L’histoire de la production
L’histoire de Paperhouse débute au début des années quatre-vingt. Anne Tilby, dessinatrice, est passionnée par le livre de Catherine Storr, Marianne Dreams. Catherine Storr est un auteur de livres pour enfants très connue en Angleterre (Marianne Dreams n’a pas été édité en France, où peu d’ouvrages de cet auteur sont disponibles). La jeune femme sympathise avec Catherine Storr qui lui propose une option gratuite pour l’adaptation cinéma de son livre. Anne Tilby écrit un traitement et fait découvrir le livre à son mari Bernard Rose. Elle imagine un film qui serait dans la continuation du film espagnol L’esprit de la ruche de Victor Erice qu’elle adore.
Bernard Rose est un des réalisateurs de clips les plus réputés du début des années 80. On lui doit la fameuse vidéo de Relax de Frankie Goes to Hollywood, qui eut des problèmes avec la censure. Bernard Rose se passionne pour cette histoire et décide d’en faire son premier film de cinéma. Il propose le projet dès 1984 à la jeune société Working Title Films, créés par Tim Bevan et Sarah Radclyffe. Selon lui, Paperhouse doit être dans l’esprit de La Nuit du Chasseur de Charles Laughton, un de ses films préférés.
Le scénario est développé par Bernard Rose et le scénariste Matthew Jacobs, qui a écrit l’un des deux téléfilms que Rose tournera entre temps pour la BBC (Smart Money, 1986). Anne Tilby participe à la préparation en fournissant de nombreux dessins en couleur pour donner la tonalité visuelle que devrait avoir le film.
Working Title développe d’autres projets en parallèle et rencontre le succès avec My Beautiful Laundrette de Stephen Frears puis Sammy et Rosie s’envoient en l’air (Working Title produira ensuite de nombreux films, de Quatre mariages et un enterrement à Shaun of the Dead).
C’est en 1987 que le budget de Paperhouse est finalement rassemblé, notamment grâce à une coproduction avec le distributeur américain Vestron, très demandeur de films fantastiques pour alimenter un marché vidéo florissant. Les années 80 sont la grande époque des films liés aux contes et/ou aux rêves d’enfants: Les griffes de la nuit de Wes Craven, La compagnie des loups de Neil Jordan… Après trois années de développement, Paperhouse trouve enfin sa place sur le marché international.
Le film entre en tournage en 1987. Les extérieurs sont tournés dans le Devon, Angleterre. La région offre de superbes paysages naturels en bord de mer. Tous les intérieurs et les scènes d’extérieur devant la maison sont tournés aux studios Pinewood, à Londres.
C’est la décoratrice Gemma Jackson (qui a travaillé dernièrement sur la série Games of Thrones) qui fut chargée de donner corps aux visions de la petite Anna. Il fallait que les décors respectent les idées d’une petite fille de 12 ans faisant des dessins, tout en pouvant accueillir un tournage complexe.
Pour les influences picturales, on pense bien sûr très fort à Edward Hopper en voyant cette maison perdue au milieu des champs. Mais s’il y a une toile qui semble avoir régi l’esthétique du film, il s’agit bien de Christina’s World (1948) de Andrew Wyeth, peinture dans laquelle on voit une jeune femme de dos assise dans un champ, regardant une maison au loin. Pour Bernard Rose, c’est une coïncidence, il ne connaissait pas cette toile au moment du tournage mais admet qu’il fut « troublé lorsqu’ [il] la vit pour la première fois. Il y avait une proximité troublante entre cette peinture et Paperhouse, » (*).
Christina's World, une peinture de Andrw Wyeth (1948) |
Pour le directeur de la photo Mike Southon, « Paperhouse devait être très classique, un film émouvant au premier degré. Nous ne voulions pas ajouter d’effets visuels trop voyants » (in le dossier de presse américain de l’époque). La photographie évite ainsi de trop distinguer les scènes situées dans les mondes réels et les scènes de rêve qui sont éclairées de façon assez similaires.
Le défi le plus difficile fut de trouver l’enfant qui allait jouer Anna. Anna est présente dans toutes les scènes du film. Charlotte Burke fut choisie parmi des centaines d’enfants. Elle n’avait jamais joué de façon professionnelle et n’ambitionnait pas de l’être. L’expérience difficile que fut le tournage mis définitivement fin à sa carrière de comédienne.
Elliot Spiers joue Marc, le jeune garçon prisonnier de la maison de papier. Il était à l’époque comédien depuis l’âge de ses huit ans, et était apparu dans des séries TV et des publicités. C’est un enfant de la balle. Sa mère était productrice, sa jeune sœur jouait dans des émissions de TV, et son frère était acteur de théâtre. Après Paperhouse, il a joué dans Taxandria de Raoul Servais qui sortira cinq ans après son tournage (1994). Après une longue maladie et des séjours fréquents à l’hôpital, Elliot Spiers mit tragiquement fin à ses jours à l’âge de vingt ans. Il est troublant de revoir le film en sachant cette histoire, le film semblant préfigurer ce qui allait lui arriver quelques années plus tard.
