Peinture à Vitry sur Seine |
jeudi 27 mars 2014
lundi 24 mars 2014
L'homme qui n'aurait pas dû être là
Ce matin, j'avais un rendez-vous professionnel. A l'accueil, je donne mon nom, la jeune fille ne me trouve pas dans son planning. Elle me demande pour quel film je viens, je lui donne le titre, toujours rien. Les secondes s'écoulent comme si elles duraient des heures. Je lui propose d'appeler la personne avec qui j'ai rendez-vous pour mettre fin à ce moment gênant, mais elle n'est visiblement pas disposée à le faire et continue de scruter son écran en me disant que, non, elle ne me voit pas dans son planning informatique. Je lui donne d'autres noms de personnes que je connais dans l'entreprise pour qu'elle les contacte, dont une que je vois d'où je suis derrière la vitre de son bureau, elle n'en démord pas et continue de chercher mon nom qui n'y est pas.La vie est parfois faite de ces moments insignifiants, mais allez savoir pourquoi, terriblement humiliants. Toujours pas décidée à prendre son téléphone pour appeler la personne que je dois voir, elle demande à sa collègue de chercher de son côté. Comme je ne suis pas du genre à m'en prendre à une hôtesse d'accueil surtout pour un motif aussi dérisoire, j'attends en me disant que tout ceci va se solutionner miraculeusement dans les minutes qui viennent. Le miracle advint : la personne que je devais voir passer justement dans le couloir. Elle vient me saluer... pour finalement se rendre compte que notre rendez vous n'a pas été pris en compte et qu'il lui est impossible de l'assurer. Je repars.
Le soir, rendez-vous chez le médecin, calé depuis quinze jours. Pas mal de monde dans la salle d'attente. J'attends. Une des personnes se plaint que le docteur a plus d'une demi heure de retard, je ne m'inquiète pas trop et prend mon mal en patience. Le temps passe, la salle d'attente se vide. Je suis seul. Bientôt mon tour. Mon médecin arrive et me demande si j'attends sa collègue. Visiblement il ne me reconnaît pas. Je lui dis que c'est avec lui que j'ai rendez vous. Il me répond que c'est impossible, que son dernier patient de la journée vient de partir. Je lui tend la carte que lui même avait écrite deux semaines où était indiqué le jour et l'heure de notre rendez-vous. Malgré cette preuve accablante, il a l'air dubitatif. Il me dit de venir dans son bureau, il consulte son agenda où je ne suis pas inscrit. Il finit après avoir longuement ausculté son calendrier par lâcher un "c'est surement de ma faute" mais sur un ton qui laisserait à penser qu'il n'y croit pas vraiment que ce soit de la sienne, alors que de doute il n'y en a objectivement aucun.
La soirée se finit comme elle a débuté. Comme si avoir été là ce jour était une erreur pour les autres.
lundi 10 mars 2014
Chris Marker vu par Terry Gilliam
Quand
avez-vous vu La Jetée pour la
première fois ?
J’ai découvert La Jetée lors de la première de L’armée des 12 singes à Paris. Je n’en
n’avais vu que des photos jusqu’alors. C’est un film extraordinaire et j’ai été
bouleversé par la puissance du seul plan en mouvement. Cette scène restera
gravée à jamais en moi.
Est-ce
que L’armée des 12 singes est
vraiment un remake de La Jetée ? (et
est ce plus facile de « refaire » un film qui a des spécificités
aussi précises : court métrage / noir en blanc / Que des photos) ?
Les scénaristes de L’armée des 12 singes, David et Jane
Peoples, ont écrit le scenario en évitant que c’en soit un. Il était convenu
d’un commun accord avec Chris que le scénario s’inspirerait de La Jetée mais n’en serait pas à
proprement parlé un remake. Bien que j’avais vu des photos du film de Marker,
je me suis refusé à visionner son film avant de tourner le mien, je ne voulais
pas que sa vision me pousse à vouloir lui être fidèle. J’ai travaillé à partir
du scénario de David et Jane et j’ai tenté de mettre en image leurs idées. A
mes yeux, La Jetée est un film
parfait. Pour filer la métaphore, c’est un gland duquel à germer un grand arbre
touffu, L’armée des 12 singes… Deux
développements différents de la même idée.
Avez-vous
déjà rencontré Chris Marker ? Saviez-vous qu’il aimait beaucoup L’armée des 12 singes ?
