A bientôt j'espère

(To Chris M.)

dimanche 25 février 2024

JEFF BURR - The Artist (hommage)

J'ai écrit dans le numéro de Janvier 2024 de MAD MOVIES un hommage à Jeff Burr. Le texte ci-dessous est différent (et complémentaire).


The Artist

Jeff Burr

1961 ou 1963, les dates de naissance sont contradictoires. Jeff Burr disparaissait en octobre 2023, à Dalton, en Georgie, là où il avait passé son enfance. Il était revenu y vivre pour s'occuper de sa mère. Hasard du destin, la même semaine s’éteignait une autre figure attachante du cinéma fantastique et d’horreur à petit budget de la fin des années 80 - début des années 90, le britannique Anthony Hickox. Ainsi sonnait le glas d’une époque. Le fait d’arme le plus marquant de Burr est d’avoir réalisé Leatherface : Massacre à la tronçonneuse 3, premier Massacre sans Tobe Hooper. C’est son film le plus connu, moins par sa réussite (perso, on adore, mais il ne traine pas une bonne réputation) que parce qu’il appartient à une saga horrifique qui a duré dans le temps. On lui doit une poignée d’autres sequels. Ce serait même le seul réalisateur à avoir enchainé, dans cet ordre, un « un » (son premier film), un 2 (Stepfather son deuxième), un 3 (le Massacre en question, son troisième), puis, plus tard, un 4 et un 5 (les Puppet Master). Une autre suite, Pumpkinhead 2 : Blood Wings vient même s’intercaler entre. Burr trainera toute sa vie cette image de mercenaire peu inspiré abonné aux suites au rabais. Il avait tout de même réalisé une quinzaine de films à côté, tous sortis uniquement en vidéo. Au fil du temps, on lui confiera des budgets de moins en moins importants, jusqu’à passer « l’enfer du B » à celui du Z, pour finir par un téléfilm Sy-Fy. Cette dégringolade ne doit pas masquer que Burr est l’auteur, en plus de ces suites, de films d’horreur vraiment chouettes (From a whisper to a scream, La nuit de l’épouvantail) et de deux magnifiques œuvres personnelles et méconnues non fantastiques (Eddie Presley, Straight into darkness) qui lui octroient une place originale dans l’univers des stakhanovistes de l’horreur à petit budget. Burr fait partie de ces cinéastes pour lesquels explorer leur filmographie touffue et foutraque est une aventure, le fan jonglant entre revisionnage des « classiques » dans des blu-ray aux copies restaurées rutilantes permettant de les voir comme on ne les avait jamais vues, de dvd antédiluviens à l’image recadrée, voire de la découverte de titres plus obscurs dans d’infâmes RIP de vhs glanées sur le net. Cette dernière catégorie n’est pas moins réjouissante que les deux autres. 

 


Les débuts

Jeff Burr vient d’une famille plutôt aisée. Son père William était commercial pour une importante société de fabrique de tapis – Dalton était surnommée « la capitale industrielle mondiale du tapis ». Sa mère, Jeanne, morte en 2020, a longtemps présenté une émission de radio local « Coffee Time with Jeanne Burr » dans laquelle elle interrogeait des personnalités de Dalton ou de l’état de Georgie. Ses parents étaient membres d’une troupe de théâtre et le petit Jeff baignera toute son enfance dans une atmosphère artistique. Il a un frère, William, qui produira plusieurs de ses films et à qui Jeff Burr rendra toujours hommage. A l’âge de dix ans, il se voit offrir une caméra 8mm et tourne avec une dizaine de courts-métrages avec ses amis de Dalton. La municipalité le soutiendra dans ses projets.

En 1979, il part à la célèbre université de cinéma USC (Université South California). Il sympathise avec nombre d’étudiants qui joueront un rôle essentiel dans sa carrière et deviendront eux même cinéastes, notamment Darin Scott (producteur du précédent et réalisateur de Tales from the hood 2) et Kevin Meyer (futur réalisateur d’un slasher tourné en 16mm, Terror at tentkiller, pour info, disponible en UHD à Metaluna, 35 euros). Avec ce dernier, il tourne Divided we fall, un court-métrage d'une vingtaine de minutes en N&B se déroulant pendant la guerre de Sécession. On suit deux frères dans les camps opposés. Mouvements de grue, importante figuration, s’il n’y avait cette absence de dialogue pour cause de tournage sans prise de son, on croirait un film professionnel cossu. Burr a même réussi à avoir la participation de l'acteur John Agar, vu chez John Ford, Raoul Walsh ou Jack Arnold. Il abandonne l’école pour finir son court et travaille quelques temps au marketing de la société de Roger Corman, New World Pictures.

