A bientôt j'espère

(To Chris M.)

mercredi 25 septembre 2019

ANDY de Julien Weill

 


Œuvre attachante que ce Andy. Le film explore crument les affres de notre société : pauvreté, déclassement social, dépression, Alzheimer, violences conjugales, divorce, prostitution, solitude, misère sexuelle... Le réalisateur Julien Weill évite tout pathos et si sa vision est frontale, il amène de l’humour pour rendre ce constat apocalyptique moins insoutenable, avec une légèreté de style assez bluffante (tout ça en moins de 90 minutes).

Le héros éponyme, lointainement inspiré par le Bartleby de Herman Melville selon le réalisateur, refuse de travailler et organise sa vie pour éviter toute confrontation avec le monde de l’emploi. Dans une époque où la « valeur travail » est sans cesse présentée comme une vertu cardinale, Andyvva à l’encontre, et ose présenter sans jugement moral un inadapté à la vie telle qu’on nous demande de la vivre et qui le restera jusqu’à la fin. 

Au cœur du film tout de même, une histoire d’amour délicate et touchante entre notre anti-héros incarné par le charismatique Vincent Elbaz et une jeune femme fragile jouée avec tact par Alice Taglioni. Tous deux apportent chaleur et humanité à ce monde cruel.

 

 

mercredi 10 juillet 2019

BOARDING SCHOOL (L'internat) de Boaz Yakin

 


 L'internat est un film d'horreur. Un des plus malaisants qui soit. N'attendez pourtant pas une horreur confortable, prophylactique, à base de fantômes littéraires ou de cinématographiques jump scares - pour reprendre ce terme que les fans d'épouvante aiment abhorrer. Non, L'internat vient du tréfonds de la psyché humaine et de l'Histoire. On y trouve des rapports humains complexes et perturbants : ici, les parents veulent tuer leurs enfants (ou, à défaut, sont au bord de la dépression parce que leurs progénitures font sans cesse des cauchemars la nuit et plutôt que de les réconforter, préfèrent les envoyer promener. Ah le sommeil sacré...) ; les enfants ne veulent plus entendre parler de leurs parents quand bien même seraient-ils des héros (la mère de Jacob n’adressait plus la parole à sa propre mère avant sa mort) ; de vieilles femmes hantent des cimetières juifs et terrifient les enfants venus rendre hommage à leur défunte grand-mère. Pas de repos pour le Kaddish. L'école est un lieu où les élèves les plus forts agressent les plus faibles (à l'école des villes) et où les professeurs martyrisent leurs élèves (à l'école des champs). L'horreur de L'internat vient de loin : de la Shoah que Boaz Yakin n'hésite pas à utiliser comme un ressort dramatique et qui, pourtant, semble être le cœur de son récit, bien qu’elle soit traitée de façon allusive à travers quelques scènes glaçantes.

Drôle de film que cet Internat, sorte de fable façon Petit Poucet, influencée par Mario Bava cité à travers un extrait de Trois visages de la peur diffusé sur un écran de TV, les comics, Stanley Kubrick et les mouvements de caméra de Shining, les contes de Grimm. L'internat est une parabole sur les victimes à travers le temps, et le film semble nous dire que la meilleure défense face à l'agresseur, c’est l’attaque. N'oublions pas que Boaz Yakin a écrit dans une autre vie le scénario du Punisher version Dolph Lundgren. Mais c’est aussi un film qui prend acte des conséquences de cette violence. Quand, dans un des flash backs situés pendant la Seconde Guerre mondiale, Yakin filme la grand-mère du héros assassinant le nazi qui veut la violer, il ne la représente pas comme une wonder woman triomphante, mais comme une succube presque effrayante. La violence, même légitime et nécessaire, est dépeinte comme sale et difficilement acceptable par l'entourage. D'où peut-être les rapports difficiles que la grand-mère de Jacob entretiendra avec sa fille par la suite. Seule la génération suivante pourra la comprendre à travers un fil relationnel invisible. Allons plus loin, c’est sans doute parce qu’il est invisible que ce fil peut être réactivé.

