mercredi 31 janvier 2024

SILENT NIGHT de John Woo

 

   

« Cet enfant sur la paille endormi, c’est l’amour infini. »

John Woo revient à l’essence du cinéma des origines.

Non que Silent night soit en noir et blanc : c’est un film en couleur. Mais dans des couleurs pastel étranges qui le drapent d’un voile onirique.

Pas plus qu’il n’est muet. Quoique.

Le « high concept » du projet est qu’il ne comporte aucun dialogue, puisque non seulement son héros malheureux a été rendu incapable de parler après avoir reçu une balle dans la gorge, mais en plus, tous les autres personnages ne parlent pas non plus. Ils ne sont pas aphones, mais ils sont filmés avant d’avoir prononcé leurs répliques, ou après. Dans un souci d’équité, tout le monde a été calé sur le handicap du malheureux héros. Toutefois, John Woo ne s’arcboute pas maniaquement sur cette contrainte stimulante. La preuve ? On entend ici et là des messages radio de la police et les rugissements des acteurs dans les scènes de combat.

Et sans dialogue ne veut pas dire pour autant silencieux. Il y a de la musique, des chansons, des armes à feu qui crépitent et le moteur V8 de l’Interceptor qui vrombit. Silent Night mixe Mad Max, Punisher, Le grand silence voire le très beau Peppermint de Pierre Morel, auquel il ressemble beaucoup, et cinq cents DTV. Où l’on voit qu’il suffit d’un rien pour qu’une banale histoire de vengeance vue trop de fois devienne soudain une épure du cinéma d’action ASMR. John Woo, confiant en son style, ne compense jamais l’absence de dialogue par trop de bruit : chaque son est mûrement pensé et placé là où il faut pour assurer une efficacité maximale. Silent Night porte bien son titre : c’est un des films d’action les plus calmes jamais faits d’un point de vue sonore. Tout est doux, ouaté, et quand les gunfights s’engagent, le cinéaste chinois de retour aux USA fait durer les plans comme nul autre pour laisser l’action s’épanouir dans le cadre. Il y a quelque chose de l’ordre du geste pictural – pas étonnant que l’inoubliable femme du héros (Catalina Sandino Moreno [1]), pourtant esquissée en quelques plans diaphanes, soit peintre à ses heures perdues. La caméra du cinéaste a la souplesse et la grâce du pinceau sur la toile. Le tatouage du méchant sur son visage est, au choix, un dripping à l’encre (de Chine ?), de l’art abstrait ou du gribouillage semblable à ceux qu’on fait quand on essaie de faire fonctionner son stylo à bille sur une feuille. Dans tous les cas, il est sauvage et inoubliable.

Silent Night est un film intimiste (et triste), jusqu’à l’action qui semble se dérouler entre une rue et cet immeuble décrépi trônant tel un phare au milieu de la ville. C’est le repaire du méchant, là où se déroulera l’affrontement final. On est un peu surpris de voir Woo placer dans son loft aux murs ornés de fresques une œuvre d’art contemporain façon Atomium de Bruxelles, avec des boules métalliques en rotation entre elles. La fin fera même penser à l’Orb de Twin Peaks avec cette âme enfantine encapsulée dans une sphère, à mettre en miroir du ballon de baudruche de la scène d’ouverture pour signifier qu’une vie vient d’être enlevée, dans un hommage visuel au Ballon rouge d’Albert Lamorisse. On se rappelle alors que Silent Night est un film de Noël : cette tour est le sapin, l’œuvre d’art ses boules, et ce petit film-monde a la puissance évocatrice d’une comptine pour enfants narrée à la nuit tombée.

 

[1] Elle était l’héroïne de Maria, pleine de grâce ; la statue de la vierge à la fin de The Killer prend vie dans Silent Night.

mercredi 10 janvier 2024

Les traits tirés

 

            Quand mes deux premiers enfants sont nés, si des parents non mariés souhaitaient que leur enfant porte leurs deux noms, l’état civil ajoutait deux « tirets » entre leurs deux noms (c’est le terme qui fut alors utilisé par l’officier d’état civil)

Mes deux premiers enfants se nomment donc « Burton - - Taylor » , du nom de leur père et de leur mère. C’est formalisé ainsi sur leur carte d’identité. Ils sont nés après 2002, date à laquelle cette réforme avait été mise en place.  

Alors tiret-tiret (comme ce groupe de pop rock qui s’appelle Hyphen Hyphen) ou trait d’union- trait d’union (puisque c’est une union, mais double, ou alors, c’est le signe mathématique de la double soustraction qu’il faut lire, moins par moins = plus) ?

L’enfant a un double nom, ce qui va à l’encontre de ce mot comportant pourtant un trait d’union ; ce n’est pas à proprement parler un nom composé, mais l’expression de l’existence parallèle de deux individus, qui incidemment, ont eu des enfants. D’une certaine façon, l’état civil a raison de refuser le terme de trait d’union puisque ce terme est à réserver aux gens qui ont un prénom vraiment composé. Cela dit, pour avoir des enfants, il fallait tout de même s’unir, d’une façon ou d’une autre.

Quand mon troisième enfant est né, cette incongruité avait été corrigée (en 2009). Ce double tiret aberrant posait d’ailleurs des problèmes quand on remplissait des documents en ligne : il n’était pas reconnu par les systèmes et était souvent transformé soit en une sorte de segment horizontal (le faisant ressembler à long tiret [tiret cadratin] plutôt qu’à un gracile trait d’union), ou il était purement et simplement effacé pour laisser place à une concaténation des deux noms qui n’en formaient plus qu’un (évolution qui, pour les noms communs, tels que plate-forme/plateforme, ne se réalise qu’au bout de plusieurs décennies).  

Mon troisième enfant a donc un nom différent de ses frère et sœur, ce qui est une anomalie puisque les enfants d’une même fratrie sont censés devant l’état civil porter le même nom. Cela leur laissera l’occasion de prétendre ne pas appartenir à cette famille, et qui sait si on ne leur demandera pas raison sur la simple différence de graphie ? Ce double tiret supprimé a en quelque sorte créé une désunion entre lui et ses frère et sœur.

L’honnêteté oblige à dire qu’on nous a conseillé à la mairie de corriger cette aberration. Il faut remplir un document pour faire retirer le double tiret des deux premiers enfants. Mais ça fait dix ans que nous devons nous en occuper...  Laxisme, quand tu nous tiens !

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Je lis ceci sur le site du gouvernement:

 

Comment enlever le double tiret du nom de famille

La rectification administrative s’effectue auprès de la mairie du lieu où a été établi l’acte. Si la suppression du double tiret concerne plusieurs de vos enfants, et que leurs communes de naissance ne sont pas les mêmes, vous devez déposer une demande dans chaque mairie.

Dans une décision du 22 juin 2022, le Conseil d’État a confirmé que les parents qui souhaitent que leur enfant porte leurs deux noms de famille accolés ne peuvent pas insérer un trait d’union entre eux.

On notera que le mot trait d’union est réapparu à la place de tiret… lorsqu’il s’agit de faire disparaitre le trait d’union !

Résumons : double tiret, puis trait d’union, puis plus rien. De quoi faire exploser la cellule familiale !