAMS. Oui, j’ai bien dis « ému ».

Porno de la fin de l’âge d’or, tourné en 1983, ce film signé Warren Evans (Shaun Costello) sera son dernier. C’est sous le signe de cette finitude qu’on le revoit aujourd’hui, comme on regarde les dernières scènes des derniers films tournés par les grands réalisateurs, espérant y déceler - sans doute à tort - la prise de conscience de l’artiste mettant un point final à son œuvre. Analyse infondée quand on se place du point de vue de la création (Costello devait réaliser un autre film après, mais il sniffera le budget en cocaïne), mais analyse obligé du spectateur cinéphile cherchant partout des signes évocateur de cette chose aussi indicible que Dieu qu’est l’Art - pour aller vite.

En l’état, Hot Dreams n’est peut-être pas le chef d’œuvre ultime de Costello, mais c’est une production soignée contenant son lot de plaisirs scopiques. On y trouve un des sommets de son cinéma avec la séquence située dans un salon de massage où un porteur de serviettes à la mulette blonde décolorée (une vision de l’horreur) s’occupe de l’androgyne Sharon Mitchell, de la blondinette élancée Joanna Storm et surtout de la généreuse Ana Ventura ici totalement survoltée.

Mais surtout il y a cette fin troublante. En termes de sexe, la scène n’est pas particulièrement géniale, il s’agit d’un plan échangiste à quatre sur un bateau traversant la baie de New York. Mais au moins trois choses retiennent l’attention :1- la musique. Mettre l’atmosphérique Ommadawn de Mike Oldfield sur une scène de sexe crée un contraste saisissant : on perd en désir ce qu’on gagne en sentiment du temps qui passe 2. L’espace. Dans des films où les scènes de sexe sont à 90% tournées dans des lofts, voire une scène de sexe en plein air surprend. Mieux il y a dans l’organisation des plans un soin à rendre les éléments présents : l’eau, la terre (la ville au loin), le vent (on voit vraiment le vent dans les cheveux des acteurs)… quant au feu, c’est Sharon Mitchell qui le possède ! 3. L’Histoire. En arrière plan, on ne voit que ça : les deux tours du Word Trace Center. Est-ce notre regard qui est devenu plus attentif à ces tours ? En tout elles sont au centre de chaque plan. Comme les vestiges d’une époque disparue. Il y vraiment dans cette scène la captation d’une parcelle de temps. Et c’est inestimable.

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On a demandé à Shaun Costello son avis sur ce film, voici ce qu’il nous répondit, ce jour, par mail :
« Hot Dreams n’est pas un de mes films les plus réussis pour deux raisons. D’abord je prenais tellement de cocaine que mon cerveau ne fonctionnait plus correctement. Ensuite, je ne m’occupais plus de la post-production. Sur mes deux derniers films Hot Dreams et Heaven’s touch, j’ai engagé Ron Dorfman pour les filmer et les monter. Sa photographie, sans être spectaculaire, était correcte, mais il n’avait aucun sens du rythme en terme de montage. La scène du dîner dans Hot Dreams en est l’illustration. C’est la seule scène du film que j’ai eu du plaisir à écrire, et je la voyais comme un exemple de théâtre de l’absurde. Ron n’a jamais compris qu’il fallait que les réactions soient rapides pour que la scène fonctionne, donc, au lieu d’être drôle, la scène était juste plate et ennuyeuse. Je n’ai pas non plus choisi les musiques de ces films. Ron a simplement utilisé des morceaux que j’avais déjà mis dans mes films antérieurs, pensant que le résultat ressemblerait à ce que j’avais fait avant ».

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Hot Dreams est disponible en DVD en Import, chez Pink Flamingo Entertainment.
http://www.pinkflamingoentertainment.com/

mercredi 15 septembre 2010

Informers

Sortie aujourd’hui en dvd et blu-ray de INFORMERS d’après Bret Easton Ellis (ouvrage sorti en France sous le titre Zombies). Présenté il y a deux ans à Sundance, le film sort en France directement en vidéo après avoir un reçu un accueil désastreux à peu prêt partout où il a été présenté.
Bret Easton Ellis, dans l’actualité pour la sortie de son nouvel ouvrage Suites impériales, se répand depuis en mal sur l’adaptation filmique reprochant au cinéaste et au producteur de n’avoir rien compris au projet. Ellis est, pour la première fois, l’auteur de l’adaptation de son ouvrage avec le jeune scénariste Nicholas Jarecki. Visiblement Jarecki devait aussi réaliser le film avant d’être débarqué pour être remplacé par Gregor Jordan, australien spécialisé dans les films qui ne sortent pas en salles (Two Hands, Unthinkable - qui sort aussi ce jour en dvd). L’intrigue avec les vampires aurait été coupée à la dernière minute ainsi que plusieurs passages qui tenaient à cœur à l’écrivain.
Voici ce qu’il déclarait il y a quinze jours aux Inrockuptibles :

“Mais je vais tellement mieux que la dernière fois qu’on s’est vus… A l’époque, j’étais encore profondément déprimé, j’étais en thérapie, et le film The Informers, adapté de mon recueil de nouvelles Zombies et dont j’avais écrit le scénario, devait sortir et ne me plaisait pas du tout. Je me souviens exactement du moment où je suis sorti de la dépression : c’est en allant seul à la première de ce film en avril 2009. Ma famille et mes amis étaient là. J’étais au bar avec eux et, brusquement, j’ai lâché prise, je me suis laissé aller, j’ai réalisé que c’était ridicule d’être malheureux à cause d’un film".
Heureusement que le résultat jugé désastreux  a eu des vertus thérapeutiques et lui a permis de devenir philosophe ! 

