Plongée dans les milieux gays underground à New York au
milieu des années 70, le titre laisse présager des visions infernales. Ce qu’il
ne manquera pas de nous donner, on y reviendra, mais l’ouverture, où le héros
débarque à l’aéroport de JF Kennedy, affublé
d’un cocasse et affreux manteau de fourrure, montre que ce film ne manquera pas
non plus d’humour.
Un panneau introductif met en place la situation. En Juin, Paul
a quitté Paris, et Jérôme, l’homme à la fourrure, pour aller à New York passer
une semaine. Tous les jours, il écrit à son compagnon pour lui raconter le choc
culturel qu’il éprouve là-bas. N’oublions pas, qu’au milieu des années 70, l‘homosexualité
est interdite en France. Alors qu’il doit rentrer, il écrit à Jérôme pour lui
dire qu’il ne reviendra pas, préférant rester là-bas. Six mois plus tard, en décembre,
Jérôme rejoint New York à son tour, les lettres de son ami en poches, pour
tenter de comprendre l’expérience qui a changé la vie de Paul. Le film se
déroule sur une semaine, chaque jour étant scandé par une lettre de Paul
(lettres lues en anglais… Paul serait-il anglo-saxon ? le film ne
répond pas à cette question).
Moustache réglementaire et physique massif, Jérôme prend le
taxi et échange avec le chauffeur, qui se touche l’entre jambe en regardant
dans son rétroviseur le français. Il invite rapidement son passager à venir s’asseoir
devant. La discussion embraye– en français, le chauffeur ayant fait, apprend on
de sa bouche, des études de médecine en Belgique - sur les lieux de drague
homo, dans le « Village » (Greenwich Village). On y trouve même des
salles « dans lesquelles des hommes
se retrouvent autour d’une baignoire », parce que c’est « plus propre ».
Pendant ce temps, défilent des vues de New York. Cut. Dans un entrepôt de
stockage de viande (on ne saura pas comment ils sont arrivés là), Jérôme et le
chauffeur, nus, font l’amour entre les carcasses de viande suspendues au
plafond ou des restes jonchant le sol. Comme une façon de prendre au pied de la
lettre ceux voyant la pornographie comme un étalage de barbaque. Le film aimera
bien jouer tout du long de la
tautologie, comme quand la caméra cadre des graffitis avec inscrits «FUCK sur
les murs pendant les séquence de baise. La séquence est musclée, les deux
hommes se fistant d’entrée de jeu.
Le film continuera sur ce mode déambulatoire. Jérôme arpente
les quais, et zone dans des bâtiments désaffectés, jonchés d’étraves de bois, où cruisent
policier stéréotypé (casquettes, lunettes
noires, moustaches, matraque tenue bien fermement) et gay en recherche de
plaisir oral. Dans les toilettes d’une salle de billard, des hommes attendent
assis sur les chiottes, le sexe bandant à la main qu’on vienne les satisfaire.
On ne l’a pas dit, mais la musique est signée Henri Morelli,
le co-fondateur du Village People. L’intégralité du premier album du groupe
sature d’ailleurs la bande- son , les morceaux étant passés in extenso. Ca fait
mal aux oreilles, c’est insupportable, mais cette musique criarde et
hystériquement joyeuse plaquées sur des
séquences sauvages dans lesquelles les acteurs ne semblent éprouver aucune
émotion, finit par créer une ambiance quasi hypnotique.
Le film est un documentaire saisissant sur ce quartier à l’époque.
Le réalisateur prend le temps de s’attarder, notamment dans une séquence chez
un tatoueur, où Jerome entame la conversation avec une jeune femme venue se
faire tatouer, expliquant sa passion pour la vie nocturne new yorkaise et pour
les gays, qui sont l’essentiel de ses amis, parce qu’ils savent faire la fête
et ont de l’esprit.
Le film a été réalisé par Marvin Merkins, le pseudonyme de
Jacques Scandelari. Etrange de prendre un pseudo alors que Scandelari signe au
générique de son vrai nom le scénario. Le reste de l’équipe technique utilise
visiblement sa vraie identité puisqu’on y trouve le désormais prestigieux
mixeur Dominique Hennequin, ainsi que l’ineffable
François About à la caméra.
Chef opérateur talentueux, François About a signé la photo
de La maison des bois de Maurice Pialat
et des films de Philippe Valois (Nous
étions un seul homme, Johan ),
avant de ne plus tourner dans les années 70 et 80 pratiquement que du X (homo
ou hétéro). Cadreur de génie, la réussite du film lui doit énormément, le film
regorgeant de plans incroyables, comme ce mouvement arrière dans la largeur d’un
appartement laissant deux amants finir de s’éteindre en fond de cadre tandis qu’on
découvre au premier plan, sur une commode, un chat regardant de façon
désintéressée la scène. Son grand tour de force reste évidemment l’avant dernière scène. Dans une grande pièce vide, une sorte d’échafaudage en bois est
fabriqué. Sur la scène, une jeune femme brune (une poétesse-rockeuse, Camille O’GRady)
micro à la main. Elle est accompagnée d’un batteur et d’une personne au
clavier. S’en suit un morceau psychédélique d’une dizaine de minutes. Partout dans la salle, des dizaines d’homos se
fistent, se fouettent, se tiennent en laisse, se sucent, se touchent. C’est une
gigantesque baise rythmée par les cris de la chanteuse et un clavier devenu
fou. La caméra saisit des angles bizarres et se faufilent au milieu des corps
enchevêtrés avec aisance. A la fin de la scène, Jerôme, retrouve son ancien
amour, Paul, dominé par un autre.
Le film se termine sur une scène de sexe à trois, entre
Jérome, Paul et le maître de Paul (« Tu devras devenir le maitre de
son maître pour le récupérer » lui
avait dit une sorte d’oracle barbu le guidant dans la nuit new yorkaise). A la
fin, Jerôme retrouve son manteau de fourrure , l’aéroport JFK, mais il retourne
à Paris avec son petit ami.
La puissance documentaire du film confère au film une
ambiance à la lisière du fantastique tant on a du mal à croire ce qu’on voit.
A la projection du film au Forum des Images, pendant L’étrange
Festival, François About était présent.
Il expliqua que le film fut conçu comme un documentaire, lui
filmant ce qui se présentait. La longue séquence psychédélique finale ne fut
pas préparée. C’était là, et l’équipe a filmé.
François about explique qu’il eut la confiance des gens
parce qu’il était venu quelques temps à New York avant, afin de repérer les
lieux. Quand ils sont venus pour tourner, les participants étaient en
confiance.
Selon lui, le réalisateur préférait draguer que s’occuper du
film et lui laissait carte blanche. François About : « Scandelari m’a
dit « filme, j’assurerai au montage » », ce à quoi About
ajoute qu’ « il a effectivement assuré ! ».
William Friedkin aurait demandé à voir le film (pendant la
préparation de Cruising ? ou peut être ce film lui donne l’idée de faire
Cruising).
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