Fan d’horreur, il élabore alors avec ses camarades d’université une anthologie horrifique, From a whisper to a scream. Il pense que tourner des courts-métrages mis bout à bout sera plus facile que de faire un long-métrage complet. Si le tournage devait être arrêté, il y aura toujours la probabilité que certains courts soient achevés, ce qui pourrait toujours servir s'il fallait trouver des financements complémentaires, des films complets et diffusables existeraient. Quatre histoires horrifiques sont écrites par lui et ses comparses C. Courtney Joyner, Darrin Scott et Mike Malone (chacun est venu avec son idée). Le tournage a lieu l’été 1985 à Dalton dans ses environs. Le film est produit comme un vrai long-métrage puisque les quatre segments sont tournés à la suite. Le planning est simple : 4 histoires, 4 semaines de tournage, un sketch par semaine. Un entrepôt d'une usine de tapis où travaille son père sert de studio de cinéma pour construire les nombreux décors. Le rythme de travail est infernal et pousse tout le monde au bord de l'épuisement. La plupart des techniciens sont inexpérimentés, c'est pour nombre d'entre eux le premier film sur lequel ils travaillent. Les nerfs de l'équipe décoration sont mis à rude épreuve : ils ont quatre décors entièrement différents à gérer, et notamment une fête foraine à recréer. Le seul technicien qui a de la bouteille est le chef opérateur Craig Greene. Burr l'a engagé car, en plus d'être directeur photo, il a son propre matériel de tournage. Son CV de chef opérateur n'est pas très fourni mais c'est un professionnel qui a travaillé à différents postes derrière la caméra depuis des années. L'entente entre lui et Burr est cordiale, sans plus, et il faut que le cinéaste s'affirme devant un technicien qui refuse les premiers jours de faire les choses comme on les lui demande, pensant savoir mieux faire que la jeune équipe.

Le sketch fil rouge avec Vincent Price sera tourné à Los Angeles dix mois plus tard, dans les studios de Roger Corman, pendant deux jours. Jeff Burr et Darrin Scott s’étaient rendus chez l’acteur après avoir offert 10$ à un chauffeur de taxi qui connaissaient les adresses de star à Los Angeles. Price avait donné son accord, séduit par l’enthousiasme de ces jeunes gens, avant de ne plus donner signe de vie. Burr envisage de le remplacer par Max von Sydow, mais l’agent de celui-ci les renvoie vers… Vincent Price ! Après quelques réécritures pour étoffer son rôle, esclandre de la diva qui hurle parce que le scénario aurait été massacré par cette nouvelle passe, les choses se tassent, Burr revient au script original, et l’acteur sera finalement bien présent sur le tournage (et dira ensuite du mal du film en expliquant s'être fait avoir - selon Burr, il n'est pourtant pas certain que Price ait jamais assisté à une quelconque projection). 

 

