lundi 29 septembre 2014

La mort de Laurie Markovitch de Bertrand Bonello




Un long travelling nous fait croiser dans cette forêt nous fait croiser quelques personnes, qui marchent ou qui sont tranquilles.
Toutes ces personnes ont le visage bandé.
(Extrait du scénario inédit de La mort de Laurie Markovitch, de Bertrand Bonello, aux éditions Les prairies ordinaires) 

Sachant que le film aurait dû être tourné à Montréal, qu’il montre un univers à la fois contemporain mais visiblement situé dans un futur proche, que la chirurgie esthétique est son outil et que les visages bandés des patients hantent les arrières plans, le  film auquel La mort de Laurie Markovitch de Bertrand Bonello fait indéniablement le plus pensé, c’est STEAK de Quentin Dupieux. 
Le scénario a été écrit bien avant que Steak ne sorte. Bonello doit être un fan du résultat puisqu'il l'a classé  dans ses dix films préférés des années 2000-2009, classement paru dans Les Cahiers du cinéma
Contrairement à Laurie Markovitch, Steak ne recherche pas particulièrement le drame et le lyrisme. Pourtant des deux films suintent une vision terrifiante de notre monde où même la vie intérieure est bouleversée par les changements physiques et esthétiques. 


The Ballad of Gnesis and Lady Jay

David Fincher / Bertrand Bonello / VERTIGO




David Fincher, à propos de VERTIGO
(Interview parue dans Film Comment, septembre 2014)
« J’ai toujours trouvé que ce film [VERTIGO] ne racontait pas le bonne histoire et qu’il aurait été plus intéressant de suivre cette femme qui rencontre cet homme (Gavin Elster), tombe amoureuse de lui, et lui de dire un jour « Et, est ce que tu veux t’habiller comme ma femme, te balader dans des musées, te jeter dans à l’eau de la baie, laisser un étranger te déshabiller et te garder dans son appartement tout un après midi, rouler avec lui jusqu’à Santa Cruz pour me retrouver ensuite en haut d’un toit ? ». Donc elle grimpe en haut de ce toit sachant que le gars qui l’a conduit-là ne peut la suivre en haut des escaliers, tout ça pour que son amoureux jette du haut du toit sa femme morte, et lui dise « maintenant tu es impliquée jusqu’au coup. Tais-toi, et voilà un bijou en compensation ». Ca ressemble à un film encore plus tordu”. 

Cette version du film, Bertrand Bonello a voulu l’écrire et la réaliser. De ce projet avorté reste aujourd’hui un scénario – co-écrit avec Stéphane Delorme des Cahiers du cinéma (*) - qui vient de paraître, dans le livre « Les films fantômes de Bertrand Bonello », et une adaptation radiophonique sur France Culture (starring Clotidle Hesme et Mathieu Amalric). Madeleine d’entre les morts, c’est le nom de ce film jamais tourné, qui devait se déroule en France, comme le roman d’origine. Il parait toutefois que Uma Thurman eut donné son accord avant de ne plus donner signe de vie. Le scénario donne peu d’indications sur les endroits où il devait être tourné. Peu importe, son socle, c’est Vertigo d’Alfred Hitchcok dont il reprend des scènes entières mais filmées du point de vue de Judy/Madeleine ou de loin (comme la scène des séquoïa), comme observé par un spectateur qui connaitrait déjà la scène originale. Le dialogue Judy/Scottie est souvent remplacé par une scène se déroulant antérieurement entre la jeune femme et le mari meurtrier (Paul dans le scénario) répétant la scène et le dialogue à l’identique qui devra être jouée plus tard pour duper l’enquêteur.
A la lecture du scénario, il est difficile d’imaginer quel film cela aurait pu être. Le scénario est avare en contextualisation, alternant longues scènes dialoguées où Paul met en scène son actrice et déambulations dans la ville (avec la particularité que les séquences de filature sont filmées du point de vue de la personne filée, elle ne voit donc jamais son suiveur, puisqu’il est derrière elle), et n’explique pas vraiment l’inexplicable, c'est-à-dire comment une femme peut accepter par amour de participer à une machination aussi diabolique et tirée par les cheveux.
Le fantôme de ce récit, c’est la mise en scène que Bonello. Quelle aurait-elle été ?


