A bientôt j'espère

(To Chris M.)

Affichage des articles dont le libellé est Starfix. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Starfix. Afficher tous les articles

vendredi 27 octobre 2017

FAL - THE REWRITE (à propos de Bond, l’espion qu’on aimait de Frédéric Albert Lévy)



FAL - THE REWRITE
A propos de Bond, l’espion qu’on aimait de Frédéric Albert Lévy 






Comme James Bond est célèbre sous son matricule à trois chiffres 007, Frédéric Albert Lévy, homme de lettres, est connu par les cinéphiles pour sa signature reprenant ses trois initiales, FAL. 

Pour les lecteurs de STARFIX qui ont découvert la revue dans leur prime jeunesse, FAL était le rédacteur le plus mystérieux. Le ton très professoral et très sérieux de ses textes faisait penser qu’il était plus vieux que les autres rédacteurs (ce qui était vrai, quoiqu’il n’était pas très âgé non plu, mais il avait dépassé la trentaine quand la plupart des rédacteurs en avaient à peine vingt) ; en plus d’écrire des articles il était concomitamment ou en alternance assistant à la rédaction / secrétaire de rédac’ / traducteur et adaptateur des textes en anglais (de l’anglais britannique avec son ami Tony Crawley, de l’anglais américain avec Bob Strauss). D’ailleurs, si FAL n’est pas anglais, il y a quelque chose d’indéniablement british qui émane de ses écrits, mélange de sophistication et d’humour pince sans rire. FAL doit être le rédacteur qui a le plus écrit durant les huit années d’existence de la revue, performance d’autant plus remarquable qu’il était en parallèle enseignant. Et l’on pouvait parfois penser qu’il était un « troll », comme on dit aujourd’hui en langage 2.0, dans sa propre revue. Qui a dès le numéro 2 a publié un article tiède au sujet MAD MAX alors que plusieurs textes rivalisaient de lyrisme pour saluer la sortie tardive du film ? Qui a mis 2 dans le tableau de cotation à EVIL DEAD alors que tous les rédacteurs lui mettaient la note maximale  4 ? Qui n’a jamais mis de films de James Cameron, John Carpenter dans sa liste annuelle de ses films préférés ? FAL. C’est d’ailleurs le rédacteur qui s’enthousiasmait sur les films les moins starfixien comme Le Roi David de Bruce Beresford ou Local hero de Bill Forsyth. FAL aimait même souvent défendre des films qui ne payaient pas de mine. A tel point qu’on ne fut pas étonné tant que cela que celui qui semblait être le plus érudit défendit vaillamment les films de « gros bras » et on se souvient encore de son brillant article élogieux consacré à Rocky 4. Vilipendé par la presse, cartonné jusqu’aux rédacteurs même de la revue, c’est l’homme féru de latin et de culture classique qui défendait avec ardeur le nouveau Rocky, l’œuvre qui partageait à priori le moins d’affinités possibles avec celles d’un professeur en Khâgne. Si Starfix a pu légitimer chez beaucoup de lecteurs leurs goûts, sa seule présence dans les colonnes n’était pas pour rien dans cette légitimation que la revue paraissait nous offrir. Comme si le professeur avait validé la révolte de ses élèves et les accompagnait, gardant son libre arbitre mais veillant d’un œil bienveillant au respect de l’orthographe et de la syntaxe. Contrairement aux critiques de cinéma en général fascinés par les metteurs tout puissants, il nous a toujours semblé que FAL ne cherchait pas le génie dans les œuvres (le mot génial, employé rarement sous la plume mesurée de FAL, est utilisé pour… Quantum of solace, un des Bond les plus honnis ! Troll un jour, troll toujours),  mais semblait plus sensible à une vision du monde, à l’évolution des êtres à travers le temps. Défendre Stallone et Schwarzenegger, c’était en quelque sorte raconter comment ces acteurs essayaient de se réinventer d’un film à l’autre, souvent par obligation parce que leur palette de jeu les empêchait de le faire à l’intérieur même d’un film. Il leur fallait finalement être plus subtil que les autres pour se métamorphoser. Peut-être était d’ailleurs moins l’acteur qui l’intéressait au fond que le processus de réinvention lui-même, souvent le produit d'une intelligence collective, le travail du critique étant moins de célébrer telle ou telle interprétation, que d’être celui qui mettrait en évidence ces changements. Et finalement quel autre meilleur exemple qu’un personnage qui se réinvente sans cesse d’un film à l’autre, en dehors de la contingence même de l’acteur qui l’incarne ou de l'idée même d'un auteur omniscient qui tire les ficelles, que James Bond ? 

