The Goddess of Egypt
Descendu en flammes par l’essentiel de la critique française, Wonder Woman 1984 nous a pourtant conquis. Ce film de super-héroïne – et Dieu sait que G.G. est super en W.W. – est avant tout une fable morale qui se transmet de génération en génération depuis la nuit des temps. L’année 1984 n’était qu’une étape.
Le titre de ce second épisode des aventures de la guerrière amazone est Wonder Woman 1984. Cette année orwellienne est évidemment celle au cours de laquelle se déroule l’action. Le cinéma hollywoodien est friand des années quatre-vingt, devenues symbole d’un cinéma ludique et populaire, martingale après laquelle beaucoup courent encore aujourd’hui.
La reconstitution de l’époque est très réussie, mais on peut constater que la cinéaste Patty Jenkins n’abuse pas des effets doudous : il n’est par exemple jamais fait mention des films sortis cette année-là ; la bande-son reprend bien quelques morceaux de l’époque mais peu, et l’on est loin de l’effet jukebox qu’une telle entreprise aurait pu générer. La scène au centre commercial ressemble à une scène d’action de l’époque par son découpage et ses situations (prise d’otage, personnage suspendu dans le vide par les pieds, voleurs d’opérette), mais c’est une façon de solder les comptes avant de passer à autre chose. La seule scène vraiment vintage, et assumée comme telle, est celle, amusante, de l’essayage de vêtements par Chris Pine – banane en bandoulière à l’appui. On aura aussi le plaisir de constater que tout sied à la sublime Gal Gadot, même les vestes à épaulettes.
Des années quatre-vingt en général, et de 1984 en particulier, la réalisatrice retient plutôt le Zeitgeist : années de la Guerre froide où des frontières étaient établies depuis des années entre les peuples ; où le Moyen Orient était une zone stratégique par son accès au précieux pétrole ; où la course aux étoiles monopolisait les énergies des grandes puissances. Le film se déroule dans une uchronie au moins partielle puisque le Président des États-Unis n’est pas Ronald Reagan – sauf erreur, il n’est pas nommé –, mais c’est en tout cas son alter ego, puisqu’un de ses projets est de maîtriser l’espace (the outer space) via des satellites puissants pouvant communiquer au-delà des barrières étatiques. On y retrouve aussi le culte de l’argent et de la réussite via un bonimenteur à la Bernard Tapie, Maxwell Lord, entrepreneur winner soucieux de faire partager sa réussite de façade à la planète. Cliché ? Revoyez le cinéma d’américain des années quatre-vingt : ses personnages étaient présentés comme arrogants et sûrs de leurs mérites – il est même difficile de regarder aujourd’hui certains films à cause de ces fanfaronnades permanentes.
Wonder Woman 1984 est bien loin de cet esprit : il brille au contraire par sa modestie, son intelligence, son absence de misanthropie et son cœur gros comme ça. Il faut dire que l’année 1984 ne veut pas dire grand-chose pour son héroïne, la princesse Diana. Âgée de plusieurs centaines d’années, l’amazone en a vu d’autres, au point que son espace-temps psychique ne tient plus qu’en quelques dates immuables : son enfance, son amour disparu pendant la Seconde Guerre mondiale (cf. le premier Wonder Woman). Elle vit dans un espace-temps macro où les événements à échelle humaine ne sont que les poussières d’étoile de son cosmos personnel. Les seules choses auxquelles se raccrocher sont les événements qui ont fait basculer sa vie : quand elle fait revivre – involontairement – son amour disparu le temps du film, elle le fait comme si elle était dans une de ces romances fantastiques hollywoodiennes des années trente, où l’amour doit être absolu, dépassant la finitude humaine.
Maxwell Lord, le méchant, est le seul personnage qui soit vraiment ancré dans l’époque du récit. Les autres viennent d’ailleurs. Diana de la nuit des temps ; le love interest de Diana, joué par Chris Pine, vient donc du début du XXe siècle et c’est par magie qu’il se retrouve propulsé dans ce qui est son futur à lui ; Barbara, l’amie puis l’antagoniste de W.W., est, quant à elle, plutôt écrite avec une sensibilité récente, puisque son harcèlement par les hommes dessine la trajectoire de son arc narratif. On pourrait trouver ça un peu trop ouvertement dans l’air du temps, mais il nous semble au contraire que ces scènes de harcèlements incessants des hommes sur les femmes, de la drague lourde à l’agression, par leur accumulation et leur diversité, sont frappées du sceau du réalisme. WW84 nous fait bien ressentir combien les garçons peuvent être pénibles.