The INFORMERS est pourtant à nos yeux une réussite. C’est un document passionnant sur ce qu’étaient les années 80. Référence surprenante, le producteur Marco Weber présente comme référence majeure Le Jardin des Finzi-Contini, le film.

Gregor Jordan n’est pas Roger Avary (réalisateur du définitif Lois de l’attraction) mais réussit pas mal de choses, notamment des plans comme ça, digne d'une peinture pop art:



Jordan réussit aussi, involontairement mais après tout cela reste remarquable, un documentaire glaçant sur l'acteur Brad Renfro, dans son dernier rôle avant son suicide. il y incarne un acteur au chômage gagnant sa vie comme portier de nuit dans un hôtel.

Dans sa scène de confession, il dit ceci :
"Je suis acteur.
J'ai fait une pub pour des chewing-gums.
Et aussi une autre pour Clearasil.

C'est vraiment dur comme métier.
On peut pas y arriver ici si on n'est pas prêt à tout".

Quelques mois plus tard, l'ex-enfant star Brad Renfro mettait fin à ses jours (le film lui est dédié).

Comme disait Chris Marker dans Le fond de l'air est rouge , "On ne sait jamais ce qu'on filme". Le Temps fait son travail, et le passé vu du futur devient soudainement toute autre chose. Le scène de fiction s'est transformée en un document du temps présent, celui d'un instantané sur un homme en perdition.




Classe ultime, Jordan a gardé le meilleur pour la fin. Difficile de ne pas être bouleversé par la dernière séquence dans laquelle un des personnages vient voir sa compagne en train de mourir au soleil, d’une maladie encore non identifiée, le Sida. Tous les personnages ayant couché les uns avec les autres, le garçon est vraisemblablement condamné aussi, de même que la plupart des autres personnages du récit. Mais personne ne le sait encore.

Le ciel est bleu mais les nuages pointent leur nez. Le Soleil va bientôt disparaître. Seule une mouche posée sur la peau en cours de nécrose de la jeune femme évoque un avenir tâché.


Une jolie fille en bikini, la plage. Ou comment une image d'Epinal du Bonheur se transforme en vision terrible du purgatoire.

mercredi 8 septembre 2010

Mannequin


Photos de Lydie Bee

mardi 7 septembre 2010

Witchcraft Street

Lu hier soir, avant de m’endormir, p.134-135 :

« Les Tziganes furent persécutés, en France et ailleurs, de façon sauvage, maladroite, imbécile et cyclique. Presque autant que les juifs. A Paris, on les parqua, de siècle en siècle, hors des limites successives de la Ville. Les Etats d’Orléans, en 1560, les condamnèrent au bannissement, sous peine de la hart ou des galères, s’ils osaient reparaitre. Soufferts dans quelques contrées que divisait l’hérésie, chassés en d’autre lieux comme descendant de Cham, inventeur de la magie, ils ne paraissaient nulle part que comme une plaie.
Ce sont les gens assoiffés de merveilleux qui osaient aller à leur rencontre au-delà des barrières et des murailles. De nos jours, il en existe d’ « honorables », d’ « assimilés » - quel affreux mot !- et soucieux de cacher soigneusement leurs origine, sauf à ceux dont ils savent – dont ils ressentent – qu’ils leur apportent une sympathie spontanée ».

Jacques Yonnet, Rue des maléfices.
Phébus Libretto.

Merveilleux livre narrant la vie du narrateur entre 1941 et 1955, poète pilier de barre, explorant un Paris magique, celui de la rive gauche entre Maubert (« la Maube ») , Cluny et Saint Michel. Rencontre de personnages pittoresques, récits fantastiques, le « présent » d’un Paris sous l’occupation se mêle aux histoires d’un Paris moyenâgeux.


La rue des maléfices dans Paris, désormais rue Xavier Privas

Electroma 70

Je n'ai pas encore vu "Le monde sur un fil" de Rainer Werner Fassbinder. Mais ces deux photos pré Daft Punk donnent envie.


Réalité Alternative

Lu ce mois-ci dans POLKA N°10, cette histoire relatée par Alain Genestar, à son invité le photographe Peter Lindbergh. Il cite une parabole de Roger Thérond, patron de Paris Match pendant des années, pour convaincre des investisseurs.