James Bond était dans Starfix le sujet de prédilection de FAL, mais son histoire avec l’espion avait commencé bien avant, journalistiquement parlant j'entends. Bond marque en effet le début de sa carrière dans la presse, puisque son premier texte publié dans une revue professionnelle était dans la revue américaine Cinefantastique pour laquelle il publia un compte rendu du tournage de Moonraker, qui se tenait à Paris. Depuis il n’a jamais cessé d’écrire sur le sujet,  quelles que soient les publications où il officiait. FAL eut même l’extrême gentillesse  de nous offrir lorsque nous œuvrions dans un fanzine tiré à quelques exemplaires, un texte original consacré à Demain ne meurt jamais, écrit spécialement pour l’occasion. Quel plus beau cadeau de voir un des rédacteurs phares d’une revue mythique accepter d’écrire une critique rien que pour vos yeux  - et ceux d’une poignée de lecteurs ?   

Quand en 2017 un hors-série anniversaire de Starfix fut publié vingt-cinq ans après l’arrêt de la revue, FAL écrivit forcément un texte consacré à Bond. Mais il admit que Bond n’était pas forcément le cinéma qui l’intéressait forcément le plus aujourd’hui, mais que le choix d’écrire un article dédié à Bond dans cet ouvrage lui avait paru non seulement évident, mais en plus respectueux vis-à-vis des lecteurs. Ce mélange de fantaisie et de respect des règles est une des lignes directrices de son ouvrage Bond, l’espion qu’on aimait. FAL aime que les films prennent des largesses ou inventent mais à condition de ne pas oublier le cadre original, marque d’intelligence à ses yeux. Ainsi Eric Serra, compositeur de la bande-originale de GoldenEye, se verra-t-il vertement tancé pour avoir voulu être différent à tout prix en oubliant le type de film sur lequel il travaillait, fatuité n’aboutissant au final à n’être ni l’un (original) ni l’autre (efficace). Tout le contraire d’un John Barry, longtemps un des poumons de la série, arrivant sans cesse à se renouveler parce qu’il avait toujours à l’esprit le point de départ.  

FAL serait donc le John Barry de cet ouvrage. Ce qui l’intéresse, c’est la longévité d’une série entamée il y a cinquante ans, et jamais arrêtée depuis. Rien n’a stoppé le succès de Bond : ni les différents acteurs qui l’ont incarnés, ni la fin de la guerre froide qui était un des moteurs dramatiques des premiers films,  ni les mauvais épisodes, ni le fait que des James Bond plus modernes ont envahi le marché (les Mission : Impossible – version cinéma – entièrement construits autour de Tom Cruise, les Jason Bourne). Alors que Bond aurait pu devenir ringard au fil du temps, il a su anticiper les mutations, les époques, peut-être, c'est un peu méchant d'écrire cela, parce que ringard, il l’était déjà un peu au départ. Dès ses origines sur grand écran, le héros de Ian Fleming avait pris pour modèle des formules existantes (FAL rappelle tout ce que Bons baisers de Russie devait à Hitchcock), et que s’adapter à l’ère du temps était dans son ADN tout comme celui de respecter un certain nombre de règles,  comme celle, antinomique avec celle que je viens d’édicter, de ne pas non plus trop se frotter l’ère du temps quand cela devenait diplomatiquement périlleux (poussant par exemple,  les scénaristes à inventer des contrées imaginaires pour ne froisser personne lorsqu’ils s’aventuraient en dehors des conflits considérés comme acceptables –donc nommables  –) . Cette souplesse dans l’approche en veillant à chercher un équilibre instable entre tradition et modernisation fascine l’auteur toujours à l'affut des réflexions collectives derrière ce personnage toujours à réinventer.  