Vincent Price

Les histoires se déroulent dans la ville imaginaire de Oldfield (clin d'oeil au compositeur Mike Oldfield) couvrent plusieurs périodes temporelles (dont, à nouveau, la guerre de Sécession). Il y est question d’inceste, de vaudou, d’immortalité, d’une troupe itinérante de cirque abritant avaleur de verre et criminels, d’une femme condamnée à mort ayant un orgasme provoqué par l’injection léthale, et on y trouve des visions glaçantes comme ces geysers de sang qui sortent des tétons d’une femme cadavérique… Jeff Burr n’y va pas de main morte. Ces récits n’ont pas de vraiment de chute contrairement à beaucoup d’histoires courtes. Le résultat a quelque chose d’étrange : le film est interprété par plein de vieilles gloires (Price mais aussi Martine Bewick, Sid Caesar, Clu Gulager). Il y a quelque chose d’assez désuet qui se dégage de l’atmosphère. Le film est pourtant très violent et franchit le Rubicon des sujets tabous. Il n’est pas évident de se dire que c’est un film est l’œuvre d’un jeune de réalisateur d’à peine 23 ans. Il n’y est pas question de l’enfance (comme Phantasm de Coscarelli, autre petit prodige ayant commencé sa carrière très jeune) à l’exception des quelques enfants soldats inquiétants du dernier sketch ; le casting est particulièrement âgé. Le film ressemble plus à une bande d’exploitation des seventies qu’aux films d’horreur des années 80 ou à ces anthologies vieillottes du type Le club des monstres. Mais ce serait une version beaucoup plus violente et outrancière de ces films-là. On se dit que Burr est né trop tard et qu’il a raté le coche de cinéma d’horreur des années 70-80 où il aurait sans doute pu tourner plus de films en 35mm pour le cinéma. Le débouché des films d’horreur est désormais en vidéo, là où débutera et excellera Hickox (ou Brian Yuzna). Burr sera moins à l'aise dans cet univers ; il ne le sait pas pas encore, mais il a déjà mangé son pain blanc pour une carrière qui ressemblera  plus d’une fois à un chemin de croix. Pour le moment, Burr est encore confiant en lui, tellement qu'il ouvre son film d'un logo écrit de sa main, "A Jeff Burr Film".


From a whisper to a scream est distribué correctement mais n'a pas l’aura des films d’horreur cultes des années 80 réalisés par de jeunes réalisateurs enragés tels que Evil Dead, Re-Animator, Hellraiser ou Réincarnations. Au États-Unis il est retitré par son distributeur The Offspring qui trouve l'original trop long. En France, il est présenté au festival du Rex d'Alain Schlockoff et sort dans la foulée en VHS sous le titre Nuits sanglantes. Le film ne fait pas de vague mais au moins a-t-il une existence. 

 


From a whisper to a scream a le profil du premier film qui aurait pu être un dernier. Burr a mobilisé ses amis et sa famille pour le fabriquer et tout le monde y a mis toute son énergie. Certains n’ont jamais réussi à franchir le cap du deuxième film après ce genre de projet porté à bout de bras (que deviens-tu Evan Glodell, réalisateur de Bellflower ?). Mais il a suffisamment impressionné pour que Jeff Burr se voit offrir par des producteurs de travailler sur des projets. Parmi eux, l’infernal Charles Band, réalisateur de séries B estimables (Parasite, Future Cop) et désormais producteur malin dans la lignée des Roger Corman ou William Castle. Il a monté une société, Empire, et tourne des productions horrifiques en Italie. C’est lui qui a financé From Beyond ou Dolls. Il propose à Burr de travailler sur The Vault, une histoire d’école cachant un tombeau dans lequel se terrent des forces démoniaques. La faillite d'Empire fait capoter le projet. Il recroisera la route de Band quelques années plus tard mais nous y reviendrons (quant à The Vault, il sera réécrit et tourné en 2001 par un autre réalisateur sous la bannière de la nouvelle société de Band, Full Moon).

 L’homme à suites

Après deux ans de "Development Hell" sur des scénarios, il accepte de tourner Stepfather 2, suite mercantile que personne n’attendait du thriller de Joseph Reuben, qui avait fait son petit effet. L’acteur Terry O’Quinn rempile pour une suite maline, comme si Norman Bates se retrouvait lâchée dans un lotissement façon Desperate Housewives habitée d'épouses délaissées. Produit rapidement pour le marché vidéo, la patine du film impressionne suffisamment pour que Miramax, qui a acheté le film, veuille le sortir en salle moyennant l’ajout de plans gores pour muscler la fin. Burr refuse de les tourner. Un autre cinéaste se chargera des basses besognes des frères Weinstein. 

 


Il est ensuite appelé par New Line pour remplacer à deux semaines du tournage Jonathan Betuel, remercié, pour Leatherface. Pas forcément la proposition la plus gratifiante du monde. Même si ces deux films sont réussis, Burr donne l’impression d’être rentré dans le moule des (petits) espoirs déçus, condamné à usiner des suites. Le crédit du petit prodige de Dalton s’est envolé pour être remplacé par celui d’un professionnel aguerri prêt à répondre aux offres les plus mercantiles. 