A l'heure des Firewall, comment fait-on pour brûler les pages de l'Internet ?
« Il était une fois au début du XXI ème siècle, un monde où la pate à papier n’avait jamais été inventée. Les gens lisaient sur des écrans, les articles, les livres, et regardaient les photos. C’était bien, mais parfois, les écrans tombaient en panne, les piles s’usaient, les reflets empêchaient de bien lire et. Et puis, deux étudiants californiens, Bill et Paul, ont inventé dans un garage de la Silicon Valley, la pâte à papier. Quelques mois plus tard est arrivé sur le marché un objet extraordinaire. On pouvait le feuilleter, le lire debout dans le métro ou sur une plage, le regarder en plein soleil, le rouler pour le glisser dans sa poche ou dans un sac, l’oublier sur un banc, découper ou arracher une page, le sentir, le toucher…. C’était l’invention du magazine. Et c’était le progrès, puisqu’il venait de naître ».

mercredi 1 septembre 2010

samedi 28 août 2010

Odyssey – the Ultimate Trip (1977)



Certains aficionados du porno américain des années soixante dix ont parfois reproché à Gerard Damiano son infatuation galopante qui parerait ses films d’une prétention terminale. Nous ne faisons pas partie de cette caste de jaloux, au fond des déçus de voir l’objet de leur passion soudainement accaparé par la critique traditionnelle d’alors et le grand public qui ne daigne pas s’intéresser au genre par ailleurs- mais si ceux là devait brandir un film de lui pour illustrer leur ire, ce Odyssey – The Ultimate Trip pourrait constituer un bon objet du délit. Damiano n’a en effet jamais été plus expérimentateur que sur ce film.



L’entrée en matière est évocatrice du niveau d’ambition du projet. Il s’inscrit à l’écran, en trois temps, l’incipit suivante : “In The Beginning we are born / The Middle is called life / In the End we die”. Puis apparaît le titre, si simple et si beau dans sa capacité à ouvrir magiquement, dès qu’on le murmure intérieurement, les portes de l’Imaginaire, « Odyssey »… Sans surprise, le film se découpe en trois parties indépendantes illustrant, à priori, la triple accroche de l’ouverture. A priori seulement, Gerard Damiano étant plus malin que ça et à l’intérieur de chacune des parties, il introduit des ruptures et des bifurcations rendant le spectacle sans cesse déstabilisant pour le spectateur et impossible à assigner à son concept apparent.



Partie 1. Le récit débute par une très longue scène de dialogue dans un night club où deux couples se retrouvent. Les spotlights créent sur les danseurs s’agitant sur le dance floor des effets psychédéliques donnant vraiment l’impression que nous sommes déjà dans le trip du sous-titre. Autour de la table, Richard Bolla et son épouse incarnée par la blondinette Nancy Dare, et leur couple d’amis, l’étrange Michael Gaunt (American Babylon de Roger Watkins) et Crystal Sync (affublée d’une coiffure atroce) tous deux dans une participation non hard. Pendant que les femmes sont aux toilettes, Richard Bolla se plaint auprès de son ami de ses relations avec sa femme avec qui ne le sexe n’a plus d’intérêt (sa femme faisant le même constat en parallèle). Son ami lui explique que son couple a connu une impasse similaire avant de se retrouver, suite à leur visite chez une certaine Madame Zenobia. Tenancière de Maison Close ? Psychiatre ? Qui est réellement cette dame ? Avant de répondre, Damiano, toujours dans cette volonté de perturber le système du film, intercale une séquence étrange dans laquelle Bolla filme sa femme avec du matériel vidéo, un moniteur dans la pièce retransmettant les images en direct. Son épouse s’empresse de le chauffer crument (masturbation, insultes) à son grand désarroi. Désarçonné, il la gifle, et choqué par son geste, vient immédiatement la prendre dans ses bras pour la consoler. Second mouvement du récit avec Bola s’introduisant dans le bordel de Madame Zenobia, il visite le lieu, rempli de créatures langoureuses. Affublée d’un masque, sa femme est en retrait, regardant son mari déambuler. Celui s’arrête dans une pièce pour regarder Sharon Mitchell, déguisée en homme, faire l’amour avec un homme déguisé en femme, tandis qu’une autre prostituée pratique une fellation sur un homme. Cut. Bolla portant un masque transparent et sa femme dotée du même masque, nus, sont allongés sur un grand carré lumineux située au milieu d’une pièce noire font l’amour sans se pénétrer. Fin de la partie 1. Etrange segment, énigmatique, qui fonctionne sur des motifs obsédants. Un écran de TV en noir et blanc parasité par le balayage vidéo / des masques inquiétants / des pipes interminables / un grand espace cosmique troué par la lumière éclatante du « lit » conjugal semblant sortir de la séquence finale 2001, l’Odyssey de l’Espace. Le passage d’une séquence à l’autre est brutal et n’est pas provoqué par un système de cause à effet, en tout cas celui-ci est beaucoup moins évident que ce qu’on pourrait supposer de prime abord. Les scènes sont comme des blocs, quasiment imperméables entre eux. Le seul ciment qui les lie vraiment, c'est l’imaginaire du spectateur en ébullition.


