samedi 2 février 2013
Les lois de l'attraction - La mécanique des sentiments
Loi : Énoncé de phénomènes dans un domaine particulier. Ex. : les lois de l‘apesanteur.
Attraction : Force qui attire, qui fait qu’un corps en attire un autre
« Ce n’est pas à cause de l’attraction terrestre que des gens tombent. . . amoureux ! » Albert Einstein
Les Lois de l’Attraction est un titre à la limite de l’oxymore. L’attraction amoureuse, puisque que c’est de celle-ci qu’il s’agit, n’est pas censée être régie par des lois physiques que le scientifique pourrait définir. C’est pourtant l’expérience à laquelle se livre Roger Avary en adaptant le roman de Bret Easton Ellis.
Soit trois cobayes : Sean (James Van Der Beek), blondinet méprisant, amateur de drogue, vomissant son cynisme et sa prétention à la face du monde. Lauren (Shannyn Sossamon), brune séduisante, mais inhibée, obnubilée par le grand amour mais embarquée dans des histoires impossibles. Paul (Ian Somerhalder), homosexuel discret et ultra beau gosse.
Soit un lieu d’expérimentation : un lycée huppé du New Hampshire quelque part dans le temps (le roman était ancré dans les années 80 ; le film opte pour une époque nettement moins identifiable).
Que se passe-t-il lorsque nos trois cobayes sont mis en présence les uns des autres ainsi que de plusieurs corps tiers : Victor, le bellâtre qui fait tomber les filles mais est d’une inconsistance crasse ; Lucie, l’amoureuse transie mais transparente ; une étudiante nymphomane (Jessica Biel) ; un professeur priapique (Eric Stolz) ; un dealer (Eric Szamda) ?
Les Lois de l’Attraction passe en revue les possibilités, les interactions possibles, les rapprochements parfois mais surtout les haines, les antipathies et pire, les indifférences. Avec cette conclusion qu’on reste toujours seul et que les lois de l’attraction seraient plutôt celles de la répulsion.
Il y une réelle étrangeté dans la façon dont sont figurés ces humains à l’écran. Certains sont figés dans des expressions inquiétantes, tel ce regard noir que porte James Van Der Beek tout au long du film, sa façon de mâchonner en tordant la bouche, son front gigantesque (un des signes distinctifs de l’acteur), accentué par des contre-plongées le faisant ressembler à Jack Nicholson dans Shining, les yeux finissant presque par disparaître sous l’apique du crâne. D’autres personnages, comme Victor, semblent zapper leur entourage (Lauren vient le voir : il ne la reconnaît pas), et quand des souvenirs affleurent, comme ceux du voyage en Europe, cela se limite à un catalogue, sans mise en perspective, sans analyse ni classement, sans émotion… Le langage bégaie, la compréhension de choses même simples semble perturbée. Ainsi, au début du film, Sean se présente à une jeune fille, chacun répétant plusieurs fois les mêmes informations dans un dialogue de sourd. L’obscénité règne. De Sean qui besogne laborieusement une conquête d’un soir au prof qui demande une fellation à son élève amoureuse, en passant par les garçons dansant dans des poses suggestives sur le Faith de George Michael, ou par Richard mimant de façon graveleuse des actes sexuels devant la mère de Paul (scène reprise à l’identique du livre). Les visages sont déformés, les corps s’agitent frénétiquement. Sarabande grotesque.
A plusieurs reprises, on a l’impression que les Lois de l’attraction se déroule, non pas sur un campus, mais dans un hôpital psychiatrique où seraient internés des jeunes gens beaux comme des dieux mais désaxés. Ou alors, que ces personnages seraient des automates ressemblant à s’y méprendre à des humains mais qui n’auraient pas encore été augmentés de ce petit quelque chose qui fait la différence entre Pinocchio et un petit garçon de chair et d’os. On a l’impression qu’aucune loi ne pourra définir les attractions possibles entre ces gens puisqu’ils sont infirmes des sentiments et donc éloignés de toute idée de norme. Le roman d’Ellis était assez cruel et ne rachetait pas vraiment ses personnages. Mais le film est encore plus violent lorsqu’il s’agit de montrer des gens agissant comme des imbéciles (l’écrit est parfois moins brutal que sa mise en images).
