« Cet enfant sur la paille endormi, c’est l’amour infini. »
John Woo revient à l’essence du cinéma des origines.
Non que Silent night soit en noir et blanc : c’est un film en couleur. Mais dans des couleurs pastel étranges qui le drapent d’un voile onirique.
Pas plus qu’il n’est muet. Quoique.
Le « high concept » du projet est qu’il ne comporte aucun dialogue, puisque non seulement son héros malheureux a été rendu incapable de parler après avoir reçu une balle dans la gorge, mais en plus, tous les autres personnages ne parlent pas non plus. Ils ne sont pas aphones, mais ils sont filmés avant d’avoir prononcé leurs répliques, ou après. Dans un souci d’équité, tout le monde a été calé sur le handicap du malheureux héros. Toutefois, John Woo ne s’arcboute pas maniaquement sur cette contrainte stimulante. La preuve ? On entend ici et là des messages radio de la police et les rugissements des acteurs dans les scènes de combat.
Et sans dialogue ne veut pas dire pour autant silencieux. Il y a de la musique, des chansons, des armes à feu qui crépitent et le moteur V8 de l’Interceptor qui vrombit. Silent Night mixe Mad Max, Punisher, Le grand silence voire le très beau Peppermint de Pierre Morel, auquel il ressemble beaucoup, et cinq cents DTV. Où l’on voit qu’il suffit d’un rien pour qu’une banale histoire de vengeance vue trop de fois devienne soudain une épure du cinéma d’action ASMR. John Woo, confiant en son style, ne compense jamais l’absence de dialogue par trop de bruit : chaque son est mûrement pensé et placé là où il faut pour assurer une efficacité maximale. Silent Night porte bien son titre : c’est un des films d’action les plus calmes jamais faits d’un point de vue sonore. Tout est doux, ouaté, et quand les gunfights s’engagent, le cinéaste chinois de retour aux USA fait durer les plans comme nul autre pour laisser l’action s’épanouir dans le cadre. Il y a quelque chose de l’ordre du geste pictural – pas étonnant que l’inoubliable femme du héros (Catalina Sandino Moreno [1]), pourtant esquissée en quelques plans diaphanes, soit peintre à ses heures perdues. La caméra du cinéaste a la souplesse et la grâce du pinceau sur la toile. Le tatouage du méchant sur son visage est, au choix, un dripping à l’encre (de Chine ?), de l’art abstrait ou du gribouillage semblable à ceux qu’on fait quand on essaie de faire fonctionner son stylo à bille sur une feuille. Dans tous les cas, il est sauvage et inoubliable.
Silent Night est un film intimiste (et triste), jusqu’à l’action qui semble se dérouler entre une rue et cet immeuble décrépi trônant tel un phare au milieu de la ville. C’est le repaire du méchant, là où se déroulera l’affrontement final. On est un peu surpris de voir Woo placer dans son loft aux murs ornés de fresques une œuvre d’art contemporain façon Atomium de Bruxelles, avec des boules métalliques en rotation entre elles. La fin fera même penser à l’Orb de Twin Peaks avec cette âme enfantine encapsulée dans une sphère, à mettre en miroir du ballon de baudruche de la scène d’ouverture pour signifier qu’une vie vient d’être enlevée, dans un hommage visuel au Ballon rouge d’Albert Lamorisse. On se rappelle alors que Silent Night est un film de Noël : cette tour est le sapin, l’œuvre d’art ses boules, et ce petit film-monde a la puissance évocatrice d’une comptine pour enfants narrée à la nuit tombée.
[1] Elle était l’héroïne de Maria, pleine de grâce ; la statue de la vierge à la fin de The Killer prend vie dans Silent Night.