(*) et rédacteur d’un pamphlet pour les lycéens consacré à Vertigo, trouvable sur l’Internet.

lundi 15 septembre 2014

DIRECTED BY SYLVESTER STALLONE written by Jean-Christophe HJ Martin




C’est un recueil de huit nouvelles. Sylvester Stallone, ou plutôt ses films, apparaissent dans chacune d’entre elles. Mais Stallone et ses films ne sont jamais leur sujet premier, excepté peut-être le dernier texte dans lequel le personnage principal décide de transformer Expendables en franchise littéraire. Parfois, son rôle est même très secondaire. Dans la nouvelle Struttin’ , le film de référence est Staying Alive, réalisé par Sly, mais ce qui passionne son héros adolescent, c’est John Travolta et sa démarche chaloupé. Dans la nouvelle There is tomorrow, le héros, après avoir vu Rocky 3, se prend non pour le héros éponyme mais pour Mister T, dont il reproduit la coupe de cheveux iroquois.  Dans Win… Win !, Rocky 2 va l’obséder, mais pas le film, seulement  la bande originale de Bill Conti, et encore uniquement deux morceaux (Redemption et Overture).
Le héros de chacune des nouvelles n’est jamais le même, et pourtant, on a l’impression d’avoir à faire à chaque fois au même individu. Un homme cultivé, globalement plus passionné par la musique que par le cinéma, globalement inconséquent, à une période de sa vie où il semble entre deux eaux.  Le héros There ain’t nothing till it’s over  se retrouve à passer quelques jours à Rome, là où il vécut des années avant en dilapidant un héritage familial, flânant sans but précis dans la ville. Celui de Win… Win ! est un journaliste pour un quotidien local abimant son talent selon ses proches, sans que cela ne l’affecte particulièrement. La dépression n’est pas loin, ou a déjà eu lieu, mais son souvenir ne s’est pas évanoui.
Ce héros est monomaniaque. Il va voir 14 fois Rocky 2 pour écouter les deux chansons qu’il aime de la BO avant de se procurer le disque. Il visionne 250 fois John Rambo dans l’apocalyptique Fuck the world où un homme vit reclus dans une école, après la Chute, avec pour seul film disponible sur sa clé USB le dernier épisode en date de la saga. D’ailleurs c’est souvent le hasard qui l’amène à voir les films de Stallone. Il accompagne des amis au cinéma. C’est le seul film disponible à l’instant où il veut voir un film. Le héros ne considère même pas ces films comme des chefs d’oeuvre. Il défend mollement Rocky 4 face à une amoureuse méprisant ce film –dont elle n’a vu que des extraits, au nom de l’impéralisme américain qu’il véhiculerait. Il s’étonne qu’une femme de gauche comme elle  méprise celui qui est l’incarnation du « Working Class Heroe ».  Dans la nouvelle inaugurale, il propose à des amis musiciens de projeter derrière eux lors d’un concert-installation des extraits de La Taverne de l’enfer , bien qu’il n’ait « rien d’exceptionnel ». Ce film est même destiné à remplacer  leur premier choix, La cicatrice intérieure de Philippe Garrel, qu’ils n’ont pu obtenir à un tarif acceptable !    
Stallone est là parce que Stallone est dans nos vies depuis toujours. Il a réussi à échafauder un mythe dont il continue à être le grand ordonnateur. Peu importe la réussite ou non de ses films (plus non que oui d’ailleurs), ce qu’on aime chez Stallone, c’est lui. On l’aura vu animal conquérant (Rocky) et animal blessé (Rambo), héros arrogant (Rocky 4) ou héros nostalgique (Expendables). Stallone est un personnage polymorphe dévoilant toute la complexité humaine du prolétaire devenu riche. Qui plus est , cette dialectique s’incarne dans un corps mutant. Il offre un parfait miroir déformant aux héros des nouvelles, lui plus cérébral que physique, plus pusillanime qu’offensif.
De ces nouvelles pleines d’humour et écrites d’une plume alerte et imagée sourd pourtant une angoisse face au monde. Life is a disease. Is Stallone the cure ? 

