C’est l’histoire du scorpion qui tue la grenouille et se
noie avec elle au milieu de la rivière parce que c’est sa nature. Dans Welcome to New York, Depardieu/Devereaux/DSK
(les trois Désastres pour paraphraser Godard) sont l’incarnation du scorpion de
la fable. Un être entièrement guidé par ses pulsions sexuelles, qui leur a tout
sacrifié, parce qu’il ne peut concevoir sa vie autrement. L’homme ressemble à
la fois à un enfant déficient mental (voir son sourire lunaire dans le dernier
plan ou ses élucubrations paillardes devant sa fille faisant penser qu’il
pourrait être atteint du syndrome Gilles de la Tourette) et à un vieillard cacochyme
(quand il baise, il semble au bord de l’infarctus ou même quand il se déplace,
il émet des grognements) dépossédé de toutes ses illusions (son soliloque
intérieur face à la ville où il explique que toutes ses actions politiques ont échoué).
Abel Ferrara dépouille son film de tout : le FMI se limite à un bureau
envahi par les putes qui « font leur travail » - elles. Les rêves de présidence de la
république française à une ligne de dialogue. Même le langage est transformé en
une sorte de sabir où se mêlent aléatoirement anglais et français (Devereaux et
sa femme se parlent en anglais avec des mots de français à l’intérieur, une
actrice américaine « joue » Tristane Banon avec un accent français à
couper au couteau). Adieu au langage. Abel Ferrara se débarrasse donc du
superflu pour aller à l’essentiel : le portrait d’un homme guidé par une sexualité
maladive que le cinéaste filme comme une rêverie ouatée, guidée par une caméra légère
et aérienne.
Putes. A l’hôtel, drague de l’hôtesse d’accueil. Putes.
Dodo. Putes. Dodo. Viol (« Je n l’ai pas violée, je me suis juste branlé
sur sa bouche » dira-t-il plus tard à sa femme). A l’aéroport, l’homme à
la carcasse opulente fend pourtant l’air dans un aérogare presque vide, tirant
sa petite valise qui roule, et drague –encore- l’hôtesse de l’air qui
l’accueille. La chair est triste peut-être, mais pas que. L’homme veut plaire à
toutes tout le temps. Rien n’existe que ce besoin organique qui pourtant ne lui
procure plus de satisfaction. Une jeune femme tombe même sous son charme. Celles qui
se refusent à ses avances sont brutalisées. C’est sa nature.
Rarement aura-t-on vu un portrait d’une telle franchise dans
la noirceur. Pas de moralisme, pas de circonstances atténuantes. Ferrara ne lui
cherche pas plus d’excuses que le personnage lui-même ne s’en cherchent. Ferrara nous envoie la part obscure humaine en
pleine face, celle qui nous constitue aussi, celle qui n’est expliquée pas rien
si ce n’est l’abomination contenu dans chaque Homme. Sa noirceur, ce pourrait
être aussi la nôtre.
Le personnage de sa femme, Simone, est très beau. A son mari,
elle n’a que des reproches à lui opposer et des remarques pécuniaires mesquines.
Mais c’est une femme bafouée, blessée
dans son amour et son amour propre. Elles posent des questions qui, elle le
sait, n’appellent pas de réponses. Alors elle tape et tape encore, dans le vide. Elle rejette
son homme parce qu’elle ne veut pas sentir son odeur (« Tous les hommes
font ça, ils nous retiennent avec leur odeur »). L’homme et la femme, dans
ce petit théâtre de l’appartement de Tribecca, s’affrontent une fois encore,
mais le combat est perdu d’avance. La femme caresse le drap du lit conjugal
comme on essaierait de balayer la honte. Mais c’est peine perdue.
Ferrara, cinéaste féminin ?
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