A l'occasion de la rétrospective Chris Marker à Beaubourg, cinq entretiens réalisés avec cinq personnalités pour évoquer Chris Marker (initialement paru sur premiere.fr). Premier volet avec Yves Simon, dans sa version intégrale.
Merci à lui
Yves Simon. L’ami.
Chanteur, notamment
de la célèbre chanson du film Diabolo
Menthe de Diane Kurys, romancier, féru de cinéma, Yves Simon a côtoyé Chris
Marker de la place Dauphine à Paris à Shinjuku au Japon.
"Lorsque j’ai vu La
Jetée ce fut un choc. J’avais 20 ans, j’étais en classe préparatoire pour
préparer le concours d’entrée de l’école de cinéma L’IDHEC. Il y avait un
ciné-club au lycée Voltaire où j’étudiais. Donc voir ce film fut un choc pour
moi mais aussi pour tous les gens qui assistaient à cette projection. Le film a
un côté assez immédiat, on se dit même que ça a l’air facile à faire, un film
uniquement constitué de photo (à une exception prêt). Mais on n’en perce jamais
le mystère. Chris m’avait offert le livre tiré du film il y a quelques années.
J’ai beau lire et relire le texte, à chaque fois je me demande où est la
faille, quand le film bascule… C’est un des films les plus importants du 20e
siècle, une œuvre forte comme on n’en rencontre qu’une fois tous les vingt ans.
J’ai suivi les
sorties de ses films. J’ai adoré Sans
Soleil, avec cette écriture où l’on dit « Tu m’écrivais ». Ca
donne un mystère très attachant.
Il adorait les chats, il est venu chez moi photographier un
chat dessiné par M. Chat qui était sur un mur en face.
Il m’envoyait, ainsi qu’à une dizaine d’autres personnes des
images faisant intervenir son avatar, Guillaume-en-Egypte, commentant
l’actualité. Mais avant l’Internet, il le faisait déjà par fax. J’ai des piles
de fax de lui de ce genre.
Nous nous sommes beaucoup retrouvés autour du Japon. J’ai
fait 35 voyages là bas, et deux fois nous nous sommes vus à Tokyo. Nous nous
promenions la nuit dans la ville, nous adorions Shinjuku, cet espace protégé au
sein de Golden Gai, plein de bars sur un étage. C’est là que se trouve La
Jetée, un bar tenu par Tomoyo Kawai , une cinéphile japonaise férue des
films de la Nouvelle Vague. Là bas on pouvait croiser Wim Wenders, qui a
d’ailleurs tourné son documentaire Tokyo Ga dans lequel il y a une scène où il
essaie de filmer Chris. La tradition était de venir avec une bouteille de
whiskey et de la déposer avec un mot écrit au feutre. Lorsqu’une personne
venait boire ensuite cette bouteille elle laissait à son tour un mot.
Un jour je reçois une carte du Japon signée Chris / Wim /
Francis. A son retour, je lui dis que je sais qui est Wim(Wenders) mais je lui
demande qui est « Francis ». Il me répond
« Coppola ! ».Il était admiré de beaucoup de cinéastes.
Tomoyo venait une
fois par an en France pour le Festival de Cannes et nous nous retrouvions avec
elle et d’autres amies japonaises communes. Je voulais le prendre en photo avec
elles mais il ne voulait pas. Chris a écrit un livre magnifique sur le Japon, le Dépays, comprenant des photos et un
très beau texte.
Chris a un talent d’écriture incroyable. Dans Sans Soleil, on entend cette phrase qui
m’avait beaucoup marqué : « Saviez-vous qu’il y a des émeus en
Ile-de-France ? ». C’est tout Chris ce genre de phrase.
Je l’ai rencontré parce que j’habite Place Dauphine, et qu’il
a longtemps habité là. Comme il était désargenté, il était logé par ses amis
Simone Signoret et Yves Montand (il avait rencontré Simone Signoret au lycée à
Neuilly), au 15 de la place, le couple lui prêtait quatre chambres de bonnes
rassemblées là où ils habitaient. Je connaissais Simone Signoret et je l’ai
rencontré par son intermédiaire. Après il est parti habiter dans le 20e
Arrondissement, mais il avait gardé sa banque, la BNP, place Dauphine. Il y
venait tous les mardis. Donc on retrouvait souvent à ce moment pour discuter.
Quand Simone est morte, j’étais avec Chris, je lui ai
demandé comment ça allait, il m’a répondu « Je bétonne ».
Je voulais écrire un livre en 1983, Océans, où j’évoquais les années 60 et mon adolescence. Mais il y
avait peu de documentation sur l’époque. J’ai demandé à Chris s’il n’avait pas des
documents et il m’a dit qu’il avait justement une collection complète de Paris
Match de cette décennie. Ca pesait au
moins 50 kgs ! Il avait acheté cette collection pour Pierre Goldman
lorsqu’il était en prison [Pierre Goldman était un intellectuel d’extrême
gauche, condamné pour des braquages, et assassiné mystérieusement] , mais
Goldman est mort, et il n’a jamais pu lui donner. Ce que Chris ne savait pas,
c’est que Pierre Goldman apparaissait dans mon livre à travers un personnage que
j’avais appelé Schatzberg. J’offre mon livre à Chris, il ne savait pas pour
Goldman. C’est là qu’il m’a dit « Il n’y a pas de hasard, il n’y a que des
miracles ».
Il portait une tenue, non pas militaire –il était trop anti
militariste pour cela -mais plutôt de baroudeur, une veste kaki. Il avait le
crane rasé, un visage très mince, ascétique. Il mangeait peu et buvait du thé.
J’ai écrit le personnage de Lou Stalker dans mon roman Le voyageur magnifique en pensant à lui. Stalker c’est évidemment un hommage à Tarkovski qu’il vénérait (moi
moins !) autant qu’Akira Kurosawa. Mais je ne lui ai pas dit que j’avais
écrit ce personnage en pensant à lui, je savais qu’il n’aimait pas sa propre
image.
Je lui ai toujours envoyé mes romans et mes disques. Sur les
romans, il me faisait des commentaires attentifs, c’était un très bon lecteur.
Mais pas sur les disques. Il m’avait dit qu’il aimait beaucoup « Les
merveilles de Juliet », parce que ça parlait de cinéma, mais je ne crois
pas qu’il aimait beaucoup les chansons de façon générale. Il préférait la
musique classique ou les musiques de film.
Il a fait une exposition Passengers
de photos prises secrètement dans le métro parisien. Mais j’avais déjà reçu
toutes les photos au fur et à mesure qu’ils les prenaient (le projet
s’intitulait alors « Metroscop »). C’était un homme d‘une culture
immense mais il partageait toujours son savoir.
Quand il est décédé, je n’imaginais pas que sa disparition
aurait un tel retentissement. J’ai lu
des articles érudits le concernant. Je n’imaginais pas cela. Quand je le
mentionnais dans des entretiens, j’avais souvent l’impression qu’on ne voyait
pas de qui je parlais.
Ce fut une chance immense pour moi de l’avoir connu".
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