Partie 2. Un segment central se déclinant en trois histoires. Une psychiatre (ou ce qu’on croit comprendre comme telle) reçoit chez elle des femmes qui exposent leurs névroses ou leurs aventures, montrées en flash-backs. La belle Samantha Fox raconte sa découverte du désir lorsqu’elle entendit sa sœur coucher avec son petit ami, dans une chambre contigüe. Belle scène tournée dans une obscurité pesante d’où n’émergent que des parties des corps. Ensuite une femme divorcée expose ses désirs crus qu’elle assouvit dans des coups d’un soir (Philip Marlowe, l’inspecteur de Water Power). Troisième et derniers récit, Gloria Leonard, hardeuse et éditrice de la revue porno High Society, parle de ses envies homosexuelles évoquées dans une séquence sensuelle et délicate. C’est la partie la moins expérimentale du tryptique mais c’est aussi la plus délicate, celle où le désir est capté dans toute sa simplicité.



Partie 3. La plus longue, un film dans le film. Elle est centrée autour d’un personnage de modèle, incarnée par la mélancolique Susan MacBain (actrice séduisante ayant souvent héritée de seconds rôles). L’ouverture est ultra réaliste lorsqu’on la suit, du lever du jour sur New York, à ses déplacements dans la ville. Première étape : un casting pour un film érotique dans lequel est doit se déshabiller de façon humiliante sous les ordres du réalisateur (Damiano hors champ). Ensuite session photo SM. Retour à la maison où sa mère a laissé sur son répondeur plusieurs messages éplorés et égoïstes où elle demande à être rappelée sans prendre de nouvelles de sa fille. Le décor de l’appartement ressemble à celui d’un film de science-fiction. Damiano confère aux objets de la vie quotidienne une présence suffocante (cf. les plans insistants sur le gigantesque répondeur téléphonique). C’est l’heure de rejoindre le monde des rêves le temps d’une séquence onirique musclée (avec la fine fleur du hard new-yorkais Vanessa Del Rio, C.J. Laing et les regrettés Wade Nichols et Bobby Astyr). Réveil de l’héroïne. Séance de rasage (le péché mignon de Damiano). Nouveau rêve pour une scène d’amour à deux plus tendre cette fois ci. Réveil. Dépression, suicide. Radical. Ce moyen métrage est une sorte de remake à l’envers de Devil in Miss Jones et peut-être ce que Damiano a filmé de plus beau. L’isolement, la frustration, la sensation d’être une coquille vide et de ne plus avoir de rapport au monde. Le cinéaste évoque toutes ses sensations avec acuité.



Film quasi Lynchien avant l’heure, Damiano tord le réel aussi bien en introduisant des séquences oniriques puissantes qu’en filmant de façon ultra stylisé l’ameublement d’un appartement. Mais le réel, il s’attache aussi à le filmer de la manière la plus frontale qui soit, que ce soit dans une discussion sur le couple, la vision de la ville au petit matin, le récit d’un souvenir sexuel ou une audition dénuée du moindre érotisme. Ce film-collage rythmée par une BO easy listening entêtante a l’ambition de filmer les hommes et les femmes comme des entités mystérieuses, fascinantes et inexplicables. Pour cela, il n’utilise pas les moyens de la psychologie et des ressorts narratifs. Comme un peintre abstrait, il privilégie une approche kaléidoscopique en ne s’interdisant aucune technique pour transmettre telle ou telle émotion. Aussi composite soit-il, Odyssey garde une unité générale saisissantes grâce à ce quelque chose qu’on appelle « mise en scène ». Chef d’œuvre.


DVD Wild Side / Vost et Vf (doublage honorable). Suppléments : interview carrière avec Sharon Mitchell, complète et passionnante.

(merci à Cédric Landemaine)




Répondeur et téléphone circa 1977

mardi 24 août 2010

Shaun Costello

Cet article a été publié dans Brazil de Février 2010. En voici une version légèrement modifiée.