Il n’y a pourtant pas une once de condescendance dans le regard d’Avary sur ses créatures entravées. Ses personnages ne sont pas méchants ou hargneux. Ils sont maladroits, privés de sensations, touchants dans leur maladresse et leurs habits trop grands. Ils voudraient de l’amour mais ne savent pas s’y prendre. Et le film ne cesse alors de traquer les moments où l’humain-robot déraille, ne sait plus comment agir pour se colleter au monde. C’est évidemment la triple ouverture dans laquelle les héros se retrouvent dans des situations humiliantes. C’est aussi cette scène géniale dans laquelle Sean, après sa rupture amoureuse, se suicide une première fois par pendaison mais échoue, puis simule un suicide par égorgement à grand renfort de ketchup sur le cou pour impressionner Lauren. Il est évidemment horrible de souffrir sans que l’autre ne le sache (c’est pour cela que la colocataire se suicide — parce qu’elle est invisible aux yeux de tous, même du metteur en scène qui la relègue dans un coin de cadre…). Mais lorsque l’autre le sait, cette petite mise en scène devient ridicule car manipulatrice.
A propos de mise en scène, celle d’Avary vient souvent à la rescousse des héros pour pallier l’émotion manquante. C’est la beauté de ce film : le cinéaste n’est pas seulement en position d’entomologiste surplombant son univers. Il intervient dans son théâtre de marionnettes et sort de son rôle de scientifique pour devenir savant fou. C’est la mise en scène qui réunit Sean et Lauren dans le split-screen qui les fait se rejoindre à l’issue d’un long plan séquence filmé simultanément de chaque point de vue. Longue et seule scène ensemble, suffisamment marquante pour imprimer sur le spectateur l’idée de rencontre entre les deux personnages avant leur rupture finale. De même, c’est le pouvoir du Deus Ex Machina-cinéaste qui, dans ladite rupture, vient au secours de Sean, dont les yeux restent secs : c’est un flocon de neige numérique qui tombe sur son œil et glisse ensuite sur la joue pour remplacer la vraie larme qui ne vient pas.
Les Lois de l’attraction est un film profondément triste, mais l’émotion ne vient jamais des personnages eux-mêmes. Leur rigidité robotique ou, a contrario, leurs excès absurdes d’affects court-circuitent tout processus d’identification. Et pourtant, cette façon de filmer les humains de biais au travers de poupées faites de de chair et de sang permet au cinéaste de parler d’Amour, de Solitude, d’Etre-au-Monde de la façon la plus frontale qui soit.
La comparaison flatteuse avec Stanley Kubrick qu’on a souvent faite à propos de ce film n’est pas aberrante. Les Lois de l’Attraction ressemble à un peu à l’idée qu’on se ferait d’un teen movie vu par le grand Stanley s’il en avait réalisé un. Même regard d’entomologiste, même souci de dépeindre avec cette acuité critique l’humanité scrutée à travers un microcosme très spécifique, même froideur, même abstraction apparente dans la peinture de l’humain, et pourtant même talent à provoquer l’émotion de façon non psychologique, uniquement par le regard du cinéaste sur son monde, quand il regarde la machine qui se grippe.
vendredi 11 janvier 2013
Maniac (fin) - Bertrand Betsch
Sortir de MANIAC et réécouter en rentrant chez soi dans le métro cette chanson de Bertrand Betsch, "La complainte du Psycho-killer", tirée de son premier album "La soupe à la grimace". Inoubliable.
http://www.youtube.com/watch?v=VU59t3uYm9g
jeudi 10 janvier 2013
Maniac (4) - Dernière séance
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Dernière séance de Laurent Achard. |
Il y a film récent auquel on pense beaucoup en regardant Maniac de Frank Khalfoun, qui ferait un formidable complément dans un double-programme serial-killer, c'est le très beau Dernière Séance de Laurent Achard. Pourtant on ne peut pas dire lorsque nous avions vu ce dernier qu'on ait particulièrement pensé à Maniac de William Lustig, hormis le fait que ce sont deux films de tueurs en série. Ce qui rapproche Maniac 2013 de Dernière séance, c'est bien évidemment leurs héros trentenaires qui ressemblent à des petits garçons (Pascal Cervo / Elijah Wood) et ne cessent de rêver de leur maman. Ils sont coupés du monde et vivent en autarcie dans un univers figé dans le passé (une veille salle de cinéma projetant French Cancan, de Renoir ; une boutique de mannequins). La nuit, ils rôdent dans la ville à la recherche de leurs proies, usant du couteau pour tenter de déchiqueter le monde extérieur qui les effraie. Ces garçons sont des spectateurs de cinéma. Dans le Laurent Achard, cette donnée fait partie de la fiction. Dans le Frank Khalfoun elle est montrée de façon métaphorique (tout le film en vue subjective, c'est un film du point de vue de la caméra, du point de vue du cinéma) et parfois littérale (le tueur emmène son amie voir Caligari au cinéma). Le projectionniste, le réparateur de mannequins... nous sommes comme eux, cinéphile au teint blafard, cherchant dans l'obscurité de la nuit et des salles cinéma un apaisement à nos tourments.