 


Mais c’est là qu’intervient la magie Burr. Lui-même déçu par ces expériences où les producteurs ont interféré dans son travail, il se lance dans un projet très spécial voire kamikaze. Pendant le tournage de Massacre à la tronçonneuse, Il a fait la rencontre de l’acteur Duane Whitaker. Celui-ci joue à Los Angeles un spectacle seul en scène où il incarne un sosie d’Elvis Presley qui raconte les sacrifices que son métier passion ont engendré. Duane Whitaker a envisagé ce spectacle comme une catharsis à ses années de galère. Burr n’a pas écrit le film mais trouve une résonance intime forte. On s’exprime parfois mieux avec les mots des autres. Les deux hommes décident de tirer un film du spectacle. Le one man show constituera le dernier tiers du récit, Whitaker écrit du nouveau matériel dans lequel seront décrits les journées de l’acteur et son quotidien avant qu’il décide de monter sur scène pour un spectacle solo dont il fera la promotion à coup de flyer collés partout dans la ville. Burr tourne en 16mm dans les rues de Los Angeles, sans autorisation. La (mauvaise) raison pour laquelle ce film obscur a parfois été mentionné est qu’il contient un cameo de 2 secondes de Bruce Campbell et de Quentin Tarantino ! Quentin était un inconnu, il venait de tourner Reservoir Dogs mais le film n’était pas sorti. Je ne sais pas comment la connexion s’est faite et comment Tarantino connaissait Jeff Burr, sinon que tous deux gravitaient dans le monde du cinéma indé à Los Angeles. QT joue un des infirmiers dans un flash-back en noir et blanc où le personnage principal est interné après une dépression. Sur le dvd, on voit les rushes de la scène dont il ne reste quasi rien dans le montage final. Cela n’empêchera pas les éditeurs du film d’utiliser des images de cette scène pour customiser la jaquette, avec parfois la mention de la présence de Tarantino carrément au recto ! Duane Whitaker jouera ensuite dans Pulp Fiction (Maynard, un des serial violeurs du segment avec Bruce Willis) et sera acteur et scénariste de Une nuit en enfer 2 réalisé par le poto de QT et Sam Raimi, Scott Spiegel - avec lequel Jeff Burr enregistrera un commentaire audio sur un film qui n'est pas d'eux, The Visitor (1979).

Duane Whitaker, acteur principal et scénariste
 
Cameo éclair de Bruce Campbell et Quentin Tarantino
 

Eddie Presley est un des meilleurs films de Burr, un concentré d'énergie, et surtout, il n’a pas le défaut de ces œuvres dites « sérieuses » faites par des réalisateurs spécialisés (malgré eux ?) dans le fantastique qui se croient obligés de devenir tiède pour montrer des gages d’intégration au monde des professionnels de la profession dès qu'on leur offre l'opportunité de sortir du genre. Pour comparer avec un autre génie de l’époque, quand Fred Walton (Terreur sur la ligne) tourne en 1983 le coming of age Hardley’s rebellion, le résultat a beau être personnel, il est très inférieur à n’importe lequel de ses merveilleux téléfilms de genre produits à la chaine dans la période fin 80's /milieu 90's, au hasard The Courtyard, Trapped ou When a stranger calls back. Peut-être parce que Burr n’a pas écrit le scénario d’Eddie Presley, cela lui a évité l’écueil de l’œuvre personnelle pour le cinéaste qui parait insignifiante au spectateur. A contrario, un autre film similaire qui nous vient à l’esprit, très différent dans le résultat, mais dont la place dans la filmographie du réalisateur concerné est proche, c’est The Last minute de Stephen Norrington, ovni à petit budget sur la descente aux enfers d’un artiste – qui plus est également tourné après que le réalisateur en question ait tourné un film pour la New Line (Blade en l’occurrence) !