42e Street

Shaun Costello sur le tournage du Miroir du Pandora (photo de Maryse Alberti)
42e rue, rue mythique. Celle des théâtres et des enseignes lumineuses, la rue du spectacle, de la fantaisie, mais aussi la rue du stupre et de la luxure. La rue (et le quartier) prendra différents visages au cours du siècle, jusqu’à celui, ripoliné et attractif pour les touristes, mutation voulue par l’ancien maire Rudoph Giuliani. Mais le plus fameux visage de la rue pour les amateurs de bizarreries reste celui de la période 60-70. Pas besoin de machine à remonter le temps pour percevoir l’ambiance de la ville à cette époque. Il suffit d’enclencher le dvd de Taxi Driver. Souvenez-vous. Robert De Niro arpentant les rues jonchées de prostituées, de macs en tout genre, de sex-shops, de peep-shows, d’hommes voûtés marchant à la recherche de plaisirs insolites, honteux et inquiets à la fois, de porches crasseux, de ruelles inquiétantes, de marchands de hot-dogs graisseux, des Döner kebabs tournant à plein régime, d’odeurs d’essence, de taxis jaunes, d’enseignes lumineuses clignotant comme des phares au milieu de la nuit pour obsédés sexuels en perdition dans une mer de possibilités. 42e rue, le rendez-vous des pervers, des frustrés, des curieux, des accrocs sexuels, des somnambules…
Entre les sex-shops, les hôtels de passe ou les théâtres pornos avec performances live se tiennent les salles de cinéma - ou Grindhouses - aux lumières clignotantes affichent leurs programmes xxx. Il y a le Capris, le Rialto, le Club, le Cameo, le Doll, l’Avon 7, le Paris, le Bryant, l’Avon 42e, le Park Miller ou l’Avon Hudson (tous ces derniers faisant partie du groupe Avon, ensemble de salles de cinéma, célèbre dans les années soixante pour avoir diffusé la fine fleur de l’underground new-yorkais) C’est l’époque des films tournés sur pellicule, le plus souvent 8mm, des moustaches pour les hommes, des pilosités assumées pour les femmes. Les hardeurs se nomment Harry Reems, Jamie Gillis, Eric Edwards, Marc Stevens… Les filles Marlene Willoughby, Tina Russell, Vanessa Del Rio, Annette Haven, C.J. Laing… Pas des beautés fatales selon les critères actuels, mais des jeunes femmes naturelles et délurées, avec des physiques loin des stéréotypes qui ont ensuite appauvri le genre.
Parmi ces pourvoyeurs de pelloches érogènes, l’un des plus prolifiques - et surtout des plus talentueux - s’appelle Shaun Costello. Son nom est inconnu du public puisqu’il utilise - quand les films sont signés- différents pseudonymes : Warren Evans, Oscar Tripe, Amanda Barton, Helmut Richler, Russ Carlson et bien d’autres. Ces noms d’emprunt ne cherchent pas à masquer la honte d’un réalisateur frustré de ne pas tourner de « vrais » films et faisant du porno pour payer ses factures. La preuve, il apparaît dans ses films (et ceux des autres) en tant qu’acteur. Obsédé sexuel et amateur de cinéma, Costello tournera une centaine de films en tant que réalisateur et jouera dans au moins autant entre 1968 et 1983. Simplement, Costello ne veut pas être considéré comme un spécialiste incontournable du genre. Il a donc choisi de dissoudre son identité réelle derrière des identités fictives.


Youthfull years

Costello est né à Forest Hills Gardens en 1944« petite communauté, incestueuse, en partie fermée, à côté du Queens, à environ quinze minutes en métro du centre de Manhattan ». (1). Shaun Costello reçoit une éducation catholique rigoureuse. A douze ans sa vie bascule lorsqu’il découvre soudainement quelques parties intimes de son corps. Jusque là rien d’original. Sauf que cette recherche du plaisir va devenir dévorante. A la fin des années soixante, une fois diplômé, Costello devient rédacteur à « Careers For a College Man », une revue d’annonces professionnelles destinée à mettre en relation les jeunes diplômes avec des recruteurs en entreprise. Mais Costello passe son temps libre à écumer la 42e rue et ses environs, à traîner dans les sex-shops et surtout dans les salles de cinéma diffusant des « loops » (ou « Stags »). Les loops étaient des courts-métrages, muets, dotés d’une histoire prétexte pour montrer des accouplements. On trouve autant de loops que de pratiques sexuelles : SM, bondage, bi, black, asiat… Fasciné par le spectacle, Costello rêve lui aussi de devenir un des acteurs de l’écran (du désir). Ce sera chose faite après avoir découvert une petite annonce recherchant des modèles masculins et féminins nus pour des photos. Il franchit le pas et se rend au lieu de rendez-vous. Rapidement les sessions de photos de charme se transforment en séances de photos pornos et il devient à son tour acteur dans ces fameux loops filmés en quelques heures. « J’étais comme un enfant dans un magasin de bonbons » (2). Mais Costello ne dit rien de cette nouvelle vie à son entourage.


In the loops

Costello gravite ainsi deux ans dans l’univers parallèle du porno new-yorkais et sympathise avec beaucoup de monde. Pour satisfaire le public en quête de programmes nouveaux, les exploitants s’abreuvent directement auprès de producteurs/distributeurs à la recherche de pellicule fraîche afin de fidéliser le public de leurs salles avec des contenus exclusifs. Le business grossit, la Mafia qui tire les ficelles dans l’ombre, exploite ce marché juteux. C’est ainsi que Costello est mis en contact avec un Jamaïcain mystérieux qui veut investir de l’argent dans la production de pornos pour les revendre à un distributeur de sa connaissance. Le rasta a l’argent mais visiblement pas le sens de l’organisation d’un tournage. Costello propose de l’aider et de mettre en scène lui-même quelques loops gratuitement, touchant juste son cachet de hardeur. Un caméraman est embauché, quelques acteurs et le tour est joué. En quelques mois, l’acteur / cinéaste va mettre en boîte plusieurs dizaines de films, le plus souvent dans son propre appartement de Manhattan. Contrainte : le commanditaire final des films veut lui-même faire développer la pellicule imprimée pour avoir la garantie d’avoir un produit frais et non un quelconque retirage d’une bande antérieure (pratique courante). Le montage se fait donc directement au tournage et Costello est obligé d’avoir la liste des plans à tourner en tête, dans l’ordre définitif.