Contre Saint Beuve de Marcel Proust est un des ouvrages de chevet de FAL. Si cet Espion qu’on aimait  n’est pas Contre James Bond, certaines des pages les plus brillantes sont dédiées aux films les moins bons. Dans une partie du livre consacré à des notes sur des films de la série en particulier, il n’y a pas de hiérarchie : les classiques avérés tels que Goldfinger ou Casino Royale côtoient les films les plus médiocres tels que L’homme au pistolet d’or ou  Demain ne meurt jamais.  Et si les films ratés semblent intéressés  FAL autant que les réussites, c’est parce que derrière l’échec se cache toujours une tentative d’avoir voulu inventer ou essayer quelque chose de nouveau. Et souvent, selon l’auteur, telle idée ratée dans tel film se trouvera réutilisée plus tard, plus brillamment dans une œuvre ultérieure, validant rétrospectivement la tentative précédente sans qui la réussite présente n’aurait pu advenir.  Si FAL admire tant les 007, c’est bien pour ce souci d’essayer, de se rendre compte de ses erreurs, pour ensuite recommencer jusqu’à réussir. Et puis c’est parfois le temps qui valide ou non  la réussite d’une œuvre. Ainsi apprend on que Goldfinger causa l’embarras de ses producteurs  qui hésitèrent même à le sortir quand il fut finit, pensant même attendre qu’un autre épisode soit tourné et distribué pour ne pas risquer d’égratigner une franchise en devenir. Raison de ce rejet : une histoire dans laquelle le héros ne fait en fait pas grand-chose et n’a aucune prise sur les événements. Selon FAL, ses créateurs avaient tout à fait raison dans leur analyse, mais ils avaient peut-être manqué leur conclusion : en faisant de ce film une métaphore du processus cinématographique dans laquelle Bond est spectateur des événements, il venait de créer une sorte d’Invention de Morel. 

Ceux qui lisent régulièrement ses textes n’apprendront rien en me lisant, mais il n’existe pas d’écrivain plus dialectique que FAL. Ses textes regorgent de conjonctions de coordinations visant à apposer des nuances à ce qui vient d’être énoncé. Souvent un même paragraphe peut énoncer  une thèse, son antithèse et sa synthèse. C’est d’ailleurs une des choses stimulantes quand on le lit, ce sens didactique à vous expliquer son point de vue sans vous brusquer. Si vous pensez une chose avec laquelle FAL n’est pas d’accord, il ne vous dira pas « Vous avez tort ». Il vous répondra plutôt : « Vous avez tout à fait raison, mais vous n’avez pas poussé les conclusions de votre réflexion assez loin, vous vous êtes arrêtés trop tôt ». L’ouvrage regorge d’exemples de ce genre, je dirais même plus, chaque page est entièrement construite sur ce modèle dialectique.

Bond, l’espion qu’on aimait est un livre à la forme hétérogène. S’il rassemble plusieurs décennies de réflexion sur le personnage, ce n’est pas pour autant une somme monumentale ayant la prétention d’être exhaustive : l’ouvrage fait moins de 300 pages et beaucoup de sujets amusants liée à Bond sont survolés (les gadgets, les James Bond girls), ou plutôt intégrés quand c’est nécessaire dans la matière du texte. Ceux ne sont pas non plus 300 pages écrites d’une traite, comme une synthèse à tous ces articles rédigés à travers le temps. Le livre mélange des textes publiés au fil du temps, parfois complètement réécrits à l’aune des œuvres postérieures, parfois pas. La structure elle-même n’est pas académique : la moitié de l’ouvrage est une étude globale de Bond ; une deuxième partie laisse la parole à quelques cinéastes s’exprimant sur leur rapport à Bond (quitte à n’avoir rien à en dire, cf. Philippe Labro – mais c’est la marque de la fidélité de FAL que d’entretenir des conversations avec certains individus qu’il apprécie de longue date) ; la troisième consiste en des notes sur quelques films. Il semblerait que l’ouvrage ait été au départ pensé comme un recueil, mais l’auteur a unifié le tout quitte à revoir de larges parties des textes. Si FAL aime bien raconter les mutations de Bond, son ouvrage est lui-même le résultat de ses réflexions à travers le temps. Un palimpseste dont on pourrait parfois lire les textes du passé en l’état et à d’autres moments, les parties réécrites aujourd’hui qui masqueraient les versions antérieures. Ce sont différentes strates de temps qui cohabitent tout au long du livre et lui donnent ce relief si particulier.  