L'internat pourrait être perçu comme une œuvre fondamentalement belliqueuse si Boaz Yakin ne lui avait donné cette aura féminine puissante. La grande idée du film, inoubliable, une des plus fortes images de l'histoire du cinéma, c'est cet enfant de douze ans, bientôt treize, qui enfile la robe de sa défunte grand-mère et se maquille comme une femme, pour combattre à son tour les forces du mal. Le film ressemble alors à ces contes de fée modernes où les auteurs aiment inverser les genres mais ici il n'y a pas à proprement parler d'inversion, mais plutôt une synthèse de plusieurs personnages : le chevalier et la princesse ne font qu'un. Contrairement à ce qu'on pourrait croire, L'internat n'est pas tellement un film dans l'air du temps. Il semble au contraire nous venir de la nuit des temps, comme si l'affirmation de son être profond, au-delà des genres sexuels, au-delà des rapports de coercition inévitables que la vie met sur notre passage, était la condition sine qua non de la revendication de sa liberté indivisible.

jeudi 30 mai 2019

LE GANGSTER, LE FLIC ET L'ASSASIN : entretien avec le réalisateur Lee Won-tae

 


Il y a la mention que le film est tiré de faits réels. Quels étaient-ils ?

Ce n’est pas tiré d’un seul fait réel. J’ai travaillé sur plusieurs événements ou faits divers qui se sont déroulés en Corée. Par exemple, le film commence en 2005 ; 2005 est une année où la mode des salles de jeux battait son plein non seulement à Séoul mais dans tous le pays. Ces salles privées étaient souvent gérées par des mafieux, et les machines étaient trafiquées, donc les jeux l’étaient aussi.  Il y avait tout un business parallèle très lucratif et totalement illégal. Les descentes de police dans ce genre de lieux étaient fréquentes. Je me suis servi de cette histoire comme d’un élément de contexte. Concernant les meurtres, le film ne fait pas référence à un tueur en particulier. Des assassinats irrésolus, il y en a régulièrement, et pas seulement en Corée. Les serial-killers sévissent dans le monde entier.

Est ce que l’idée théorique de la confrontation entre un flic, un gangster et un serial killer était  l’idée de départ sur laquelle vous avez ensuite greffé toutes ces histoires ?

Tout à fait. Au début j’avais l’idée de construire une histoire autour de deux antagonistes qui vont s’allier pour en traquer un troisième.  Un chef de gang qui travaille de concert avec un inspecteur, ça c’était l’idée de départ. Comme l’ambivalence de ces deux personnages et leur rapport à la loi étaient au coeur du récit, la figure du serial-killer comme antagoniste commun s’est vite imposée. Il fallait en quelque sorte les confronter au mal absolu pour que leurs frontières déjà mouvantes entre le bien et le mal soient encore remises en question.  

J’ai l’impression que le sujet du film c’est le corps humain et sa capacité de résistance aux agressions. Tout le monde se tape dessus tout le temps, se poignardent, s’agressent. Même une scène aussi calme sur le papier que celle où le flic va voir sa copine légiste est montrée comme un combat. 

C’est pour ça que j’ai enlevé les élements psychologiques au fur et à mesure du tournage. Ce qui m’intéressait, c’était la rencontre entre ces individus que tout oppose, et la rencontre se fait physiquement, au combat, comme dans la grande scène de baston dans le hangar où le gangster et le flic s’associent pour de bons en affrontant leurs adversaires.

Au cinéma, les serials killers sont très organisés, intelligents, méthodiques. Ils incarnent un Mal absolu aux contours définis.  Le vôtre a une façon inattendue de se comporter : il est souvent désorganisé et change  de mode opératoire. Avez-vous voulu prendre le contre-pied de l’imagerie du serial-killer ?

Effectivement, c’est le personnage le plus difficile à écrire, on n’arrive pas l’appréhender et à saisir son essence. J’ai lu beaucoup de livre en amont sur les serial killers – notamment américains. C’est aux Etat-Unis  que la littérature de profiler est la plus abondante. Leur point commun le plus évident  est que tous ces tueurs en série n’ont pas de motif pour faire ce qu’ils font.  Cet absence de mobile est ce qui rend leur arrestation difficile. Ils sont imprévisibles. C‘est que j’ai voulu transmettre à l’écran . Je me demandais « pouquoi il fait ça » ? J’avais cherché à lui donner un background plus complexe, mais j’ai supprimé beaucoup de choses au tournage, ça serait devenu trop lourd de trop exposer la vie des trois personnages principaux. Mais à la fin, je révèle tout de même quelques éléments sur qui il est.