Dark Side of Porn (1)

Costello est également un passionné de cinéma. Il voit tout ce qu’il peut : des Buñuel, des Fellini, des Hawks… Il revoit compulsivement les œuvres des grands cinéastes pour tenter de comprendre ce qu’est la mise en scène. Après six mois à tourner et jouer dans des pornos, Costello désire réaliser une œuvre plus ambitieuse. Il imagine Forced Entry, un thriller brutal dans lequel un ancien soldat du Viet-Nam devenu pompiste, joué par Harry Reems, viole et tue des jeunes femmes après que la Guerre l’a fait disjoncter (Trois avant Taxi Driver) . Les crimes sexuels se mêlent ainsi aux horreurs du combat (stock-shots de cadavres d’enfants, de corps brûlés…). L’image est sale. L’ambiance malsaine. Histoire de bien montrer qu’on n’est pas dans un porno traditionnel, le premier plan du film est un zoom sur une cervelle explosée, celle du personnage principal qui finira par se suicider après que ses deux dernières victimes, des hippies délurées, se sont moquées de son acte, le poussant à mettre fin à ses jours. Forced Entry n’a absolument rien d’excitant - et ne cherche absolument jamais à l’être, c’est un film d’horreur, d’une extrême violence. Le tournage se déroule sur une journée, la somme ridicule du budget est rapidement dépensée, et le film restera plus d’un an en phase de montage, Costello ne sachant pas comment s’y prendre pour monter et réaliser tout le travail de post-production. « Mais je l’avais fait. J’avais tourné mon premier film. Je n’avais aucune idée de ce que je faisais, mais pour 6200$, j’avais écrit, produit et réalisé un film qui, trente huit ans plus tard, effraie encore les gens ». (3).

The « One day wonders »

Parallèlement à ses projets ambitieux, Costello continue de tourner du porno au kilomètre. Il prend ses distances avec son Jamaïcain et devient son propre producteur. Il vend ses films directement à des distributeurs qui revendent ensuite aux cinémas de tout le pays (les masques et les faux semblants sont partout comme dans toute organisation plus ou moins légale). La structure de distribution Stars, à la solde de la famille mafieuse Gambino, devient un de ses commanditaires principaux. Costello va mettre en place un système de tournage pour fournir des longs métrages (environ soixante minutes) rapidement. Une journée de tournage par film, 6 acteurs, 6 scènes de sexe. Costello en tant qu’acteur / réalisateur / scénariste, un chef opérateur (Bill Markle), un preneur de son, un assistant. Une journée pour le montage, une autre pour le tirage des copies. Un monteur à temps plein est embauché, et deux tournages par semaine effectués. Le rendement est maximal. En quatre mois, Costello tourne trente deux films et devient le leader du marché des « One day wonders » . Peut-on parler d’un style Costello ? Difficile à analyser devant des films tournés aussi vite et avec un budget minime (env. 5000$ de l’époque), dont beaucoup ont disparu de la surface du globe. Disons que ces films sont parfois plus hardcores que la moyenne (bondage, SM,) mais Costello s’en défend arguant que le contenu était dicté par ses clients. Alors peut-être un montage acéré qui sait donner à chaque plan sa durée nécessaire. Il y aussi ses bandes-son repiquant des musiques de films. Costello a ainsi beaucoup utilisé Tubular Bells de Mike Olfield, Vertigo de Bernard Hermann, Chinatown de Jerry Goldsmith, Lipstick de Michel Polnareff ou les BO de Pino Donaggio pour Brian De Palma (Sisters, Carrie). L’effet est garanti et donne tout de suite un vernis sonore aux films sans équivalent. Et bien sûr, comme on l’a déjà mentionné, sa présence en tant qu’acteur sans ses propres films. Une voix inimitable, un physique assez différent des comédiens du genre, un nez souvent jonché de grosses lunettes, une attitude toujours cool, Costello semble prendre autant de plaisir à participer qu’à réaliser.


Day life & Midnight desires

En deux ans, Shaun Costello est devenu une personnalité sûre capable de fournir des heures de programme à ses commanditaires. Il a acquis son indépendance et se vend désormais aux plus offrants. Il change de pseudo pour chacun de ses clients. Il alterne productions fauchées et tournages plus ambitieux. Dans une jungle de titres, citons l’étonnant The Passions of Carol, une version porno des contes de Noël de Dickens (le film sortira même au Quad Cinemas, un complexe projetant des films traditionnels) ou Midnight Desires, son premier film tourné en 35mm. Midnight Desires est le film favori du réalisateur, on le comprend tant il mêle brillamment des scènes de sexe vigoureuses voire SM à un dialogue coloré et souvent hilarant.
Parallèlement à ces activités, Costello mène une autre vie. Même si le porno est son activité principale et la plus lucrative, il œuvre à côté de façon plus orthodoxe et surtout plus légale. Il devient monteur et prend en charge divers travaux (bandes-annonces, publicités) En 1973, avec son chef opérateur fétiche Bill Markle, il collabore à un documentaire consacré à une compétition de golf en Ecosse (Four Days at Troon) destiné à être vendu à CBS. Connecté au monde des médias, il monte des programmes TV et deviendra même collaborateur pendant la seconde moitié des années soixante dix au Saturday Night Live, le show comique de NBC, où il s’occupera des parodies de publicité. Sa vie sentimentale est à cette image. Alors qu’il couche à tout va dans l’univers du porno, il a des petites amies tout à fait officielles avec qui il est plus ou moins clair sur sa vie de pornocrate. Au milieu des années soixante dix, le citadin qu’a toujours été Costello part même s’installer à la campagne dans une ferme pour s’adonner à une de ses autres passions, l’équitation.