Directed by Sylvester Stallone
Editions Lettmotif

"L’ institutrice" de Nadav Lapid




Spoiler. Voyant que personne ne sera là pour cultiver le don de l’enfant poète, l’institutrice enlève le petit garçon et l’emmène avec lui. Ils logent momentanément dans un hôtel en bord de mer.  Elle est très douce avec lui et s’en occupe comme une mère. Mais l’enfant se rend très vite compte de l’anormalité de la situation. Alors qu’elle prend sa douche, il l’enferme dans la salle de bain en fermant le verrou de l’extérieur, et appelle la police. 

Un verrou situé à l’extérieur d’une salle de bain ? Est-ce bien crédible comme configuration ? On sait que les bâtiments regorgent souvent d’aberration de construction, peut-être qu’il existe des salles de bain dans des hôtels dont le verrou a été posé à l’extérieur au lieu d’à l’intérieur. C’est possible. Mais que le dénouement final repose sur une telle aberration pratique est quand même problématique. Surtout que cela donne lieu à un suspense agaçant où le petit garçon monte sur une chaise près de la fenêtre (ils sont au 3ème étage du bâtiment) pour voir à l’extérieur, à la recherche d’indice à donner à la police pour les localiser. Tombera-t-il ? Tombera-t-il pas ? Cette scène est symptomatique d’un film qui joue le retenu et le mystère de façon  arbitraire, et en se gêne pas pour user de ficelles grossières tout en tenant bien à distance la dimension thriller dans laquelle il aurait pu s’engouffrer. Trop vulgaire sans doute. 

Film antipathique par bien des aspects, L’institutrice a quand même pour lui une scène de club assez démente. Invitée à danser avec un jeune homme amateur de poésie et sa copine, les trois se lancent dans une chorégraphie incongrue (ils font des mouvements hystériques avec leurs bras de haut en bas) et endiablée sur la piste de danse. Elle, tout en retenu depuis le début du film, s’agite dans tous les sens, au son du beat électro. Alors que les deux amoureux se rapprochent, la femme, suivie par la caméra, va à l’autre bout de la pièce et continue seule sa chorégraphie. La meilleure scène de club comico-dansante depuis Une nuit au Roxbury (si on ajoute que la scène finale est rythmée par le Bailando de Bellini, on vote pour que Nadav Lapid réalise Sexy Dance 6)

Notes :
-          * La caméra est si proche des personnages, qu’à deux reprises,  des acteurs la bouscule accidentellement.
-     * La teneur des chants patriotiques qu’apprennent les enfants dans leur école maternelle fait frémir.

mercredi 10 septembre 2014

"La fille de Starfix" d'Hélène Merrick



« La Chaleur humaine » (Bertrand Betsch)

Starfix, c'est évidemment Christophe Gans, FAL, Nicolas Boukrief, François Cognard, Christophe Lemaire, Doug Headline...  mais Starfix, c'est aussi Hélène Merrick. Hélène Merrick fut une des membres de la fameuse revue à la plume sans doute plus discrète que ses comparses. Elle n'avait pas la faconde méridionale de Gans, la froideur réfléchie de Boukrief, la folie de Cognard, l'humour de Lemaire, la rigueur analytique-professorale-pince-sans-rire de FAL et pourtant, c'était une des plumes les plus attachantes de la revue. Hélène Merrick avait pour elle un éclectisme assez incroyable. Elle pouvait faire un feuillet énamouré sur L'amour par terre (« C’est bon ») de Jacques Rivette  tout en adorant Rambo 2 (pour lequel elle avait mis, si nos souvenirs sont bons, un "4"-  la meilleure note - dans le tableau de cotation).  Elle exprimait son enthousiasme pour John Water ou Russ Meyer, tout en adorant Dolph Lundgren et Jean-Claude Van Damme (amour qu'elle développera dans la défunte et ultra sympathique revue Ciné-News). Hélène Merrick était une des femmes de Starfix, pas la seule, il y eut Guilaine Chenu, Catherine Esway, la photographe Marianne Rosenstiehl a.k.a Felix Glass, Claire Paillocher, la directrice artistique Paola Boileau, Nancy Guion sans oublier Madame FAL, Claire Sorel, mais elle fut la plus marquante, celle qui traversa (quasiment) toute l'histoire de la revue. Hélène Merrick était "La fille de Starfix".

