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Quand les fans détestent, on se dit qu'il faut absolument y aller...
Songes d’une séance d’été
Le quatrième épisode de Thor a suscité la colère d’une partie des fans, ceux-ci reprochant à Taika Waititi, réalisateur et scénariste, d’avoir brisé l’équilibre miraculeux qui faisait la force des films du M.C.U., cet alliage subtil fait d’humour et de tragédie épique (puisque même les héros peuvent mourir – voir Iron Man). Waititi aurait fait sombrer son film dans la pure parodie, crime de lèse-majesté absolu.
Éliminons toute ambiguïté, et ne nous faisons pas passer pour ce que nous ne sommes pas. Les films Marvel ne provoquent en général chez nous qu’une indifférence polie, et nous les voyons de façon aléatoire, selon les circonstances. Mais, même s’il n’est pas impossible que la moitié des références aux autres histoires de cet univers partagé nous soient passées par-dessus tête, ce Thor : Love and Thunder, dont nous n’attendions rien, nous a enchanté.
Reprenons. Thor 4 ne serait donc pas parvenu à maintenir l’équilibre entre humour et émotion. Le film va effectivement assez loin dans une accumulation forcenée de blagues potaches désamorçant systématiquement chaque situation dramatique. Alors que Valkyrie, la reine d’Asgard, fait étalage de ses armes tranchantes à Jane Foster, l’ancienne compagne de Thor, la vue d’une arme étrange de forme oblongue pousse celle-ci à lui demander s’il s’agit d’une grenade, et la guerrière de répondre que non, c’est son enceinte portative, et elle l’enclenche pour jouer « Family affair », le hit de Mary J. Blige. Zeus, le dieu le plus puissant de l’univers, sur lequel comptent nos héros pour les aider, est incarné par un Russell Crowe en mode « gérarddepardieuesque » (période Obélix), parlant avec un accent grec, idée plutôt géniale, ce type de rôle étant en général réservé aux comédiens britanniques (1). Taika Waititi se plaît à torpiller chacune de ses scènes potentiellement dramatiques avec des gags simplistes.
Cette avalanche de comédie se situe pourtant dans un récit où la mort est frontale. Le film s’ouvre avec le décès par déshydratation et épuisement d’une petite fille dans le désert, ce qui causera un chagrin inextinguible pour son père, Gorr, « le boucher des Dieux » ; et il se termine par la disparition de l’amoureuse de Thor, Jane, emportée par le cancer qu’elle combattait de longue date. La faiblesse tout humaine de ces dieux est régulièrement mise en avant. Valkyrie décide de ne pas repartir à la bataille ; épuisée par l’ablation d’un rein, elle préfère rester en convalescence. Dans la scène finale, Thor demande à sa fille adoptive de mettre des chaussures appropriées de crainte qu’elle ne se fasse mal aux pieds pendant le combat. Thor retrouve dans un des mondes visités une ancienne complice asgardienne, Sif, gisant au sol grièvement blessée, amputée d’un bras perdu lors du combat. Elle s’interroge sur son avenir possible au Valhalla, le monde des morts. Thor lui répond, amusé, que pour se rendre là-bas, il faut être mort pendant le combat, ce qui n’est visiblement pas le cas puisqu’elle a encore la capacité de lui parler, avant d’ajouter que peut-être seul son bras coupé aura le droit d’aller au paradis des guerriers. Propos ironique qui rappelle toutefois une interrogation philosophique quant à savoir si la partie d’une chose peut être la métonymie du tout (le géant de pierre, Korg, a beau avoir le corps détruit et ne plus posséder que son visage, il est toujours Korg).
Alors, à ce stade, nous pouvons constater que le réalisateur charge avec gourmandise les deux plateaux, celui de la comédie et celui du drame. Mais qu’est-ce qui fait que ce mariage des contraires nous semble si enthousiasmant ? Il faut peut-être en passer par la distanciation avec laquelle le cinéaste filme ces sentiments.
La Nouvelle Asgard, située en Norvège, est devenue un parc d’attraction à ciel ouvert, parc modeste assez loin des fastes de Disneyland. Des visiteurs viennent boire de l’hydromel dans des bars ou font un grand huit sur un drakkar adapté en manège de foire (ce même manège, une fois débarrassé des fauteuils sécurisés en plastique, servira ensuite à nos héros, de navette pour naviguer sur des vagues stellaires). Dans les rues, des saltimbanques donnent des spectacles. On découvre – reprise d’un gag de Thor : Ragnarok – des comédiens en train d’interpréter une pièce relatant les exploits de Thor (joué astucieusement par le frère de Chris Hemsworth, Luke) et de son frère Loki (cameo savoureux de Matt Damon), tandis que les observe Odin (Sam Neill affublé d’une barbe de père Noël). Les acteurs grossièrement grimés prennent un malin plaisir à cabotiner dans un spectacle de facture simple : le marteau de Thor ressemble à un jouet et se déplace dans les airs grâce à un fil bien visible manipulé en coulisse par un technicien. La mise en abyme est tout à fait savoureuse mais elle prend une dimension encore plus forte ici : le film que nous voyons n’est pas si éloigné de cette mise en scène rudimentaire. Il y a de l’argent pour effacer le fil du faux marteau, mais le « vrai » marteau de Thor n’en a pas pour autant l’air moins factice ; quant à l’apparition de Sam Neil en Odin, elle n’est pas moins extravagante que celle de Russell Crowe en Zeus. Marvel offre 200 millions de dollars à son réalisateur pour réaliser un spectacle dont la vocation est la même que celle de ce théâtre de rue : il s’agit de divertir les foules avec des mythes séculaires ; de provoquer le rire et les larmes quitte à avoir la main un peu lourde pour susciter ces émotions. L’excès est là pour compenser une production rudimentaire.