Comment avez vous choisi l’acteur KIM Seong Kyu ?

On peut le voir dans une série Kingdom, il a des yeux inoubliables. il fallait un acteur qui, malgré les horreurs qu’il commet, puisse être instantanément inoubliable.

Il y a deux références au christianisme (un plan sur un hôpital chrétien, une autre fois dans les dialogues). Est-ce que le film est une relecture (blasphématoire ?) de la Trinité (le père le fils, le saint-esprit) ?

 A l’époque, quand j’ai commencé à l’écrire, il y avait beaucoup plus de références à la religion, j’en ai beaucoup enlevé au tournage, mais visiblement vous avez remarqué les quelques unes qui restent. J’ai choisi le christianisme uniquement parce que c’est une des religions les plus répandues dans le monde.

Dans la religion il y a toujours ce message d’amour pour son prochain qui est véhiculé, ce qui n’empêche pas certains prêtres de commettre des exactions insupportables. Ce  n’est donc pas pour lancer la pierre à cette religion ou aux religions en général que j’ai mis ces références, c’est plus pour interroger la relativité du bien et du mal, qui existe chez tous les individus, même les plus ouvertement vertueux.

Dans la vie, les gens normaux, comme vous et moi peuvent aussi mal se comporter. J’avais envie de montrer que les gens qui paraissant les plus gentils peuvent aussi faire des choses horribles. Le bien, le mal, tout cela est relatif. Le but de mon film était de mettre en perspective ces différents niveaux de relativité. 

 

Merci à Pascal Launay et à la traductrice Ah-ram Kim

mercredi 27 mars 2019

SUSPIRIUM









Le remake de Suspiria signé Luca Guadagnino aura été accueilli de façon sévère dans l’ensemble, en tout cas en France (même si le film a été un échec commercial aux Etats-Unis, au moins la critique fut -elle plus positive). Les fans de fantastique pur et dur lui on reproché sa prétention, son enflure, et d’être une insulte au film d’Argento, d’avoir été fait pour un public qui n’aime pas le fantastique ; les fans de films d’auteur intello,  à qui le film était supposément destiné selon ses contempteurs, l’ont souvent trouvé laid et bête. On a envie de reprendre ce que Chris Marker disait de l’accueil négatif au nord et au sud de son livre de photos sur la Corée (du Nord), « On peut se flatter de ce genre de symétrie, se comparer à Charlie Chaplin à la fin du Pélerin lorsque, canardé par les deux camps, il marche, un pied devant l’autre, sur la frontière, et se dire que lorsqu’on se fait flinguer des deux côtés on a quelque chance d’être sur la bonne route ».