Hélène Merrick, pigiste multi supports, publie aujourd'hui un livre qui porte ce titre (*) et narre ses souvenirs de l'aventure Starfix. La journaliste qui porte le même nom que le personnage d’Elephant Man (on apprend d’ailleurs que ce nom est en fait un pseudonyme choisi en référence à l’homme-éléphant !) débute son texte par un long prologue narrant sa collaboration à Métal Hurlant, époque Dionnet et Manoeuvre. Car ce livre, c'est aussi une histoire de la presse cinéma des années 80. Mélange d'anecdotes cocasses et de souvenirs nostalgiques sans réelle continuité temporelle (les flashforwards sont nombreux),  Hélène Merrick fait preuve de bienveillance et de chaleur humaine dans sa description de l'époque. Elle se refuse à dire du mal de qui que ce soit (ou presque, les seuls en prenant vraiment pour leur grade étant Andrzej Zulawski et Sophie Marceau, pourtant un couple mythique dans l'histoire de la revue), préférant raconter de façon émerveillée, presque naïve -que dans cet adjectif ne soit  rien perçu d’autre qu'un compliment sincère. Hélène Merrick n'a pas oublié la surprise et la tension d'assister pour la première fois à une projection privée (comment se comporter avec l'attaché de presse ?), le bonheur de voir un article publié, l'effondrement au contraire devant un texte qui ne paraitra finalement jamais et la honte occasionné vis à vis des gens qui ont pu être impliqués dans la conception de ce texte. C'est peut être bête à dire,  mais cet attachement  à des choses aussi simples que la considération et la gentillesse, ne sont finalement pas si fréquentes, et tout son texte transpire ces qualités, comme c’était le cas de ses articles.


Hélène Merrick est aussi une grande sentimentale, n'a-t-elle pas écrit un ouvrage consacré à Elisabeth Taylor ?, et son texte regorge de ses joies (assister à une réunion entre ami) et de ses peines (lorsqu'elle ne se reconnait plus dans le journal qui était pourtant devenu sa famille). Il est émouvant, pour le lecteur fanatique de la revue, de constater que ce qu'il ressentait à l'époque en lisant chaque mois son magazine préféré, était bien le reflet de ce qui se passait à l'intérieur de la revue. Comme Hélène Merrick, nous fumes déçus du départ -partiel- en 1987 de Christophe Gans, occasion d’un changement de formule d’un goût douteux (avec l’introduction des fiches cuisines). Comme Hélène Merrick, nous ne comprimes pas très bien les changements de rédaction en chef incessants dans la période 1989-1990 provoquant un contenu qui avait du mal à trouver une ligne directrice forte. Comme Hélène Merrick nous n’aimions pas quand le magazine était en grande partie rédigé par de nouvelles plumes, de plus en plus nombreuses, diluant l’identité du magazine. Comme Hélène Merrick, nous avons ressenti parfois un certain malaise devant les textes de Nicolas Boukrief qui devenaient de plus en noirs, voire nihilistes dans les derniers mois (Hélène Merrick a publié à la fin de son texte les commentaires de ses collègues à propos du livre, les explications de Nicolas Bouk(h)rief concernant cette dernière période sont particulièrement sensibles).  


Mais c’est aussi pour ça que nous aimions Starfix. Ce n’était pas simplement une revue de cinéma, nous la lisions moins au fil du temps pour entendre parler de film que lire ce que des gens que nous aimions, sans les connaître, avaient à nous dire.  Hélène Merrick décrit avec chaleur ses anciens collègues et amis. Les lignes consacrées à Christophe Gans sont parmi les plus émouvantes qu’ils nous aient été donné à lire à son propos. Cinéphile grande gueule, puit de culture, intimidant, Christophe Gans est une personnalité difficile à percer tant sa cinéphilie donne l’impression d’être un paravent, un paravent, que dis-je ! , un bouclier, un rempart, une forteresse pour masquer une pudeur extrême. Hélène Merrick dresse effectivement le portrait d’un garçon passionné, exalté, mais toujours juste et respectueux de ses collaborateurs.  

A la fin d’Elephant Man, son homonyme John Merrick concluait « My life is full because I know I am loved ». Que la belle Hélène considère elle aussi la sienne comme remplie. 

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(*) La Fille de Starfix est disponible en édition électronique chez amazon. Hélène Merrick nous a malheureusement obligé à rompre notre engagement moral de ne plus jamais commander quoique ce soit chez ces voleurs fiscaux.