A peine diffusé, Eddie Presley a pourtant fait l’objet d’une copieuse édition DVD aux Etats-Unis dix ans après sa réalisation, en 2004. C’est un jeune cinéaste abonné aux séries Z notamment pour Full Moon (Witchouse 2), J.R. Bookwalter qui éditera le film dont il était un grand admirateur sous son label vidéo TEMPE VIDEO. Il passera plusieurs années à élaborer une édition très riche qui compte un commentaire audio, de nombreuses scènes coupées, tous les rushes de la scène avec Tarantino, un making of d'époque, quelques images du festival de Sundance où le film fut projeté, et même une director’s cut de 2h16, au lieu de 1h45 (dans le commentaire audio, Burr dit que ce n’est pas exactement une director’s cut, la version officielle était bien la sienne, mais un montage alternatif qui réintègre beaucoup de scènes coupées au fil du montage).  

 

Packshot de l'incroyable édition dvd américaine

Burr passe brièvement par la case TV, il tourne deux épisodes de Land of the Lost (reboot de la série d'aventures fantastiques années 1970) et retourne à l’horreur pour des projets où il ne dispose à nouveau plus du final cut. Pumpkind Head 2 Blood Wings est une suite du film d’horreur de Stan Winston. Le scénario a été développé comme une création originale avant d’être artificiellement réécrit pour devenir une suite afin de lever plus facilement des fonds. Puis La nuit de l’épouvantail concept identique sur le papier (un démon ancestral est accidentellement invoqué et décime le casting). A nos yeux, c’est son meilleur film d’horreur, celui où son talent de filmeur éclate dans un environnement pourtant générique :  un sens de l’atmosphère inné (ouverture racée et envoutante sur son héroïne au volant d’un coupé), des acteurs aux trognes marquantes (il faut dire que le scénario est pas mal du tout et les met en valeur, notamment ce quatuor de frères qui dirigent une petite ville : l’un est maire, les autres shérif, pasteur et fermier), des mises à mort violentes où se mélangent latex et stop motion, quant à l’épouvantail du titre, calqué sur les Freddy, Jason et autres tueurs à la mode, il est à la hauteur satanique de ses prestigieux confrères. C’est ce genre de série B qu’on lance de façon mécanique et au fur et à mesure du visionnage, on écarquille les yeux, happé par l’ambiance, le cœur conquis, et on se dit que c’est pour tomber sur ce genre de pépite qu’on enchaine déraisonnablement les mauvais films. Pour que la filmographie de Burr soit parfaite, il ne lui a manqué qu'un ou deux titres horrifiques de ce niveau pour la compléter.

Elizabeth Barondes

le fameux épouvantail


Los Angeles-Bucarest

Dans la même période, il part en Roumanie retrouver Charles Band qui a monté une nouvelle société tournant à plein régime, Full Moon. Band lui propose un deal séduisant, il aura un salaire de 100 000 $ pour tourner quatre films, soit 25 000 par production. Parmi elle, Oblivion, un western-fantastique pré CowBoys vs Aliens. Seule condition, Burr doit débarquer dès que possible en Roumanie pour tourner d’abord back-to-back, Puppet Master 4 et 5. Burr s'exécute. Le 4 possède une jolie ambiance eighties avec ses jeunes héros scientifiques et joue de l’inversion du concept original puisque les poupées sont désormais du côté du Bien. Elles affrontent des gremlins envoyés des enfers par un démon au costume grossier qu’on croirait sorti d’un sentaï. La suite, ou du moins la deuxième partie puisque le projet était de faire « un film coupé en deux », est plus laborieuse et commence par dix minutes de reprise in extenso du film précédent ! Charles Band est bien connu pour son recyclage éhonté de son catalogue.

Les quatre films du deal original proposé par Band ne seront finalement pas tournés par Burr. 

 



Le cinéaste continuera pourtant dans les années qui suivent à faire de nombreux allers-retours entre les Etats-Unis et la Roumanie où sont désormais tournés quasiment tous ses films. Il travaille régulièrement pour Charles Band, pour des productions désargentées destinées au marché de la vidéo ou pour des ventes sur les chaînes câblées. Il tourne pour lui un improbable Werewolf Reborn! deuxième volet d’une tétralogie dédié aux monstres Universal dont seuls deux épisodes seront tournés. Complètement fauché et pas vraiment un film puisqu’il ne dure que 40 minutes ! Il tourne aussi pour la Kushner Locke-Company, souvent en association avec Charles Band, des bandes pour un jeune public (mais franchement, lequel ? ) le sympa La ville fantôme western surnaturel où la ville du far-west est en fait un organisme vivant ; Johnny Mysto : Boy Wizard un conte d’heroic fantasy mêlant magie et voyage au temps des chevaliers de la table ronde ; The Boy with X-ray Eyes narre les aventures d’un jeune garçon que des aliens dotent de lunettes magiques lui conférant des supers pouvoirs qui lui seront utiles pour éviter que la terre ne soit détruite. On a plaisir à voir Burr jouer des petits rôles dans ces bandes dénuées de toute ambition.