J’ai
rencontré Chris une fois seulement, au Midnight Sun Festival en Finlande où je
présentais L’armée des 12 singes (en
1996 probablement). Nous avons pris le petit déjeuner ensemble. J’étais très
heureux qu’il apprécie mon film. Nous sommes restés en contact via e-mail
jusqu’à sa mort. Ce fut un grand honneur de l’avoir connu.
Parmi
ses autres films, lequel est votre favori ?
Sans Soleil se
détache très nettement. Mais j’ai aimé tout ce qu’il a fait avant sa mort, ses
photos dans le métro [Passengers], sa galerie d’images en ligne. Il cherchait
continuellement de nouvelles façons de partager ses points de vue et ses idées.
Comment décririez-vous Chris Marker ?
Un cinéaste poète, politique, humaniste, avec un œil perspicace, un cœur bienveillant, et dotée d’une vision tranchante et d’une honnêteté brutale dans l’approche de son sujet.
Chris Marker vu par Kim Chapiron
Entretien avec Kim Chapiron.
Le voisin.
Fondateur avec Romain
Gavras du collectif mal élevé Kourtrajmé, il a depuis réalisé le délirant Sheitan et le puissant Dog Pound. En 2014 sortira son nouveau
film, La crème de la crème.
En 1986, j’avais six ans, j’ai emménagé dans un immeuble à
Paris avec mes parents, et Chris Marker habitait là, au premier étage. Avant de
connaître ses films, je l’ai donc connu comme un voisin, un voisin
collectionneur de hiboux et de chats. C’était un personnage de l’immeuble.
En grandissant, il est devenu un guide incroyable. J’allais
souvent chez lui avec Romain [Gavras] lui emprunter des cassettes, notamment de
films fantastiques. Je l’ai rencontré souvent dans les années 90, à l’époque où
est sortie Level 5. Moi j’essayais de
comprendre le film, avec mes armes de jeune garçon.
Avec Romain, nous avons commencé à tourner des courts
métrages et nous lui montrions. Il était exigeant mais encourageant. Par
contre, il nous renvoyait à la figure nos courts-métrages violents ou préférait
ne rien dire. Il était plus sensible à ceux avec de l’humour. Mais il était
toujours bienveillant malgré nos provocations, bienveillant comme le sont ses
films. Je m’en souviens comme d’une très
belle période. Il était ouvert à la discussion, on pouvait rester des heures
chez lui à parler. Il était d’une culture impressionnante, avec beaucoup de
références que souvent nous ne connaissions pas. Une montagne de savoir mais il
faisait passer les choses en douceur, avec le souci d’apprendre. Et nous avions
ce désir d’apprendre. Nous étions très impressionnés et je me souviens qu’avant
de se rendre lui, nous savions que nous allions passer un moment privilégié.
Le film de lui qui m’a le plus marqué fut Le fonds de l’air est rouge. Ce
traitement des couleurs, cette façon d’analyser l’information, ne jamais figer
les images. Depuis, dans tous mes films, je case une scène où les personnages
regardent ce film. Ce sera d’ailleurs le cas dans le prochain.
Une chose qui m’a marqué dans ce qu’il m’a dit c’est ce que
si on mettait des choses très personnelles dans ses œuvres, on touche forcément
des gens. Un détail, insignifiant pour la plupart du monde, trouverait un jour
une résonnance auprès d’un spectateur.
C’est très bien qu’avec cette exposition et ses sorties DVD
les gens découvrent ses œuvres. Moi-même je n’ai pas tout vu. On est à l’heure où on met les artistes en avant,
parfois plus que leurs créations. Chris a toujours voulu se protéger de cela,
même s’il avait un rapport ludique avec son œuvre.
vendredi 7 mars 2014
Chris Marker vu par Yves Angelo
Mémoire pour Simone |
Deuxième entretien. Cette fois ci c'est Yves Angelo qui évoque Chris Marker (version intégrale de l'entretien paru sur Premiere.fr).
Entretien avec Yves
Angelo, directeur de la photo, réalisateur.
Il a travaillé en
tant que directeur de la photo avec Chris Marker sur Mémoire pour Simone son film hommage à Simone Signoret et le clip
d'Electronic Getting Away with it.
Quand avez découvert
les films de Chris Marker ?