Le théâtre a cette capacité de nous projeter dans un royaume sur quelques planches et une chaise pourra faire office de château fort. Le cinéma s’est a contrario toujours donné pour mission de rendre les environnements réalistes même s’ils sont fantaisistes. C’est là que Waititi parvient à retourner à son avantage un des grands défauts des films Marvel – leur absence d’environnements charnels. La plupart des films du studio se déroulent dans des lieux indéfinissables ou passe-partout (bureaux, tarmacs d’aéroports, vaisseaux plongés dans la pénombre). On sait que le cinéma invente, recrée, truque, et que les mondes merveilleux que nous voyons à l’écran sont fictifs. Cela n’a pas empêché des milliers de spectateurs du Seigneur des anneaux d’avoir l’envie de voyager jusqu’en Nouvelle Zélande pour découvrir les paysages verdoyants où se déroulaient les aventures des Hobbits. Même Harry Potter, tourné en studio à Pinewood, a donné naissance à une attraction que l’on peut visiter, car qui n’a pas eu envie de toucher le bois de l’école de Poudlard ou de sentir son atmosphère de collège anglais ? Je doute que pareille chose soit possible pour un film Marvel. Qui aurait envie de visiter le QG du Shield, aussi glamour qu’un espace de bureaux à louer dans une zone industrielle ? Thor : Love and Thunder semble partager avec nous ce constat puisque ce parc d’attractions paraît bien fade avec ses manèges de station balnéaire. Mais Waititi nous dit que le décor n’est pas si important, que tout est faux, mais que cela n’empêchera aucun spectateur de projeter son imaginaire dans ce récit épique où des Dieux s’affrontent dans plusieurs dimensions et sur des planètes parfois aux couleurs éclatantes, parfois en noir et blanc. Il faut juste y croire. Le récit multiplie les situations de mise en scène. Gorr raconte aux enfants son histoire qu’il a adaptée comme le ferait un conteur ; à plusieurs reprises, le récit est coupé par des montages dans lequel un narrateur introduit des récapitulatifs des événements passés. Le réalisateur semble prendre un malin plaisir à mettre en relief son amour du récit (2).
Waititi ne se contente pas de nous montrer les coulisses de la création et de la mettre à nue. Ses personnages eux aussi naviguent entre deux univers, celui de leur « réalité » et celui du mythe. Jane est le personnage qui passe le plus souvent d’une dimension à l’autre. Dans la vie réelle, c’est notre monde qui est dépeint. Jane ne cite-t-elle pas pour expliquer le concept du trou de vers une scène fameuse d’Interstellar de Christopher Nolan et également celle, identique et antérieure, d’Event Horizon de Paul W.S. Anderson, référence autrement moins noble (un papier, deux points, on superpose ces deux points en pliant la feuille et on fait un trou avec un stylo pour les faire se rejoindre) ? Jane, une scientifique cinéphile ! Lorsqu’elle devient Mighty Thor, l’alter ego féminin du dieu viking, elle se transforme en guerrière valeureuse dotée de superpouvoirs (ce qui n’empêche pas son cancer de progresser). Elle monte sur scène pour jouer un rôle en quelque sorte – elle porte un masque comme dans la commedia dell arte ou le théâtre antique. Tout est faux, donc tout est vrai, et le spectacle peut mélanger l’humour le moins subtil avec le drame le plus poignant. Le premier épisode de Thor signé Kenneth Brannagh avait une ambition shakespearienne trop manifeste vu la filmographie du cinéaste, ce qui rendait le récit un peu lourd ; Thor : Love and Thunder est aussi à sa façon un éloge du théâtre ; derrière ce blockbuster au budget faramineux se cache un retour aux sources salvateur – une pièce antique dans une version adaptée à l’air du temps (c’est-à-dire plus courte et plus colorée) avec les moyens d’un spectacle de rue où l’humour le dispute à la tragédie. Love and Thunder ou le Rire et les Larmes.
Et nous d’applaudir la troupe lorsque le rideau tombe.
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