Dark side of Porn (2)

En 1976, il reçoit une commande express d’un de ses clients. Tourner un film sur l’affaire bien réelle du « Enema Bandit », un maniaque sexuel qui avait agressé plusieurs jeunes femmes en leur administrant des lavements ! La proposition amuse beaucoup le cinéaste qui se demande si ce n’est pas une blague. On lui fait comprendre que le monde est horrible, certes, mais voilà, il y a une demande du public pour ça. Costello écrit rapidement un scénario inspiré de Taxi Driver de Martin Scorsese, sorti peu de temps auparavant. Le fidèle Jamie Gills interprète le rôle principal, celui d’un obsédé sexuel, passant son temps à insulter en voix off les femmes tout en admirant de façon toute hitchcockienne par la fenêtre sa jolie voisine d’en face. Par une nuit de déambulation dans la 42e rue, il rentre dans une maison de plaisir appelée Le Jardin d’Eden, où il est accueilli par une figure légendaire de la pornographie américaine, Gloria Leonard. Elle lui propose quelques formules spéciales mais ne sachant pas quoi choisir, il se fait prodiguer une fellation par une des call-girls du lieu (Sharon Mitchell, toute jeune et ravissante) sans beaucoup de plaisir. Il lui faut plus que ça… C’est alors qu’il va assister à un des traitements spéciaux proposé par la maison. Un client déguisé en chirurgien (Eric Edwards) et une « infirmière » de la maison (Marlène Willoughby) administre au cours d’un cérémonial médical grotesque un lavement anal à une pseudo-patiente (l’actrice unijambiste Long Jean Silver, mais dont la jambe coupée reste hors-champ dans ce film). Au moment de l’expulsion l’homme jouit de plaisir, et Gillis également. Gillis part alors dans une quête de purification de la Femme et agresse plusieurs victimes (dont deux - fausses - sœurs lesbiennes) tout en étant poursuivi par la police. Une femme flic servant d’appât (C.J. Laing) sera victime du criminel qui parviendra à prendre la fuite sans jamais être arrêté. Le film est brutal tout en étant beaucoup plus maîtrisé que Forced Entry. C’est un film sauvage certes mais aussi très drôle tant il se collette de front avec la dimension grotesque de son sujet. C’est une sorte de polar abel ferrarrien avant l’heure, un morceau de pellicule brute et déjantée, devant lequel on peut rire un moment (la grandiose et théâtrale scène de lavement au Jardin d’Eden) puis être pris de court devant la force de la mise en scène et le montage tendu, rendant certaines séquences particulièrement choquantes (impossible de ne pas être glacé lorsqu’une des deux sœurs lance « There is shit everywhere »). C’est la grande force du film, mais aussi son défaut d’un point de vue commercial : le film n’est ni bandant, ni même fétichiste. Il parvient surtout à mettre très mal à l’aise son spectateur. Costello le sait et se demande si ses commanditaires mafieux vont bien prendre la chose…
Comme prévu, Water Power fera un flop en salles et causera la honte de ses commanditaires, qui diront n’avoir jamais vu le résultat, bien embarrassés par l’insuccès d’un titre pourtant uniquement fabriqué pour satisfaire un certain public. Il sera distribué deux ans plus tard, dans une version rallongée des chutes non montées, et les producteurs apposeront le nom de Gerard Damiano sur l’affiche et sur la copie pour profiter du succès du cinéaste. Nouvel échec. Water Power deviendra pourtant célèbre dans certains pays, en Allemagne notamment, où il fut distribué sous le nom de Schpritz. Le film est sorti en salles en France tardivement, en 1982, sous le titre Traitement spécial pour pervers sexuel.
Mais au fil du temps, l’aura Water Power ne cessera d’enfler jusqu’à faire de lui un film mythique… de la filmographie de Damiano ! Paradoxe d’un cinéaste, Costello, qui a choisi de faire sa carrière sous pseudos de voir son film le plus commenté signé d’un prête-nom appartenant à un réalisateur réel et qui plus est, célèbre.