Dans les écoles de cinéma, La Jetée était un film incontournable. J’ai étudié ce film lorsque
j’étais à l’école Louis Lumière, plan par plan. Chris Marker représentait un
cinéaste important, avec un vrai regard. La
Jetée c’était une façon différente de faire du cinéma, différente de qu’on
nous apprend à faire. Jouer avec le matériau. Quelle sensation peut provoquer
une image. Son regard dépassait la simple histoire. Il la transcendait. Grâce à
son regard, il transcendait le côté inanimé. Il le rendait mouvant. Comme un
peintre. Il y a quelque chose qui était de l’ordre de l’aimantation. Comme
quand on est devant une toile, qu’on peut aimer sans forcément comprendre ou
comme un poème qu’on peut aimer sans forcément percevoir le sens. Je ne
connaissais pas de camarades cinéphiles qui ne s’intéressent pas à son travail.
Je crains qu’aujourd’hui dans la jeune génération, ses films soient moins
connus. J’ai suivi toutes les sorties de ses films, Sans Soleil, A.K.
Quand l’avez-vous
rencontré ?
Je l’ai rencontré en 1984, grâce à Pierre Lhomme qui m’avait
recommandé à lui. C’était pour son documentaire consacré à Simone Signoret, Mémoire pour Simone. Chris Marker était
un homme complexe. Mais j’étais à l’aise avec lui. Il parlait peu, s’exprimait
sur le plateau en métaphore. Il vous amenait à être créateur à sa demande. J’ai
été émerveillé par le travail avec lui. Rien de hiérarchique dans les rapports.
Il vous laissait un espace de liberté alors que j’étais jeune et novice. D’apparence
il était froid, fort, rugueux. Mais ce n’était pas handicapant, il donnait
envie de servir sa pensée.
Pour ce documentaire, je me souviens qu’il voulait un plan
où la caméra devait suivre un fil de téléphone pendant qu’il avait choisi pour
la bande son un extrait sonore d’un de des films de Simone Signoret. Le plan devait
être long car l’extrait était conséquent. Je me demandais à quoi devait
ressembler le fil du téléphone pour que le mouvement dure assez longtemps. Devait-il
être droit ? torsadé ? Sinusoïdale ? A quel moment ? Il m’a dit « Sentez la voix à travers ce
fil ». Il ne voulait lui-même mettre en place le fil, le « mettre en
scène ». Il m’a laissé imaginer comment il devait être en fonction de la
voix. J’ai donc adapté le plan à sa demande mais il m’a laissé une totale
liberté pour le mettre en place.
Contrôlait-il le plan
ainsi mis en place ?
Non, Il ne regardait jamais le cadre dans l’œilleton de la
caméra. Il me disait « on va filmer ces bobines de films ». Mais il
ne me disait pas si ce devait être un plan large ou serré, quel objectif je devais
utiliser. Il me laissait choisir alors que j’étais un inconnu pour lui. Ce
genre de situation peut être intimidant. On peut avoir peur de mal faire et
craindre que le réalisateur soit déçu quand il verra les rushes. Mais pas avec
Chris Marker.
Vous avez ensuite
tourner avec lui le clip Getting Away
with it d’Electronic (composé de Bernard Summer de New Order et Johnny Marr
des Smiths)…
Le tournage de ce clip s’est déroulé de la même façon. Nous
étions à Londres où nous filmions le groupe en train de jouer. Il ne me disait
pas quel plan faire et je me retrouvais pourtant à faire un plan que je
n’aurais jamais imaginé seul. Il diffusait l’envie et l’intérêt de faire. Ça
m’a beaucoup marqué. Pour lui l’important n’était pas de faire mais de chercher.
Souvent au cinéma on fait l’inverse, il faut absolument faire tout de suite.
Je me souviens qu’il voulait que des feuilles d’arbre tombent
dans le studio au ralenti. Je lui demandais « la caméra doit-elle suivre
les feuilles ? Les laisse-t-on sortir du champ ? » Il m’a
répondu « Je ne sais pas comment les feuilles vont tomber, alors faites ce
que vous pouvez ». Il ne contrôlait pas. Les maladresses, le hasard faisaient partie du travail. Il ne cherchait
pas à montrer c'est-à-dire décrire. Tout avait un sens à condition que le
regard soit juste.
Pour ce clip, nous avons aussi tourné des scènes en forêt
non loin de Paris. Dans la forêt il ne cherchait pas des plans, et encore moins
LE plan, mais des ambiances. Il disait en montrant un endroit « là c’est
bien . Il vous permettait d’accéder à un espace supérieur au vôtre. Il
était d’un magnétisme que je n’ai jamais rencontré ailleurs.
C’est drôle qu’il aimait autant Akira Kurosawa, c’était
vraiment un des cinéastes qu’il admirait le plus, il avait une admiration
totale pour lui. Mais la méthode de Kurosawa était à l’opposé de celle de
Marker.
