A bientôt j'espère

(To Chris M.)

lundi 20 décembre 2010

Farewell to life


Jean Rollin a rejoint le monde des rêves.

Ce photogramme date de 1958. Il est tiré de son premier court-métrage, LES AMOURS JAUNES, mise en images d'un poème de Tristan Corbière, "poète maudit" selon le mot de Verlaine.

« Se mourant en sommeil, il se vivait en rêve.

Son rêve était le flot qui montait sur la grève,
Le flot qui descendait ;
Quelquefois, vaguement, i se prenait attendre…
Attendre quoi… le flot monter – le flot descendre-
Ou l’Absente… Qui sait ? »
Le poète contumace in Les amours jaunes

Tout son univers à venir était là : une silhouette de femme sur une grève, entre ciel et terre, entre rêve et réalité.

Cinéaste d'un autre temps (d'une autre dimension devrait-on dire), Rollin aura pourtant tourné - et écrit- jusqu'en 2010. En septembre dernier, il présentait son dernier film, Le Masque de la Méduse à la Cinémathèque Française. Cinquante deux ans de carrière d'une oeuvre dense et cohérente, à la fois impressionnante par son souci de rester à tout prix sur le même terrain de jeu imaginaire, et parfois frustrante, pour les mêmes raison. La marque des grands artistes est de savoir avec l'âge s'ouvrir au monde en gagnant  en limpidité et en assurance. Rollin lui se sera obstiné sans jamais rien abandonné à quiconque mais sans vraiment parvenir non plus à élargir son imaginaire. Il resta ainsi fidèle à la plupart de ses lieux de tournage sans et cette plage de Pourville sera arpentée tout au long de sa filmographie.



Une fois pourtant Rollin aura quitté la France pour aller voir ailleurs, c'était dans PERDUES DANS NEW YORK. Le film commence bien sur cette plage mais se déplace bientôt au gré des rêves de ses héroïnes vers la ville aux grattes ciels géants. L'irruption de ces monolithes tendus vers le ciel apporta verticalité à une oeuvre essentiellement horizontale (la plage, la mer, la grève, les ports). Débarassé de toute intrigue ou presque, ce poème émouvant constitue parmi ce que Rollin a fait de plus impressionnant. Laissant la voix off (celle de Rollin) divaguer au gré des souvenirs, les images forment une narration plus métonymique qu'illustrative. On n'est pas loin de SANS SOLEIL de Chris Marker, autre arpenteur de l'imaginaire, de la mémoire, et de la Planète Terre.



Une créature sur une plage californienne dans Junkopia (Chris Marker)

Et puis PERDUES DANS NEW YORK contient ce moment de grâce, cette scène où les deux petites filles lisent un livre illustré tandis que l'un d'entre d'elle, des années plus tard, dit ceci en off:

« La déesse lune nous emportait à l’intérieur de l’album,
Ouvert sur nos genoux,
Le livre devenait un écran de cinéma, l’écran du rêve
Nous étions en voyage, là où on ne va qu’en passant de l’autre côté du miroir
Là où sont parties les jeunes filles disparues du Picnic à Hanging Rock
Où Errol Flynn emporte Micheline Presle à la fin de la Taverne de la Nouvelle Orléans,
Où va la barque qui emmène Stewart Granger au large de Moonfleet
Nous allions là où se dirigent, par les toits, les enfants insurgés de Zéro de Conduite
Où les colombes des Yeux sans visage guident Edith Scob
Où dansent les amants de Dark Passage au bout de la route qui entrainent Chaplin et Paulette Godard loin des Temps modernes
C’était nous la jeune fille à l’ombrelle blanche qu’Everett Sloane ne fait qu’entrevoir dans Citizen Kane
Nous étions toutes les petites filles de la photo de Mortelle randonnée
La fleur étrange qui pousse là où sont morts Jennifer Jones et Grégory Peck dans Duel au Soleil
Nous étions à l’intérieur de la boîte à musique de La Morte Vivante
Sur le viaduc abandonné où errent les amants au cerveau détruit de La nuit des Traqués
Cachés dans l’horloge du Frisson des vampires qui s’ouvre au douzième coup de minuit
Derrière le rideau de théâtre de La Vampire nue
C’est nous que regarde au-delà des grilles qui l’emprisonnent la petite asiatique des Trottoirs de Bangkok
Nous qui faisons valser sur le pont levis les jeunes filles 1900 de Fascination
Héroïnes de tous les feuilletons, de tous les serials, de tous les épisodes, nous partions à la recherche de l’Ile de King Kong qui dissimule le fantôme de l’opéra, Balaoo, le mystérieux Docteur Satan, la Reine des jungles, Monsieur Lange et Arizona Jim, Rocambole et Sir Williams »

1 commentaire:

  1. Rollin redux :
    http://lemiroirdesfantomes.blogspot.fr/2016/03/jean-rollin-le-reveur-egare-nekromantik.html?view=magazine

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