 

 

Phantom Town aka Spooky Town aka La ville fantôme (sorti en dvd en France)

 


Il retourne brièvement à la TV et tourne deux épisodes d’une ignoble série Haim Saban - Shuki Levy dans le sillage des Powers Rangers, Buttleborgs (diffusé jadis dans les Minikeums sur FR3).

Dans ces difficiles années 1995-2000, son meilleur film est, de loin, Spoiler, avec l’épais Gary Daniels – mais très bon ici, en prisonnier s’évadant cycliquement avant d’être systématique repris puis condamné à des peines de cryogénisation. Burr use astucieusement de ses cadrages obliques dont il a le secret pour dynamiser une action se déroulant des couloirs étroits. Burr fait preuve d'une belle sensibilité, la fin – attention SPOILER - où le héros retrouve sa fille devenue vieille dame âgée sur son lit de mort est aussi belle que celle d’Interstellar – sauf que Burr l’a tournée avant Nolan ! Le film est conçu par John Eyres, un producteur à qui ont doit quatre bandes de SF à petit budget tournées en quelques mois (Timelock - 1996, The Apocalypse - 1997, Dark Planet - 1997, Absolution : the journey - 1997). Il était question qu’il tourne lui-même Spoiler mais il confie au dernier moment la réalisation à Burr qui rencontre la vedette sur le plateau le premier jour. Burr tourne le film et repart sans avoir pu monter une seule image, mais cela faisait parti du deal. Il signera le film de son pseudonyme Cameron Von Daacke (du nom de jeune fille de sa mère). Politique des auteurs ou pas, Spoiler, c’est vachement bien. 

 


 

Baroud d’honneur

En 2004, nouvelle remise en question. Le temps file et Burr en assez de travailler pour les autres. Il se lance corps et âme dans un nouveau projet qu’il lui tient à cœur, Straight into darkness, un film de Seconde Guerre Mondiale tourné dans une forêt roumaine, et dédié à son père William Burr récemment disparu, qui fut Gi. Le film est produit par Mark Hannah, un ami d’enfance qui était déjà là comme assistant sur la fabrication de son premier film. Deux soldats américains déserteurs trouvent refuge dans un orphelinat habité d’enfants aux physiques bizarres, tandis que les troupes allemandes approchent. Son fidèle chef op roumain avec lequel il a imprimé des heures de pellicule, Viorel Sergovici, saisit avec talent les bâtiments en ruines, les couleurs des feuilles en automne et la boue dans laquelle s'enlise les chars ennemis. Le résultat croise Un château en enfer de Sydney Pollack et Freaks de Todd Browning. Il n’y a pas vraiment d’intrigue, c’est une sorte de conte gothique atmosphérique. C’est le chant du cygne de la carrière de Burr, qui a pourtant quarante ans à peine. Sur les photos de tournage, le cinéaste semble plus âgé. 

 

Jeff Burr sur le tournage de Straight into Darkness


Burr continuera à tourner avec parcimonie les dix années qui suivent des films qu'il signera sous pseudonyme. 

Il y a le fun Devil’s den, pensé, écrit – enfin plagié sur From Dusk Till Dawn -, produit par le cascadeur Mitch Gould (plein de films et de séries tv depuis les années 1990). Devon Sawa se retrouve dans un club de striptease à affronter des créatures maléfiques et Kelly Hu manie le sabre avec dextérité. Jeff Burr retrouve son acteur de Leatherface, Ken Foree. Pas révolutionnaire mais agréable. 