C’est sans doute pour cela qu’il nous semble au final que cet ouvrage est moins consacré à Bond qu’à l’auteur lui-même, bien que cela soit totalement masqué. Non pas que FAL abuse du « je », rassurez-vous, l’auteur est trop subtil pour cela : il n’y a pas une ligne de cet ouvrage qui ne soit pas dédiée à James Bond. Non pas non plus que FAL se prenne pour James Bond, mais ses réflexions sur la réinvention du personnage l’amène à passer en revue son monde à lui : sa passion pour la culture anglo-saxonne l’amène à questionner le supposé caractère  « anglais » de Bond, son intérêt pour la langue française et la traduction l’amènent à écrire quelques lignes brillantes sur ce qui a pu se perdre entre la version originale et leur traduction, sa passion proustienne lui montre comment chaque nouveau Bond donne une image encore plus forte des Bond du passé, à l’image de la fameuse madeleine,  qui ne ramène pas seulement à l’enfance, mais donne rétroactivement à la madeleine de l’enfance un pouvoir quasi magique de remémoration des lieux qu’elle n’avait évidemment pas à l’époque. C’est la  répétition du même événement qui crée soudainement ce passage temporel vers le passé, comme un pont dont il faudrait que les pieds à chaque extrémité soient identiques. Mais de ce pont, c’est moins l’enjambement (le bond ?) qui intéresse FAL, que la circulation entre ces deux points. Bond l’espion qui m’aimait est un ouvrage très personnel parce qu’à travers ces réécritures successives du personnage se pose la question qui ne cesse de hanter FAL non seulement dans son oeuvre littéraire mais aussi dans sa vie - il n'a pas été prof pour rien -, celle de la transmission. 

A titre personnel, quand j'étais adolescent, il y a eu des critiques de cinéma dont la plume me faisait fantasmer sur le mode mimétique « j’aimerais tellement aimé écrire pareil ». Devant un texte de FAL je ne me suis jamais fait cette remarque : par contre, j’ai toujours appris quelque chose et j’ai toujours eu l’impression d’en savoir plus après l’avoir lu, qu’avant (ce qui n’est bizarrement  pas forcément le cas avec les critiques les plus brillants qu’on admire parfois mais devant lesquels on se sent comme les singes de 2001 devant le monolithe, fasciné mais sans trop savoir quoi faire de ce sentiment). FAL écrit d'ailleurs toujours beaucoup sur le cinéma, mais aussi la littérature, la langue française, l'enseignement,  le latin, Tite Live et tous ces sujets ou ces domaines qu'on retrouve à la lecture de Bond, l’espion qui m’aimait. C'est un ouvrage érudit mais toujours facile à lire, intelligent, souvent drôle, devant lequel on ne sent jamais écrasé, mais au contraire qui vous pousse à chaque ligne à affuter votre réflexion, face à Bond en particulier, mais surtout de façon générale, dans la vie. 

L’humilité de ce livre est cristallisée dans une dernière partie très brève dans laquelle FAL demande à un jeune cinéphile de 8 ans, un certain William, de répondre à un questionnaire Bond type : il lui pose ces questions qui arrivent toujours sur la table quand on évoque entre amis l’espion britannique,  mais qui n'avaient par définition par leur place dans un ouvrage englobant et unificateur: quels sont ses épisodes préférés ?  et ses gadgets  favoris ? ce genre de choses futiles et amusantes mais en contradiction avec le projet littéraire…  Il est précisé dans la courte introduction à cet épilogue que le petit William n’a pas encore vu tous les James Bond, ses réponses seront par conséquent en fonction de ceux qu’il connaît. Ce chapitre symbolique me semble être un passage de relais vers les générations suivantes, ces « jeunes »  qui ne savent pas encore tout (lapalissade qu’il est bon de rappeler tant la condescendance des adultes vis-à-vis de leurs cadets  me semble toujours omniprésente – surtout depuis que je suis moi-même devenu « vieux ») et qui doivent encore et toujours apprendre. Il y aura toujours plus à connaître, pour les enfants comme les adultes, et même, il se peut bien que Bond nous survive, amenant des générations futures à jeter un éclairage sur les épisodes passés encore différent. Qui sait ? 

Au milieu des remerciements, à la fin de l’ouvrage, il y a celui-ci, pas plus mis en valeur que les autres, dans lequel l’auteur remercie « le personnel de l’hôpital Georges-Pompidou et [le]  Dr Hervé Gompel, qui m’auront permis de mourir un autre jour ». Propos intime livré brutalement, jeu de mot bondien, réflexion angoissée sur la tragédie de la condition humaine – la mort est inéluctable mais la vraie malédiction est de ne pas savoir quand -  présentée sous la forme d’un trait d’humour, forme brève et lapidaire rendant le fond plus vertigineux encore. Quelque part au milieu de la page des remerciements, cette page que le lecteur ne sent pas forcément obligé de lire, tout est dit. 

