« Image de la beauté éternelle, tu n’es pas à moi ».
J’ai découvert ce film en VHS, la seule façon de pouvoir le
visionner à ce jour. Difficile dans ces
conditions d’apprécier au mieux ces « coups de projecteur sur la
beauté », comme Alain Cuny avait cherché à définir son film. Mais comme
c’est la seule version encore existante de ce film quasi-disparu, considérons
cela comme un miracle. Et que la beauté émerge maintes fois de cet amas de
pixels grossiers, de ces couleurs délavées, de cette image tremblante en est un
autre.
L’annonce faite à
Marie est un film étonnant, assez différent de ce que à quoi je
m’attendais. Avec son casting de non professionnels et son austérité revendiquée,
j’imaginais une adaptation de la pièce
dans la lignée des films de Jean-Marie Straub/ Daniele Huillet, les rois des
textes des difficiles mis en image de la façon la plus blanche qui soit (pas de
mouvement de caméra, acteurs récitants le texte de façon sèche, jeu de scène
minimal) ou Robert Bresson (pour ses acteurs amateurs dévitalisés et récitant
de manière monocorde). Voire, Alain
Cavalier dont le Thérèse pourtant
ardu fut un des hits du cinéma français des années 80. Je m’attendais un film à
l’écoute du texte, un film donnant à se plonger dans les mots de Claudel en
simplifiant tout le reste. Le résultat est très différent de cela. La mise en
scène d’Alain Cuny est déroutante et complexe. Quand Chris Marker (qui a dû
apprécier qu’un maneki-neko, ce chat porte bonheur japonais qui lève la patte,
soit visible à plusieurs reprises au milieu de la cuisine moyenâgeuse), dans
son exercice d’admiration, écrit à Alain Cuny (*) qu’il imagine qu’il a fait
son film à l’instinct plus qu’après une longue méditation, il me semble qu’il
vise juste. On sait que Cuny passa vingt ans à tenter d’adapter la pièce de
Claudel au cinéma, et qu’il n’y arriva que tardivement, au crépuscule de sa
vie. Le film ne ressemble pourtant en rien à un film muri depuis trop
longtemps, comme cela arrive souvent quand des cinéastes passent des années sur
leur projet fétiche, et quand ils parviennent enfin à transformer leur rêve en
réalité, le résultat semble curieusement éteint, comme un fruit gâté par le
temps.
La mise en scène de L’annonce
faite à Marie ne ressemble à rien de connu. Elle semble faite par une jeune
personne qui n’aurait jamais vu de film de sa vie, et essaierai d’utiliser la
caméra comme bon lui semble, sans précaution particulière. Le film rassemble à
peu près l’intégrale des figures qu’il ne faut pas faire, en tout cas qu’aucun
cinéaste (bon ou mauvais) ne fait habituellement. Personnage filmés de dos et
de loin ; visages systématiquement masqués par des chapeaux ou la présence
d’un acteur en amorce, faux raccords systématiques, changement d’axe sur un
même personnage sans qu’on sache la raison de ces changements incongrus
(dos / nuque/ menton… presque du Wong Kar-wai !) … A cela Cuny
intercale des images de documentaires animaliers dans lesquels on voit des
insectes se nourrir ou une image de mérou sous la mer intercalée entre des
plans d’un pécheur près d’un trou dans la glace (sur le plan du mérou, il reste
le sous titres du doc dont il est tiré). Ajoutons que toutes les voix sont
post-synchronisées par d’autres acteurs, et que rares sont les plans où le son
est synchrone avec les lèvres des acteurs (scène magnifique où Violaine en off
récite son dialogue tandis qu’à l’écran est projeté un plan figé de l’actrice
les lèvres fermées. Après quelques instants, l’image se remet en mouvement et
elle reprend là où en est le texte off, la chair et l’esprit se retrouvant).
Cela fit dire à la sortie du film à la « Revue du cinéma » que Cuny
employaient tous les moyens du cinéma expérimental le plus éculé.
Je ne crois pas que le film cherche à être
« expérimental ». Je dirai plutôt « empirique ». Il me
semble que c’est un film humble et qui cherche en permanence. Malgré sa
connaissance profonde du texte, Cuny n’avance jamais en donneur de leçon, en
celui qui connaitrait la vérité du texte mieux que quiconque. J’ai l’impression
qu’à chaque scène, il y a une remise en question de l’auteur, une tentative
d’approcher le mystère du texte. Cette mise en scène éclatée est la marque de
cette approche par tâtonnement. Mais aucune maladresse là-dedans. Cuny est un
vieil homme qui a de l’expérience, et cette recherche de la vérité, se fait
avec calme et sérénité. Comme quoi on peut douter de tout, et avancer droit
devant.
Cuny ne cherche pas à filmer les scènes dans leur globalité.
A l’intérieur d’une même scène, il casse le rythme, stoppe le dialogue, ajoute
des plans qui brisent l’osmose entre les acteurs, pour mieux y revenir. Il
cherche à l’intérieur de la scène la phrase qui l’habite, qui lui donne son
sens, autour de laquelle elle tourne. Chaque
dialogue éclate ainsi comme une épiphanie.
Alain Cuny fait un travail qui se rapproche de celui du
peintre, essayant de fixer l’instant par les moyens qui lui sont propres,
donnant à la réalité une apparence transfigurée par la perspective, la couleur,
le trait, le style. Ce n’est pas un
hasard si les costumes exubérants ont été dessinés par Pierre Tal-Coat, ce
peintre breton, ami de Cuny, qui décéda quatre ans avant le tournage. Mais ses
travaux préparatoires ont été conservés. Scène sublime
que celle où Mara vient voir Violaine, lépreuse. Elles sont toutes deux
habillés dans des redingotes noires, on ne voit pas leur visage. Le décor est
une terre enneigée près d’un bois. Les deux femmes sont deux taches noires sur
une surface immaculée. On pourrait avancer que l’approche de ce texte religieux
est celle d’un profane. Le résultat est d’une beauté divine.
Mara et sa soeur Violaine |
(*) Lettre de Chris Marker à Alain Cuny, parue dans le
catalogue du Festival d’automne, 1993.
Merci Nikola pour cette review magnifique!
RépondreSupprimerje cherche depuis plusieurs mois à entrer en contact avec une personne ayant une VHS de ce film / sans aucun succès. Pouvez vous eventuellement m'aider? Merci infiniment! Céline (Mon contact: lepetitchaos(arobase)yahoo(point)com)
Bonjour,
RépondreSupprimerJe recherche également ce film : pouvez-vous me contacter ?
Merci !