Il y a ensuite le très camp Mil Mascaras vs. The Aztec Mummy, un hommage au (vrai) catcheur mexicain éponyme, écrit, conçu, interprété (et également crédité comme « stunt double » !) par un scientifique de l’université du Minnesota (sic), Jeffrey Uhlmann. Le jeune homme, fan de catch et en parallèle de son activité très sérieuse, obtient l’accord du catcheur mexicain pour ce serial délirant qu’on pourrait comparer à Black Mask 2. Autoproduction oblige, le tournage est réparti en trois sessions. Burr, en désaccord artistique avec Jeffrey Uhlmann, abandonne à la fin de la deuxième, un des collègues de l’université, Chip Gubera, le remplace pour terminer le film. Uhlmann et Burr se quittent sans animosité, en tout cas pas du côté du scientifique, qui remerciera Burr d’avoir apporté un vrai cachet professionnel à son film et d’avoir amené avec lui une équipe technique compétente, notamment son brillant chef op Thomas Callaway (Eddie Presley, La nuit de l’épouvantail) qui suivra toute la fabrication jusqu’à l’étalonnage. Burr utilisera l’alias Andrew Quint pour cosigner le film, comme le précédent.  

 

Le crédit des réalisateurs est en avant-dernière position

L'initiateur du film a le dernier carton

Il y a pour finir Gun of the black sun (sortie en dvd en 2011) production anglaise initiée par un certain Gary Douglas, qui a travaillé dans le monde du clip, a été acteur en Australie, aurait, parait-il, posé dans magazine Playgirl. Douglas écrit le scénario, s’offre le rôle principal et produit le film. Au casting, Ian Wright ancien footballeur professionnel reconverti ensuite comme présentateur. Il s’agit d’une obscure histoire de bikers anglais cherchant à faire revivre le troisième Reich. Burr apporte sa connaissance de la Roumanie pour tourner en partie le film, fait venir son chef op, et obtient l’accord de Richard Lynch pour quelques heures de tournage. Souvenir d’une horreur que nous n’avons pas eu le courage de revoir pour écrire ces quelques lignes.

Point commun de ces trois films : ils ont été conçus, surtout les deux derniers, dans des conditions proches de l’amateurisme par des personnalités plus ou moins proches du monde du cinéma, qui ont eu envie de concevoir un projet personnel et ont fait appel à Burr comme un super consultant, cassant leur tirelire pour avoir une personne expérimentée sur le plateau. Burr les signe sous pseudo, et fait rarissime, n’a pas le dernier carton du générique comme cela se doit pour le réalisateur (quand bien même bien s'appellerait-il Alan Smithee) mais l’avant-dernier. Le dernier carton est celui de l’initiateur du projet avec en général « un film de », le réalisateur n’étant crédité que comme un technicien. Le temps du triomphal carton "A Jeff Burr Film" est révolu depuis longtemps.

Ces trois films ont pour eux d’être plus originaux que les dernières productions conçues pour Charles Band. Mais Burr semble clairement avoir été mis en dehors du circuit professionnel, même celui le moins côté.

On n’a pas vu Résurrection (2010), retitré ensuite American Ressurection, dans lequel la violence s’empare d’une petite ville après avoir ingéré de la nourriture trafiquée (sic). Ce film ne semble pas être sorti et si l’on en croit la bande-annonce, on atteint le nadir de sa carrière. Burr apparait encore au générique de productions Full Moon mais ce sont des montages faits à partir de ses films antérieurs.


Conclusion

Jeff Burr dira qu’il n’avait fait que trois films dont il se considérait être vraiment l’auteur : From a Whisper to a scream, Eddie Presley et Straight into Darkness. Il ne fut jamais considéré comme un grand réalisateur de cinéma fantastique, d’ailleurs il n’a été convié à aucune anthologie du type Masters of horror ou Fear Itself. Il avait pourtant un cercle d’amateur et de fans comme l’attestent ces éditions vidéo souvent soignées voire carrément inimaginables, en particulier celle From a Whisper to a scream dont l’édition allemande est une de plus belles éditions vidéo qu’on n’ait jamais vue ! Le Mediabook allemand, qui upgrade l’édition US devenue introuvable, offre en plus du film en blu-ray un commentaire audio ; un documentaire de deux heures sur la conception du film où la plupart des jeunes gens d’alors devenus grands sont là ; un doc d’une heure trente sur la frénésie créatrice des jeunes de Dalton avec leurs caméras 8mm (le doc n’est pas centré sur Burr mais il en est une des figures importantes), la bande-originale signée Jim Manzie… et surtout l’intégralité des courts-métrages en 8mm ou en 16mm tournés par Burr durant son adolescence ! Qui aurait pu imaginer un tel travail d’amour autour de ce film ? L’objet semble encapsuler, sinon toute, au moins une partie de la vie d’un jeune homme.  

