La licorne enfermée (détail d'une tapisserie médiévale), dans un musée à New York |
« Dans
la nuit éternelle, une étincelle, je tombe dans la flamme, Tu m’as sorti des
ténèbres. Tu m’as sorti du sol. Tu m’as ramené à la vie ».
Marina dans A la merveille de Terrence Malick
Imogen
Poots, l’ancienne prostituée devenue comédienne, et Will Forte, le dramaturge,
sont dans un musée devant une tapisserie médiévale représentant une licorne
dans un enclos.
Le dramaturge : La
licorne était une sorte de symbole de la femme. A l’époque on traitait les
femmes comme des biens. Elles étaient ce que les hommes voulaient.
L’ex-prostituée : Comme aujourd’hui ?
Le dramaturge : J’imagine. C'est l'un des sens de ma pièce. Tu sais, jadis, la
prostitution était une profession sacrée avant que l'on sépare spiritualité et
sexualité. Il ne faudrait pas le faire.
L’ex-prostituée :
T'es vraiment
romantique, non ?
Comédie
charmante et désuète, adjectif employé ici sans une once de reproche, She’s funny that way (Broadway therapy en
« français ») est un vaudeville comme on n’en fait plus, à base de
portes qui claquent et d’amant dans le placard - ou plus exactement ici, de
maîtresses dans la douche. Placé sous l’égide d’Ernst Lubitsch dont Cluny Brown est cité à plusieurs
reprises (un extrait est même inséré dans le générique de fin), ce film est une
tentative de screwball comedy, ce
genre typiquement américain à base de situations de mœurs plus ou moins
scabreuses narrées avec énergie, rapidité et un comique à la limite du
burlesque.
Le film est
drôle mais semble venir d’un autre temps, et on se demande quelle nécessité a
poussé le cinéaste Peter Bogdanovich à porter ce projet depuis tant d’années.
Il était en effet question que le film soit tourné à la fin des années
quatre-vingt dix avec John Ritter, mais le projet fut abandonné après la mort
soudaine de l’acteur.
Cette scène
magnifique de la discussion sur la prostitution devant la tapisserie médiévale
d’une licorne dans un enclos donne quelques clés pour percer ce mystère. Il est
de bon temps de défendre la subtilité et les non-dits, mais
personnellement, on apprécie encore plus cette souveraineté de l’artiste qui
sait suspendre son récit pourtant entièrement tourné vers l’efficacité comique
pour se livrer à cœur ouvert. L’ex-réalisateur star des années 70, haï par une
bonne partie de la profession pour son caractère ombrageux et ses frasques
sentimentales, a vécu un choc terrible au début des années quatre-vingt. Il
était tombé follement amoureux de la playmate Dorothy Stratten, 20 ans à peine,
une wannabee actrice qu’on avait
aussi vu dans un Z de science-fiction Galaxina.
Il avait offert à sa muse -pour reprendre un terme souvent usité dans She’s funny that way- un rôle dans They all laughed, celui d’une
conductrice de taxi. Mais avant même que le montage soit achevé, la jeune femme
est tragiquement violée puis assassinée par son ex compagnon, plus ou moins son
souteneur, qui se suicide dans la foulée. Le choc à Hollywood est terrible, Bob
Fosse tirera même un long métrage inspiré des faits peu de temps après (Star 80). Le studio annule la sortie de They all laughed pour éviter une
publicité négative. Bogdanovich décide le sortir à ses frais pour le faire
exister coûte que coûte. Cette sortie le poussera à la ruine financière.
Dévasté et
inconsolable, il consacre un ouvrage écrit fiévreusement à Dorothy Stratten,
accusant les hommes de son entourage, son assassin bien sûr, mais aussi le
mogul de Playboy Hugh Heffner, d’être responsables de sa mort. Certains
ironisent à l’époque que le cinéaste s’érige en contempteur de la gente
masculine manipulatrice en omettant de s’inclure dans la caste des hommes qui
ont profité de Dorothy, de sa beauté, de sa jeunesse, de sa candeur. Mais le
titre du livre est intéressant, il s’intitule KILLING OF THE UNICORN. Le meurtre de la licorne. Pour
Bogdanovich et Stratten, la licorne était devenue le symbole de leur amour, et
c’est tout naturellement qu’il fera appel à cet animal mythologique pour
intituler ce livre en forme de cri de désespoir.
Si on
résume, She’s funny that way raconte
l’histoire d’un metteur en scène volage, amateur de femmes monnayant leurs
charmes, qui va transformer l’une d’elle en actrice. Impossible de ne pas voir
dans ce récit une dimension biographique, mise en évidence par cette scène de
la licorne. Cette approche est encore plus frappante quand on sait que le film
a été coécrit par Louise Stratten, petite sœur de la défunte Dorothy, et
épouse à l’époque de la rédaction du scénario de Bogdanovich (*).
She’s funny that way peut donc être perçu comme une entreprise orphique de résurrection des morts. Non seulement parce qu'il fait revivre un genre disparu de l'âge d'or hollywoodien, la screwball comedy, mais aussi parce qu'il fait revivre la femme aimée trop tôt disparue pour lui permettre de continuer sa vie, de lui offrir la consécration qu'elle n'aura pu connaître. Chose rarissime, il le fait avec nostalgie mais sans aucune mélancolie.
Le film s'achève par Izzie sortant du bureau de la journaliste qui l'interviewait. La porte s'ouvre et une lumière blanche aveuglante emplie alors l'écran. On peut interpréter cette lumière comme celle que verraient les morts avant de rejoindre l'au-delà. Mais c'est avant tout celle de la couleur de l'écran de cinéma.
She’s funny that way peut donc être perçu comme une entreprise orphique de résurrection des morts. Non seulement parce qu'il fait revivre un genre disparu de l'âge d'or hollywoodien, la screwball comedy, mais aussi parce qu'il fait revivre la femme aimée trop tôt disparue pour lui permettre de continuer sa vie, de lui offrir la consécration qu'elle n'aura pu connaître. Chose rarissime, il le fait avec nostalgie mais sans aucune mélancolie.
Le film s'achève par Izzie sortant du bureau de la journaliste qui l'interviewait. La porte s'ouvre et une lumière blanche aveuglante emplie alors l'écran. On peut interpréter cette lumière comme celle que verraient les morts avant de rejoindre l'au-delà. Mais c'est avant tout celle de la couleur de l'écran de cinéma.
(*) Louise Stratten avait 12 ans au moment où
sa sœur a été assassinée. Elle et sa mère ont ensuite été prises sous l’aile
protectrice de Bogdanovich avant que celui-ci l’épouse lorsqu’elle a eu 20 ans.
Si on a rapproché, un peu facilement à notre sens, She’s funny that way d’un film de Woody Allen, la comparaison peut
se poursuivre jusque dans les mœurs des deux réalisateurs.
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L’héroïne Imogen Poots explique que son père a fait fortune
en inventant le stick – façon bâton de colle - pour beurrer les tartine. On trouve, jolie coïncidence, une
conceptualisation de l’objet au Palais de Tokyo, à l’exposition « Le bord
des mondes ». L’artiste japonais Kenji Kawakami invente des objets
farfelus qui ne doivent (presque) servir à rien. Entre le ventilateur accroché
aux baguettes pour refroidir les nouilles pendant qu’on les mange ou le casque
paré d’une ventouse pour s’accrocher aux murs, voici donc le fameux beurre en
stick.