“ A” Budgets for X films

Costello réalise en 1978 son dernier « One day wonder ». C’est à cette époque qu’il dispose des plus gros budgets qu’il ait jamais eu. Il tourne pour l’empereur du porno, Reuben Sturman, ses films les plus ambitieux (au moins en termes visuelles), entre autres More Than Sisters dans lequel un médecin enferme dans un asile une jeune femme en proie à des cauchemars, Beauty (1981) une variation sur La Belle et la Bête ou encore le magnifique Miroir de Pandora qui comporte une des séquences les plus excitantes vue dans un film X, celle où Sandra Hillman couche avec le compagnon de sa meilleure amie, une grande séquence de sexe sauvage, amoureuse, où les corps s’abandonnent avec passion, rythmée par la musique anxiogène de Carrie de Brian De Palma.
Durant cette période, il connaît deux expériences moins heureuses professionnellement lorsqu’il est amené à tourner deux films de commande, dans le sens où il est juste employé comme réalisateur pour tourner des projets développés en amont, qui plus est sans son équipe habituelle. Il s’agit de Fiona On Fire (1978), un remake hard de Laura d’Otto Preminger et Dracula Exotica (1981), deux films dont la réalisation est signée Kenneth Schwarz du nom de leur initiateur / scénariste / producteur. Mais l’expérience est frustrante pour Costello qui a beaucoup de mal à se dépêtrer sur Fiona d’un scénario trop ambitieux regorgeant de dialogues alambiqués pour des comédiens inexpérimentés, quant au second, il débarque sur le tournage au dernier moment pour remplacer le réalisateur initial. Costello considérera le film comme dénaturé au montage et regrettera qu’on ne lui ait pas demandé de s’occuper de cette phase primordiale.


The fall
Shaun Costello gagne beaucoup d’argent mais en dépense une grande partie les drogues et dans un train de vie somptuaire (week-ends aux Bahamas, soirées festives sous substances illicites). Ce qui était quelques années plus tôt un trip extatique devient une addiction de plus en plus destructrice. Il pensait pouvoir continuer éternellement à mener cette vie, mais la quarantaine approche, et le corps et l’esprit ne suivent plus. Trop de fêtes, trop de drogues, trop d’accointances sulfureuses… « Comme Gatsby, j’ai gagné ma vie avec des boulots plus ou moins légaux, écrit-il, j’ai tout investi dans un style de vie confortable, mais maintenant, la fête est terminée. » (4). Il continue de diriger plusieurs productions de standing mais Costello sent bien qu’il tire ses dernières cartouches. Ses deux derniers films seront Hot Dreams et Heavens Touch en 1983.
Le film suivant lui sera fatal. Un producteur lui donne 10 000 $ pour commencer la préparation un nouveau film. Costello utilise cet argent pour acheter de la cocaïne et la sniffe sans plus attendre. Plus de poudre et pas de film. C’en est terminé pour lui. Il reste prostré dans son appartement en attendant qu’un homme de main vienne lui régler son compte. Heureusement, l’issue de cette situation lui sera favorable. Pour rembourser sa dette, le producteur qui l’a à la bonne l’envoie à Cleveland travailler dans une de ses sociétés de post production vidéo. Il reviendra quelques années plus tard à New York. Mais entre temps le Sida est passé par là, la vidéo a remplacé la pellicule, Harry Reems est devenu alcoolique, beaucoup de stars de l’époque sont mortes ou ont disparu de la circulation. Heureusement, Jamie Gillis bande encore.

Out of the Past
Costello vivra vingt cinq ans sans jamais se retourner sur cette époque, pensant que tous ses pornos tournés à la sauvette avaient disparu. Il devient réalisateur de publicités, puis concepteur pour la chaîne ABC de spots promo. Son activité dans le porno est passée entièrement sous silence.
En 2005, il est outé par un obscur cinéphile américain qui sort un coffret pirate intitulé « Avon Dynasty – Shaun Costello Collection », regroupant en DVD une quinzaine de films. En réalité seuls les deux tiers ont réellement été réalisés Costello, et qui plus est, le cinéaste n’a jamais travaillé pour les gens de Avon. C’est surtout la première fois que le vrai nom du réalisateur apparaît au grand jour. « Sans ce coffret, mon identité n’aurait jamais été reliée à la pornographie, ma vie privée serait intacte. J’aurais préféré que ça reste comme ça » (4).
Passée la colère initiale, le cinéaste se rend compte, avec surprise, que ses bandes tournées trente ans plus tôt suscitent toujours l’intérêt de quelques cinéphiles curieux du monde entier. Il lui vient alors l’envie de s’atteler à son autobiographie intitulée Risky Behaviour - Sex, Gangsters, and Deception in the time of « Groovy », qu’il espère bien voir publiée un jour. Costello est un témoin de premier ordre de cette époque. Plus qu’un témoin, un acteur, au propre comme au figuré ! Il a su créer une œuvre riche et complexe, dont les films tournés en une journée surclassent aisément les autres productions du même type et constituent, quarante ans plus tard, des bandes désinvoltes et pleines de charme ; dont les productions moyennes rivalisent d’invention et de brio, dont les films les plus ambitieux formellement, ceux de dernière période, se classent au niveau des classiques les plus réputés du genre, et qui parvient, en bonus, à enfanter deux diamants noirs (Forced Entry, Water Power). Quel autre cinéaste peut se targuer d’une telle diversité ? Shaun Costello est en quelque sorte le Michael Curtiz du cinéma porno.

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(1) Coming of age in the time of ‘Duck and Cover’ nouvelle de S. Costello

(2) Risky Behaviour - Sex, Gangsters, and Deception in the time of “ Groovy” de S. Costello (inédit)

(3) Revue Filmrage , texte S. Costello consacré au tournage de Forced Entry.

(4) à l’auteur, interview publiée dans Brazil, Février 2010.