Glenne Headly est une actrice américaine, engagée pour cause de coproduction avec les Etats-Unis. Elle est apparue dans de nombreux films parmi lesquels La Rose pourpre du Caire de Woody Allen, Dick Tracy de Warren Beatty ou Timecode de Mike Figgis. A l’origine, dans le film, elle parlait avec son accent naturel. Mais les producteurs décidèrent en cours de montage qu’il fallait qu’elle ait un accent anglais. Elle dut donc postsynchroniser tous ses dialogues en prenant l’accent british, exercice ô combien périlleux (le fait de prendre un accent modifie la façon dont les lèvres s’ouvrent).
Quant à Ben Cross, qui joue le père, c’est un acteur complet, comme le sont souvent les acteurs britanniques, acteur de théâtre, de comédie musicale, de télévision de cinéma. Son titre de gloire reste son rôle dans Les chariots de feu de Hugh Hudson. Il tourne toujours régulièrement, on a pu le voir récemment dans Star Trek de J.J. Abrams.
Le film est présenté pour la première fois au Festival de Toronto, en septembre 1988. Le célèbre critique américain Roger Ebert le gratifie de son appréciation maximale, le fameux « Two Thumbs up » et rédige une critique dithyrambique dans le journal où il officie. Paperhouse fait le tour des festivals, et passe par Avoriaz, où il obtient le « Grand Prix de l’Etrange » (un curieux prix, qui ne sera décerné que trois années, mais dont la dénomination convient bien à Paperhouse). Le film est remarqué partout où il est diffusé et reçoit des critiques élogieuses. Pourtant, sa sortie au cinéma sera limitée. Il sort en salles en Angleterre en Juin 1989 où il reçoit un accueil public mitigé. Il ne sera quasiment jamais distribué ailleurs, si ce n’est en vidéo. En France, le film sort uniquement en VHS en 1992.
Un film difficile à définir
Le film a sans doute souffert de son ton assez étrange, il est assez difficile de savoir si c’est un film pour enfant ou non, si c’est un film d’horreur ou pas vraiment. Le film mélange les ambiances, sans jamais se préoccuper d’un potentiel public cible.
Un enfant pourrait voir ce film, mais Paperhouse contient une des séquences les plus terrifiantes jamais filmées, l’attaque de Anna par son père, séquence qui devrait effrayer n’importe quel enfant (et adulte !).
La construction en trois actes est classique en apparence, mais la partie la plus spectaculaire est la seconde, le troisième acte changeant complètement de ton pour devenir beaucoup plus doux alors que le récit change brutalement d’univers (la maison est remplacée par un phare).
L’héroïne jouée par Charlotte Burke n’est pas une jolie petite fille blonde, elle est très garçonne ; et son personnage est assez désagréable. On n’ose imaginer ce qu’Hollywood en ferait si jamais un remake devait être réalisé.
Les années quatre-vingt furent les années des réalisateurs de clips se retrouvant propulser sur des longs-métrages. Paperhouse ne comporte pourtant aucun des stigmates de ces films mis en scène par des réalisateurs de clips. Pas de rayons de lumière sortant des fenêtres, pas de montage trop rapide, pas de brume pour noyer les décors… Le film est classique dans sa mise en scène. Pour Bernard Rose « ce style correspondait au film, mais mes clips étaient déjà très naturalistes et ne ressemblaient pas forcément à ce qu’on voyait dans les clips de l’époque » (*). Ce classicisme n’empêche pas au cinéaste de produire des moments de pur lyrisme là où on s’y attend le moins, faisant par exemple d’inattendus mouvements de caméra amples et soyeux dans les escaliers de l’immeuble où habite Anna au son du déchirant Requiem de Fauré.
L’imagerie du film a eu une influence sur beaucoup d’autres films oniriques récents. Impossible d’imaginer que Guillermo Del Toro ou Peter Jackson n’aient pas vu Paperhouse lorsqu’on visionne leurs Labyrinthe de Pan ou Créatures célestes.
Depuis, le film est rarement diffusé. Il existe en DVD aux Etats-Unis et en Angleterre, mais dans des éditions anciennes, dénuées de tout supplément. Paperhouse a pourtant une communauté de fans très importante, il suffit d’aller sur l’Internet pour lire nombre de commentaires élogieux sur des sites ou des blogs. C’est pour rendre enfin ce beau film accessible au public français que Metropolitan Filmexport édite pour la première fois Paperhouse en DVD, et surtout, en exclusivité mondiale, en Blu-ray, dans un master HD restauré.
Entrez dans le rêve…
(*) Entretien réalisé pour les bonus Blu-ray/Dvd, propos non utilisé dans le montage final.