 


En 2018, sa mère, devenue philanthrope local de Dalton, donna son nom à un parc dédié à l’art (Burr Performing Arts Park). L’espace arboré est doté d’un amphithéâtre, afin d’offrir aux habitants un espace de vie agréable qui servait aussi de lieu d’expression pour les artistes. Jeff Burr l’accompagna pour mener à bien son projet, il était reconnaissant à sa ville de l’avoir, via ses institutions, accompagnée dans sa jeunesse à développer son goût pour les arts et l’avoir aidé à faire ses premiers films amateurs. Sa mère décède en 2020, à l'âge de 93 ans. Et il est amusant (ceci dit sans ironie mais avec affection) de voir cet hommage à l'art signé du même nom que l'homme à qui on doit Massacre à la tronçonneuse 3 ou Puppet Master 5.

 

 
Photos du parc prises sur le Facebook du site, "Burr Performing Arts Park"

 Les cinéphiles aiment chercher dans le dernier plan du dernier film d’un cinéaste aimé, un signe, une marque, une trace qui contiendrait l’œuvre entière. La filmo de Burr est trop erratique pour procéder à ce petit jeu mais essayons : la dernière chose tournée par Jeff Burr fut un téléfilm pour SyFy, Alien Tornado (2011) dans lequel une chasseuse de tornade et un fermier affrontaient des colonnes de vents manipulées par des entités extraterrestres, pour un résultat, disons-le, nullissime. Mais Alien Tornado est signé de son nom, ce qui n'était pas arrivé depuis Straight into darkness. Le dernier plan voit l’héroïne embrasser l’acteur en l’enlaçant vigoureusement comme dans un film hollywoodien puis un panoramique vient cadrer un mobile suspendu sur le perron avec des petites clochettes tubulaires pour teinter quand le vent souffle, en dessous une étoile rouge décorative, comme un haïku visuel. Permettez-nous d’y voir ce qu’on aime chez lui : un même mouvement de caméra embrasse classicisme et le mystère de l’invisible qui nous entoure, que seul l’art peut révéler.  

 

Alien Tornado, son Frontière chinoise.

 

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Liste de ses commentaires audio

From a whisper to a scream – Blu-ray Us et allemand.

The Stepfather 2 : make room for daddy (avec Darin Scott, producteur du film)

Leatherface : The Texas Chainsaw Massacre 3 – sur les différentes éditions dvd et blu-ray us

Eddie Presley (avec l’équipe) – uniquement sur l’édition US, pas repris sur l’édition UK (édition  honteuse : le nom de Burr est omis de la jaquette et Campbell et Tarantino sont carrément crédités en gros au recto avec Duane Whitaker !! Cette édition a toutefois deux avantages 1- on la trouve plus facilement que l'édition américaine et elle n'est pas trop chère 2- surtout, elle seule propose des sous-titres anglais pour sourds et malentendants, bien pratiques pour suivre le film).

Pumkinhead 2 – Blood Wings  Blu-ray us

Puppet Master 4 – Blu-ray us (incroyable de redécouvrir ces films au bon format, en HD)

Puppet Master 5 : The final chapter Blu-ray us

Night of the scarecrow - uniquement sur le blu-ray us Olive Films, édition introuvable (dommage c'est la seule façon de voir le film dans son bon format image 1,85 : 1).

Straight into darkness – uniquement sur l’édition dvd us, pas repris sur l’édition blu-ray (il faut le dvd pour les suppléments dont aucun n'a été repris et le blu-ray pour le film)

 

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Les huit à voir : Eddie Presley - Night of the scarecrow - From a whisper to a scream - Straight into darkness - Leatherface : Massacre à la tronçonneuse 3 - Spoiler - The Stepfather 2 - Puppet Master 4