La comparaison avec le livre markerien n’est pas totalement hasardeuse, puisque comme la Corée coupée en deux, Suspiria 2018 se déroule dans le Berlin de 1977 scindé par le mur qui porte le nom de la ville. A l’Est la partie sous l’égide soviétique. A l’Ouest la partie occidentale. La scission est le motif qui organise Suspiria, où tout est double. Déjà, parce c’est tout simplement le remake du sublime film de Dario Argento dont il ne reprend que quelques éléments : le synopsis, le nom des personnages parfois distribué différemment, des embryons de scènes, mais aussi le célèbre lustre en verre. C’est une version en miroir, mais en miroir brisé où le film original se diffracte tellement qu’on peut ne plus le reconnaître (au grand désespoir de certains admirateurs). Cette métaphore est littéralement figurée par le film où deux salles de répétition cohabitent, une grande où s’organisent les danse en groupe ; une plus petite où se déroulent les auditions mais aussi les meurtres. Les deux pièces sont liées magiquement ; pendant que Susie danse dans l’une, Olga est démembrée dans l’autre au rythme de la chorégraphie de l’héroïne (dans une scène qui s’impose déjà comme un classique de l’horreur). Double comme le conscient et l’inconscient, d’où l’introduction d’un personnage de vieux psychanaliste hanté par la perte de sa femme pendant la seconde guerre mondiale et d’un name dropping amusé (« Ach, Lacan ! »). Double comme les sorcières vivant dans l’école de danse tiraillée entre leurs deux chefs putatifs, Madame Blanc, la chorégraphe, et Héléna markos, celle qui a crée la compagnie et qui vit désormais sous une forme putride - et hilarante - dans les sous-sols du bâtiment.
Luca Guadagnino et son scénariste David Kajganich nont en quelque sorte repris l’original pour combler les trous par les obessions qui les taraudent : la danse comme expression de la sorcellerie, la culpabilité allemande suite à la seconde guerre mondiale et le réveil des consciences, la psychanalise, « l’empowerment ». Tous les deux ont rajouté du background, des flash-backs, des personnages secondaires, des scènes annexes jusqu’à transformer une intrigue simple voire simpliste en fresque monstrueuse. On pourrait trouver que cette obession à bétonner l’histoire pourrait aboutir à un film lourd et indigeste, mais le génie de ce Suspiria, est de se servir de cette emphase et de ce trop-plein  pour mettre en valeur le mystère absolu de ce récit, tout en regard intense, en mains qui se serrent et en personnages féminins opaques. Si beaucoup ont évoqué le malaise pour le décrire, il nous semble au contraire que ce film est chaleureux et doux. On boit des cafés pendant qu’il neige dehors, on se serra comme des soeurs au fond du lit pour se réconforter, on mange dans des brasseries avec le sentiment satisfaisant de la communauté réunie, et on trouve enfin le repos éternel  - certes avant d’en arriver là, il a fallu que la moitié du casting voit ses têtes exploser dans des gerbes de sang.
Finalement, le cinéma auquel fait le plus penser Suspiria  est finalement moins argentien ou fassbinderien que britannique.  Il nous semble que son ambition, sa folie, sa richesse, sa joie, nous rappelle les films d’un autre duo, Michael Powell et Emeric Pressburger. Suspiria, c’est en quelques sorte Les chaussons noirs meets Le narcisse rouge. Et de se souvenir que ceux « Les Archers » (du nom de leur société de production ) avaient eux aussi été accusés en leur remps des mêmes maux que ceux qu’on reproche aujourd’hui à Suspiria.  Alors n’attendons pas quarante ans avant de donner à ce film hors norme la place qu’il mérite.
Markos !

mardi 26 mars 2019

BLANCHEUR



Les volets sont fermés, le noir tout engloutit 
L'obscurité plonge la pièce dans les ténèbres
Aucun  bruit ne trouble l'humeur du lieu-dit 
La mort soumet au monde son mortel algèbre
Soudain, une lumière blanche illumine le lieu sans vie
Son foyer se trouve sous les draps dans le lit 
C'est la peau blanche de la Femme qui dort 

vendredi 15 février 2019

Le cinéphile

La chevauchée fantastique (1939)

"Bien que j'ignore si je suis moi-même libéral ou conservateur, je suis stimulé par la haine qu'ils se témoignent les uns les autres. En fait, cette haine me parait être l'un des rares signes de vie encore discernables dans le monde - voilà autre chose, sur notre terre, qui est sens dessus dessous : tous les gens aimables me semblent morts ; seuls les gens pleins de haine me paraissent vivants".
Le cinéphile, Walker Percy

mardi 1 janvier 2019

Top 2018



Sophia Antipolis de Virgil Vernier


1- Suspiria (Luca Guadagnino)
2- Le 15h17 pour Paris (Clint Eastwood)
3- Under the silver lake (David Robert Mitchell)
4- The other side of the wind (Orson Welles)
5- Un couteau dans le cœur (Yann Gonzalez)
6- Boarding School (Boaz Yakin)
7- Wonder Wheel (Woody Allen)
8- L'empire de la perfection (Julien Faraut)
9- Lady Bird (Greta Gerwig)
10- L'ombre d'Emily (Paul Feig)
11- Mom and dad (Brian Taylor)
12- Mandy (Panos Cosmatos)
13- Sophia Antipolis (Virgil Vernier)
14- Mektoub my love (Abdellatif Kechiche)
15- L'homme qui tua Don Quichotte (Terry Gilliam)

Meilleure réplique : "Brother fucker!" (L'ombre d'Emily)
Plus belle scène de fin : L'île au trésor (Guillaume Brac)