Ou plutôt non, rien n’est dit.   

Tout est à revoir, repenser, reconsidérer, soi-même ou par d’autres qui le feront après nous. L’homme disparait. Mais ses idées, sa vision du monde, elles peuvent encore transmigrer. Et tout à chacun peut lui aussi inventer, quitte à devoir se réinventer. Si le titre de l'ouvrage se conjugue au passé, il nous aide à mieux penser le futur. 


**** 
Editions Hors Collection

Le titre de cet article, THE REWRITE, est emprunté au joli film de Marc Lawrence avec le britannique Hugh Grant. Un film sur l'enseignement, évidemment.




mardi 1 novembre 2016

A propos de l'ouvrage "Starfix - Souvenirs du futur"





"I'll see you in 25 years" 
Laura Palmer à Dale Cooper, dans le dernier épisode de la saison 2 de Twin Peaks 

Vient de sortir en en librairie le superbe ouvrage Starfix - Souvenirs du futur, mélange de reproductions d'articles tirés des trente premiers numéros de la revue (annonçant, qui sait, de futurs volumes) ainsi que de textes écrits pour l'occasion, le tout prenant la forme d'un lourd pavé parallélépipédique noir, beau comme le monolithe de 2001.
Frédéric Albert Lévy nous avait demandé de nous remémorer à cette occasion nos souvenirs de la revue de cinéma des années quatre-vingt, souvenirs publiés sur le site auquel il collabore, Le Salon Littéraire. Qu'il en soit vivement remercié.

La version originale est ici :
http://salon-litteraire.linternaute.com/fr/christophe-gans/review/1942880-le-cinema-de-la-revue-starfix-1983-1990
 
La version A bientôt j'espère ci-dessous.

A propos de l'ouvrage "Starfix - Souvenirs du futur"


  On ne veut vit que deux fois 



Pour Avram Eiffel 

1. Une photo noir et blanc en médaillon, celle du petit garçon héros du funèbre Bouge pas, meurs, ressuscite de Vitali Kanevski, ornait la somptueuse couverture en rouge et noir du dernier numéro de la revue de cinéma Starfix, paru en décembre 1990, qui portait pour sous-titre "Version originale". L’enfant semblait toiser le lecteur du regard.

2. Le titre du premier long-métrage du cinéaste russe, sorti trois mois avant la parution de ce numéro-épilogue, correspond bien à l’idée d’écrire sur le cinéma, à l’activité de "critique", cette profession souvent mal vue des gens, surtout s’ils sont réalisateurs. Le texte comme continuation de la projection, comme mise en lumière des fantômes, comme inscription de formes par définition évanescentes. Sans texte sur les œuvres, pas d’œuvres. En tout cas, sans témoin pour les regarder et raconter ce qu’ils (y) ont vu, elles deviendraient des ombres englouties dans l’oubli du temps. Et on peut avoir, comme ce fut mon cas, une admiration pour certains critiques au moins égale à celle qu’on porte aux cinéastes aimés.

3. Colin Firth, fringant quinquagénaire si l’on en croit ses récentes prestations dans Magic in the Moonlight ou Kingsman, a eu la chance d’avoir son portrait nécrologique dans Starfix, dès 1985. Quel est l’homme qui ne rêve de savoir, comme James Stewart dans La vie est belle, ce qu’on pensera de lui après sa mort ? Je me souviens avoir été choqué d’apprendre le décès accidentel de ce jeune acteur anglais découvert quelques mois plus tôt dans Another Country de Marek Kanievska, petit film désormais oublié vu à l’époque sur la seule foi des louanges publiées dans ladite revue. Lorsque, plus tard, Colin Firth a continué à apparaître dans de nouveaux films – car non, il n’était pas mort ; c’est à la suite d’une information erronée  que cette nécrologie avait été rédigée, et si erratum il y eut, je ne l’ai jamais lu –, j’ai douté de ce que je voyais : ce Colin Firth ne pouvait pas être celui dont on avait fait le poignant éloge funèbre. À moins que… Bouge pas, meurs, ressuscite.