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Considérons maintenant le cœur du récit. Les films de super-héros ont habituellement pour enjeux des objets à trouver (les pierres d’infinité dans Avengers ; les boîtes-mères dans Justice League). Ici, l’objet de convoitise dépasse largement le cadre du mcguffin et mérite qu’on s’y attarde. Il est donc question d’une pierre magique qui permet à celui qui la possède d’exaucer un vœu. Maxwell Lord s’en empare et décide de devenir le maître du monde afin d’effacer son image de perdant et d’escroc qu’il traîne auprès de ceux qui le fréquentent au quotidien, loin des paillettes. Le modus operandi est à la fois simple et compliqué. Simple parce qu’il suffit de dire « Je souhaite… » pour que le vœu se réalise, compliqué parce que le méchant doit forcer les incrédules à prononcer la formule magique. Ensuite, chaque vœu exaucé s’accompagne d’une perte de libre arbitre pour celui qui le formule sans qu’il ait été mis au courant de ce débit obligatoire. C’est d’ailleurs cette perte en creux que veut obtenir Lord qui reçoit de la puissance en contrepartie du vœu exaucé. Il y a dans WW84 quelque chose de l’ordre du conte et on pense souvent aux Mille et une Nuits. L’histoire pourrait nous être contée à la tombée de la nuit, afin de nous tenir en éveil, et nous rêvasserions en imaginant ce sultan maléfique, cette princesse ingénieuse amoureuse d’un homme du peuple, et ces mauvais génies furieux d’avoir été trop longtemps emprisonnés dans leur lampe – si furieux qu’ils retournent leur colère accumulée depuis des millénaires contre ceux-là mêmes qui les sortent de là.
WW84 est très pertinent dans sa façon de montrer que les désirs mirifiques des Hommes sont souvent médiocres. Ils sont la plupart du temps cupides et tiennent en un « je souhaite recevoir un million de dollars » ou en une demande de biens matériels (très drôle, ce moment où des Porsche envahissent la ville parce trop commandées dans les souhaits !). Les vœux sont tous égoïstes et rarement choisis pour le bien commun. À mesure que les vœux sont exaucés, la situation mondiale empire et les villes sont transformées en terrain de guérilla urbaine. On se croirait presque dans la fin du Jour du fléau de John Schlesinger. Et le méchant de se rendre compte que sa fuite en avant ne crée que du désordre, qu’il n’a finalement plus personne sur qui exercer son emprise tant le tissu social s’est délité par sa faute. Et plus il essaie de rétablir l’équilibre, plus il le déstabilise.
La scène d’ouverture montrait les amazones enfants participant à une épreuve sportive et Diana, qui avait dû tricher pour s’adapter aux circonstances (elle avait perdu son cheval en chemin) finalement privée de sa victoire annoncée par ses paires (ses mères ?) pour ce non-respect des règles. Mais on lui apprend qu’il n’est pas grave de perdre, de ne pas être prête, et qu’il y aura un temps pour chaque chose et qu’il est vain de brusquer le destin en empruntant des raccourcis immoraux. Diana devra donc à l’âge adulte, de son propre chef, abandonner la joie que lui avait procuré son vœu (faire revenir son amant d’entre les morts) pour affronter le monde par elle-même, et donc seule : magnifique scène où elle découvre le pouvoir de voler, perpétuant symboliquement l’amour de son compagnon-volant.
Les deux méchants ne meurent pas à la fin – est-ce un spoiler de dire que quelqu’un ne meurt pas ? Au contraire, Maxwell et Barbara retrouvent leurs esprits, et sont bien décidés à vivre leur avenir différemment, c’est-à-dire ouverts à l’Autre. C’est sur cette note d’espoir que se conclut cet enthousiasmant Wonder Woman 1984.
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