A bientôt j'espère

(To Chris M.)

mardi 28 avril 2015

LA RENAISSANCE DE LA LICORNE / Broadway therapy (She's Funny That Way) de Peter Bogdanovich

La licorne enfermée (détail d'une tapisserie médiévale), dans un musée à New York



« Dans la nuit éternelle, une étincelle, je tombe dans la flamme, Tu m’as sorti des ténèbres. Tu m’as sorti du sol. Tu m’as ramené à la vie ».
Marina dans A la merveille de Terrence Malick



Imogen Poots, l’ancienne prostituée devenue comédienne, et Will Forte, le dramaturge, sont dans un musée devant une tapisserie médiévale représentant une licorne dans un enclos.

Le dramaturge : La licorne était une sorte de symbole de la femme. A l’époque on traitait les femmes comme des biens. Elles étaient ce que les hommes voulaient.
 
L’ex-prostituée : Comme aujourd’hui ? 

Le dramaturge : J’imagine. C'est l'un des sens de ma pièce. Tu sais, jadis, la prostitution était une profession sacrée avant que l'on sépare spiritualité et sexualité. Il ne faudrait pas le faire.

L’ex-prostituée : T'es vraiment romantique, non ?



         Comédie charmante et désuète, adjectif employé ici sans une once de reproche, She’s funny that way (Broadway therapy en « français ») est un vaudeville comme on n’en fait plus, à base de portes qui claquent et d’amant dans le placard - ou plus exactement ici, de maîtresses dans la douche. Placé sous l’égide d’Ernst Lubitsch dont Cluny Brown est cité à plusieurs reprises (un extrait est même inséré dans le générique de fin), ce film est une tentative de screwball comedy, ce genre typiquement américain à base de situations de mœurs plus ou moins scabreuses narrées avec énergie, rapidité et un comique à la limite du burlesque.

Le film est drôle mais semble venir d’un autre temps, et on se demande quelle nécessité a poussé le cinéaste Peter Bogdanovich à porter ce projet depuis tant d’années. Il était en effet question que le film soit tourné à la fin des années quatre-vingt dix avec John Ritter, mais le projet fut abandonné après la mort soudaine de l’acteur. 

Cette scène magnifique de la discussion sur la prostitution devant la tapisserie médiévale d’une licorne dans un enclos donne quelques clés pour percer ce mystère. Il est de bon temps de défendre la subtilité et les non-dits, mais personnellement, on apprécie encore plus cette souveraineté de l’artiste qui sait suspendre son récit pourtant entièrement tourné vers l’efficacité comique pour se livrer à cœur ouvert. L’ex-réalisateur star des années 70, haï par une bonne partie de la profession pour son caractère ombrageux et ses frasques sentimentales, a vécu un choc terrible au début des années quatre-vingt. Il était tombé follement amoureux de la playmate Dorothy Stratten, 20 ans à peine, une wannabee actrice qu’on avait aussi vu dans un Z de science-fiction Galaxina. Il avait offert à sa muse -pour reprendre un terme souvent usité dans She’s funny that way- un rôle dans They all laughed, celui d’une conductrice de taxi. Mais avant même que le montage soit achevé, la jeune femme est tragiquement violée puis assassinée par son ex compagnon, plus ou moins son souteneur, qui se suicide dans la foulée. Le choc à Hollywood est terrible, Bob Fosse tirera même un long métrage inspiré des faits peu de temps après (Star 80). Le studio annule la sortie de They all laughed pour éviter une publicité négative. Bogdanovich décide le sortir à ses frais pour le faire exister coûte que coûte. Cette sortie le poussera à la ruine financière.

Dévasté et inconsolable, il consacre un ouvrage écrit fiévreusement à Dorothy Stratten, accusant les hommes de son entourage, son assassin bien sûr, mais aussi le mogul de Playboy Hugh Heffner, d’être responsables de sa mort. Certains ironisent à l’époque que le cinéaste s’érige en contempteur de la gente masculine manipulatrice en omettant de s’inclure dans la caste des hommes qui ont profité de Dorothy, de sa beauté, de sa jeunesse, de sa candeur. Mais le titre du livre est intéressant, il s’intitule KILLING OF THE UNICORN. Le meurtre de la licorne. Pour Bogdanovich et Stratten, la licorne était devenue le symbole de leur amour, et c’est tout naturellement qu’il fera appel à cet animal mythologique pour intituler ce livre en forme de cri de désespoir.

Si on résume, She’s funny that way raconte l’histoire d’un metteur en scène volage, amateur de femmes monnayant leurs charmes, qui va transformer l’une d’elle en actrice. Impossible de ne pas voir dans ce récit une dimension biographique, mise en évidence par cette scène de la licorne. Cette approche est encore plus frappante quand on sait que le film a été coécrit par Louise Stratten, petite sœur de la défunte Dorothy, et épouse à l’époque de la rédaction du scénario de Bogdanovich (*). 

She’s funny that way peut donc être perçu comme une entreprise orphique de résurrection des morts. Non seulement parce qu'il fait revivre un genre disparu de l'âge d'or hollywoodien, la screwball comedy, mais aussi parce qu'il fait revivre la femme aimée trop tôt disparue pour lui permettre de continuer sa vie, de lui offrir la consécration qu'elle n'aura pu connaître. Chose rarissime, il le fait avec nostalgie mais sans aucune mélancolie. 

Le film s'achève par Izzie sortant du bureau de la journaliste qui l'interviewait. La porte s'ouvre et une lumière blanche aveuglante emplie alors l'écran. On peut interpréter cette lumière comme celle que verraient les morts avant de rejoindre l'au-delà. Mais c'est avant tout celle de la couleur de l'écran de cinéma.


 (*) Louise Stratten avait 12 ans au moment où sa sœur a été assassinée. Elle et sa mère ont ensuite été prises sous l’aile protectrice de Bogdanovich avant que celui-ci l’épouse lorsqu’elle a eu 20 ans. Si on a rapproché, un peu facilement à notre sens, She’s funny that way d’un film de Woody Allen, la comparaison peut se poursuivre jusque dans les mœurs des deux réalisateurs. 




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L’héroïne Imogen Poots explique que son père a fait fortune en inventant le stick – façon bâton de colle - pour beurrer les tartine.  On trouve, jolie coïncidence, une conceptualisation de l’objet au Palais de Tokyo, à l’exposition « Le bord des mondes ». L’artiste japonais Kenji Kawakami invente des objets farfelus qui ne doivent (presque) servir à rien. Entre le ventilateur accroché aux baguettes pour refroidir les nouilles pendant qu’on les mange ou le casque paré d’une ventouse pour s’accrocher aux murs, voici donc le fameux beurre en stick.




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A la merveille de Terrence Malick