A quoi ressemblait
l’équipe de tournage ?
Pour le clip, il y avait un assistant, un électricien et
moi, et c’est tout. Chris Marker aimait faire des choses dans son coin avec des
équipes petites. Il détestait le bruit. Sur le plateau il ne fallait pas
parler. Tout se résolvait simplement pourtant.
Etait-il
directif malgré tout ?
Il était peu directif dans ses indications mais il était
directif dans sa façon d’être. C’est dans cette imprécision qu’il vous guidait.
Le rapport oratoire était faible. J’ai passé des jours avec lui à Londres ou
ailleurs, il parlait à peine, il fallait faire la conversation. Mais ce n’était
pas gênant, il ne mettait pas mal à l’aise. Ce mutisme faisait partie du
personnage.
Il était précis dans l’expression de sa demande, mais vous
laissait l’exprimer techniquement. Tout juste suggérait-il parfois de mettre la
caméra à tel ou tel endroit.
Pour lui la caméra n’est pas un objet sacret. Tout partait
du regard. Pour lui la caméra était le dernier objet sur le plateau, elle ne
vaut rien en tant que tel. Au cinéma, la caméra est sacralisée. Tout le travail
s’organise autour d’elle. Avec lui, la caméra arrivait en toute fin.
Parlez-nous du
personnage…
C’était un solitaire. Il ne s’intéressait pas au succès ou à
l’insuccès. Il était dans le plaisir de faire, pas dans le paraitre. Il se
moquait de ce qu’on pensait de lui sans jamais avoir l‘air hautain pour autant.
Tout cinéaste doit rêver d’avoir une telle liberté. Mais il était très sévère
avec lui-même.
jeudi 6 mars 2014
Chris Marker vu par Yves Simon
A l'occasion de la rétrospective Chris Marker à Beaubourg, cinq entretiens réalisés avec cinq personnalités pour évoquer Chris Marker (initialement paru sur premiere.fr). Premier volet avec Yves Simon, dans sa version intégrale.
Merci à lui
Yves Simon. L’ami.
Chanteur, notamment
de la célèbre chanson du film Diabolo
Menthe de Diane Kurys, romancier, féru de cinéma, Yves Simon a côtoyé Chris
Marker de la place Dauphine à Paris à Shinjuku au Japon.
"Lorsque j’ai vu La
Jetée ce fut un choc. J’avais 20 ans, j’étais en classe préparatoire pour
préparer le concours d’entrée de l’école de cinéma L’IDHEC. Il y avait un
ciné-club au lycée Voltaire où j’étudiais. Donc voir ce film fut un choc pour
moi mais aussi pour tous les gens qui assistaient à cette projection. Le film a
un côté assez immédiat, on se dit même que ça a l’air facile à faire, un film
uniquement constitué de photo (à une exception prêt). Mais on n’en perce jamais
le mystère. Chris m’avait offert le livre tiré du film il y a quelques années.
J’ai beau lire et relire le texte, à chaque fois je me demande où est la
faille, quand le film bascule… C’est un des films les plus importants du 20e
siècle, une œuvre forte comme on n’en rencontre qu’une fois tous les vingt ans.
J’ai suivi les
sorties de ses films. J’ai adoré Sans
Soleil, avec cette écriture où l’on dit « Tu m’écrivais ». Ca
donne un mystère très attachant.
Il adorait les chats, il est venu chez moi photographier un
chat dessiné par M. Chat qui était sur un mur en face.
Il m’envoyait, ainsi qu’à une dizaine d’autres personnes des
images faisant intervenir son avatar, Guillaume-en-Egypte, commentant
l’actualité. Mais avant l’Internet, il le faisait déjà par fax. J’ai des piles
de fax de lui de ce genre.
Nous nous sommes beaucoup retrouvés autour du Japon. J’ai
fait 35 voyages là bas, et deux fois nous nous sommes vus à Tokyo. Nous nous
promenions la nuit dans la ville, nous adorions Shinjuku, cet espace protégé au
sein de Golden Gai, plein de bars sur un étage. C’est là que se trouve La
Jetée, un bar tenu par Tomoyo Kawai , une cinéphile japonaise férue des
films de la Nouvelle Vague. Là bas on pouvait croiser Wim Wenders, qui a
d’ailleurs tourné son documentaire Tokyo Ga dans lequel il y a une scène où il
essaie de filmer Chris. La tradition était de venir avec une bouteille de
whiskey et de la déposer avec un mot écrit au feutre. Lorsqu’une personne
venait boire ensuite cette bouteille elle laissait à son tour un mot.