Maniac (3) - Image du bonheur
Dans Maniac, il y a une image du bonheur : un après-midi éclairée par une lumière orangée, près d'un lac où nagent des canards, en compagnie de la femme aimée. Cet instant durera le temps de son énoncé, la migraine dont est souvent victime Zito venant mettre fin prématurément à ce moment suspendu dans le temps. Mais cette image du bonheur deviendra un fardeau dont il lui sera impossible de se défaire. Image figée, elle désigne à la fois que le bonheur peut exister (la preuve, il fut éprouvé) et en même temps qu'il sera fugace, ponctuel, impossible à reproduire, à peine débuté déjà terminé. Ce morceau de réalité devenu image mentale met en évidence que le reste n'est que solitude et désolation. Avoir éprouvé le bonheur un jour, c'est devoir trainer à jamais le désespoir de son souvenir.
mardi 8 janvier 2013
Maniac (2) - l'oeil du tueur
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Le Voyeur de Michael Powell : le tueur armée de sa caméra surmontée d'une baionette |
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Une image du tournage de Maniac. Le spectateur ne regarde plus le tueur filmer, le spectateur prend la place de l'oeil du tueur |
lundi 7 janvier 2013
Maniac (1)
Dans la catégorie "film réalisé pour des raisons bassement commerciales et donnant au final un chef d'oeuvre", Maniac ferait presque figure de cas d'école. Jugez plutôt : un remake d'un film d'horreur des années 80 parce que tous les classiques du genre y passent, écrit et produit par Alexandre Aja cinéaste qui ne fait plus qu'enchainer les remakes en tout genre en ayant abandonnée l'idée de tourner un film plus personnel, et qui ne réalise même pas celui là, préférant le confier à Frank Khalfoun, ancien assistant réalisateur de son père Alexandre Aracady (sic) et déjà homme de main pour Aja le temps du médiocre P2... Une configuration qui laissait augurer le pire. Et pourtant Maniac est une claque cinématographique, un remake qui respecte à la fois le matériau d'origine tout en proposant une relecture personnelle, un film d'horreur à la sauvagerie effarante, une ballade nocturne inoubliable dans un Los Angeles qu'on n'avait jamais vu filmé ainsi (toutes ces rues commerçantes assez laides, ces ruelles sordides, ces parkings grillagés, ses artères vides), un voyage mental sidérant rythmé par la bande originale hypnotique de Rob quelque part entre Vangelis, Jean-Michel Jarre et les Goblins, et surtout un portrait déchirant d'une âme damnée emmurée dans sa solitude et son impossibilité de communiquer avec autrui, un esprit malade dont le cerveau ne parvient plus à distinguer la réalité des mirages de son esprit (les scènes où il se souvient de sa mère ne sont pas traités comme des flash backs mais sont mis au même niveau que les scènes réelles), et qui a pour seuls amis les inquiétants mannequins de sa boutique qu'il restaure avec amour. Le spectateur dans le noir de la salle de cinéma devient ainsi le temps de la projection le tueur du film grâce à la magie de la caméra subjective et lorsque le tueur meurt à la fin, c'est de la compassion qu'il éprouve pour ce meurtrier abject, mais dont le partage des affres et des tourments le temps de la projection firent de lui un double maléfique.
vendredi 28 décembre 2012
Top 2012
2012
1. Twixt (Francis Coppola)
2. L’âge atomique (Héléna Klotz)
3. Cap Nord (Sandrine Rinaldi)
4. Il n’y a pas de rapports sexuels (Raphaël Sibony, H.P.G.)
5. Margaret (Kenneth Lonergan)
6. The Deep blue sea (Terence Davies)
7.
The Secret (Pascal Laugier)
8.
Matins calmes à
Séoul (Hong Sang-soo)
9. Cosmopolis (David
Cronenberg)
10. Project X
(Nima Nourizadeh)
11. Total Recall
(Len Wiseman)
12. Gebo et l’ombre (Manoel de Oliveira)
13. Cogan – Killing them softly (Andrew Dominik)
14. Le Territoire des loups (Joe Carnahan)
15. Bellflower
(Evan Godell)
16. Damsels in distress (Whit Stillman)
17. Chronicle (Josh Trank)
18. Vous n’avez encore rien vu (Alain
Resnais)
19. Je suis une ville endormie (Sébastien
Betbeder)
20. Un monde sans femmes (Guillaume Brac)
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