4. Si on n’en prend pas soin, les films meurent, même les plus récents. Il y a quelque temps, mon travail m’a amené à assister à l’étalonnage de la nouvelle copie Haute Définition de Crying Freeman. Le négatif du premier long-métrage de Christophe Gans, tourné en 1994, était bloqué à Los Angeles, mais les obstacles pour y accéder avaient enfin été surmontés. Le précieux élément a donc été scanné, garantie que le film continue à exister dans les années à venir. Assis dans la salle de projection du laboratoire Technicolor à côté de Christophe Gans venu vérifier si l’image était bien conforme à ses intentions d’alors, je me remémorais le garçon de vingt ans que j’étais, assistant à Paris à la première projection de presse de sa vie, au très sélect Club 13, installé dans un moelleux fauteuil de cuir. J’étais venu de province voir Crying Freeman, car ce devait être, dans ma tête, la dernière pierre de l’édifice qui m’avait occupé corps et âme pendant plusieurs mois : un numéro du fanzine que j’éditais, Phantom, spécialement consacré à l’aventure Starfix. Bref, j’imagine la joie qui aurait été mienne si on m’avait dit que deux décennies plus tard, je reverrais ce film à-côté-de-mon-critique-de-cinéma-favori-de-quand-j’étais-enfant. Curieuse sensation que celle de ce déjà-vu revu et corrigé après un si vaste intervalle. Si vaste que je ne suis pas sûr que le moi d’aujourd’hui et le moi d’alors se reconnaîtraient s’ils se rencontraient (*). 

5. En langage post-starfixien, le titre du film de Vitali Kanevski aurait pu être traduit par "Bouge pas, Va mourire, ressuscite". "Va mourire", comme le titre volontairement mal orthographié du premier film de Nicolas Boukhrief, l’un des fondateurs de Starfix et auteur d’un dernier édito sépulcral ; une interjection mal élevée et déconnante, comme pour dire merde à tous les gardiens de l’ordre.

6. Si je devais citer un cinéaste symbolisant ces années Starfix, ce serait Stéphane Drouot, auteur de Star Suburb, étoile filante du cinéma français. Ce film raconte l’histoire de la petite Mireille, habitante d’une sordide banlieue de l’espace et se rêvant princesse cosmique. Elle a même américanisé son prénom et veut qu’on l’appelle Meryl. Star Suburb a remporté le César du meilleur court-métrage en 1984 et faisait figure de référence pour de nombreux cinéphiles dont certains deviendront cinéastes. Albert Dupontel, Gaspar Noe, Jan Kounen ou Lucile Hadzihalilovic l’ont ainsi souvent cité comme une influence importante. Drouot était le cinéaste français le plus prometteur des années quatre-vingt. Il est décédé en 2012, sans jamais avoir rien tourné après son premier essai. Starfix avait consacré à ce film de science-fiction un long article sous la plume de Jérôme Robert. C’était une prouesse technique à l’époque, avec ses buildings futuristes, ses séquences de rêve pastichant Star Wars – tout cela en Cinémascope et filmé dans l’appartement du jeune réalisateur. A la fin, l’héroïne, qui a vu s’envoler ses rêves de gloire, se retrouvait seule dans la cuisine de son domicile, comme dans ce cliché souvent utilisé pour dénigrer un certain cinéma français. Génie de ce grand film-critique que de parvenir à réconcilier en moins de trente minutes, d’un côté l’aspiration à la fantaisie, au fantastique, à l’Amérique en quelque sorte, et de l’autre l’intime, le social, les histoires de famille, bref, des domaines souvent associés au cinéma national. L’histoire personnelle de Stéphane Drouot a rejoint celle de son héroïne, et lui aussi a fini, malade, par vivre reclus dans un petit appartement de banlieue. Entre la tête dans les étoiles et les pieds dans la réalité, entre Meryl et Mireille, il faut parfois accepter de voir mourir une partie de soi. Bouge pas, meurs… ressuscite ?

7. Starfix est mort en 1990, et pourtant, un « hors-série » de la revue sort ce mois-ci, conçu par les rédacteurs de la grande époque. L’occasion de se faire un nouveau fix de Star et de dire adieu à la nostalgie. Et soudain de comprendre que ce regard du petit garçon de la couverture que je croyais frondeur avait été mal interprété. Cette œillade me désignait en fait ce moment du temps où la revue chérie de l’enfance sortirait de son tombeau. Au cinéma, on appelle cela un flash forward. En version originale, un souvenir du futur.

Bouge pas
Meurs
Ressuscite


(*) Dans la nouvelle de José Luis Borgès L’Autre, l’homme âgé sur un banc dit de son double jeune assis à côté de lui : « J’ai compris que nous ne pouvions pas nous comprendre.  Nous étions trop différents et trop semblables ».