Un jour je reçois une carte du Japon signée Chris / Wim /
Francis. A son retour, je lui dis que je sais qui est Wim(Wenders) mais je lui
demande qui est « Francis ». Il me répond
« Coppola ! ».Il était admiré de beaucoup de cinéastes.
Tomoyo venait une
fois par an en France pour le Festival de Cannes et nous nous retrouvions avec
elle et d’autres amies japonaises communes. Je voulais le prendre en photo avec
elles mais il ne voulait pas. Chris a écrit un livre magnifique sur le Japon, le Dépays, comprenant des photos et un
très beau texte.
Chris a un talent d’écriture incroyable. Dans Sans Soleil, on entend cette phrase qui
m’avait beaucoup marqué : « Saviez-vous qu’il y a des émeus en
Ile-de-France ? ». C’est tout Chris ce genre de phrase.
Je l’ai rencontré parce que j’habite Place Dauphine, et qu’il
a longtemps habité là. Comme il était désargenté, il était logé par ses amis
Simone Signoret et Yves Montand (il avait rencontré Simone Signoret au lycée à
Neuilly), au 15 de la place, le couple lui prêtait quatre chambres de bonnes
rassemblées là où ils habitaient. Je connaissais Simone Signoret et je l’ai
rencontré par son intermédiaire. Après il est parti habiter dans le 20e
Arrondissement, mais il avait gardé sa banque, la BNP, place Dauphine. Il y
venait tous les mardis. Donc on retrouvait souvent à ce moment pour discuter.
Quand Simone est morte, j’étais avec Chris, je lui ai
demandé comment ça allait, il m’a répondu « Je bétonne ».
Je voulais écrire un livre en 1983, Océans, où j’évoquais les années 60 et mon adolescence. Mais il y
avait peu de documentation sur l’époque. J’ai demandé à Chris s’il n’avait pas des
documents et il m’a dit qu’il avait justement une collection complète de Paris
Match de cette décennie. Ca pesait au
moins 50 kgs ! Il avait acheté cette collection pour Pierre Goldman
lorsqu’il était en prison [Pierre Goldman était un intellectuel d’extrême
gauche, condamné pour des braquages, et assassiné mystérieusement] , mais
Goldman est mort, et il n’a jamais pu lui donner. Ce que Chris ne savait pas,
c’est que Pierre Goldman apparaissait dans mon livre à travers un personnage que
j’avais appelé Schatzberg. J’offre mon livre à Chris, il ne savait pas pour
Goldman. C’est là qu’il m’a dit « Il n’y a pas de hasard, il n’y a que des
miracles ».
Il portait une tenue, non pas militaire –il était trop anti
militariste pour cela -mais plutôt de baroudeur, une veste kaki. Il avait le
crane rasé, un visage très mince, ascétique. Il mangeait peu et buvait du thé.
J’ai écrit le personnage de Lou Stalker dans mon roman Le voyageur magnifique en pensant à lui. Stalker c’est évidemment un hommage à Tarkovski qu’il vénérait (moi
moins !) autant qu’Akira Kurosawa. Mais je ne lui ai pas dit que j’avais
écrit ce personnage en pensant à lui, je savais qu’il n’aimait pas sa propre
image.
Je lui ai toujours envoyé mes romans et mes disques. Sur les
romans, il me faisait des commentaires attentifs, c’était un très bon lecteur.
Mais pas sur les disques. Il m’avait dit qu’il aimait beaucoup « Les
merveilles de Juliet », parce que ça parlait de cinéma, mais je ne crois
pas qu’il aimait beaucoup les chansons de façon générale. Il préférait la
musique classique ou les musiques de film.
Il a fait une exposition Passengers
de photos prises secrètement dans le métro parisien. Mais j’avais déjà reçu
toutes les photos au fur et à mesure qu’ils les prenaient (le projet
s’intitulait alors « Metroscop »). C’était un homme d‘une culture
immense mais il partageait toujours son savoir.
Quand il est décédé, je n’imaginais pas que sa disparition
aurait un tel retentissement. J’ai lu
des articles érudits le concernant. Je n’imaginais pas cela. Quand je le
mentionnais dans des entretiens, j’avais souvent l’impression qu’on ne voyait
pas de qui je parlais.
Ce fut une chance immense pour moi de l’avoir connu".
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