jeudi 12 juin 2014

Welcome to New York d'Abel Ferrara





 C’est l’histoire du scorpion qui tue la grenouille et se noie avec elle au milieu de la rivière parce que c’est sa nature. Dans Welcome to New York, Depardieu/Devereaux/DSK (les trois Désastres pour paraphraser Godard) sont l’incarnation du scorpion de la fable. Un être entièrement guidé par ses pulsions sexuelles, qui leur a tout sacrifié, parce qu’il ne peut concevoir sa vie autrement. L’homme ressemble à la fois à un enfant déficient mental (voir son sourire lunaire dans le dernier plan ou ses élucubrations paillardes devant sa fille faisant penser qu’il pourrait être atteint du syndrome Gilles de la Tourette) et à un vieillard cacochyme (quand il baise, il semble au bord de l’infarctus ou même quand il se déplace, il émet des grognements) dépossédé de toutes ses illusions (son soliloque intérieur face à la ville où il explique que toutes ses actions politiques ont échoué). Abel Ferrara dépouille son film de tout : le FMI se limite à un bureau envahi par les putes qui « font leur travail »  - elles. Les rêves de présidence de la république française à une ligne de dialogue. Même le langage est transformé en une sorte de sabir où se mêlent aléatoirement anglais et français (Devereaux et sa femme se parlent en anglais avec des mots de français à l’intérieur, une actrice américaine « joue » Tristane Banon avec un accent français à couper au couteau). Adieu au langage. Abel Ferrara se débarrasse donc du superflu pour aller à l’essentiel : le portrait d’un homme guidé par une sexualité maladive que le cinéaste filme comme une rêverie ouatée, guidée par une caméra légère et aérienne. 

Putes. A l’hôtel, drague de l’hôtesse d’accueil. Putes. Dodo. Putes. Dodo. Viol (« Je n l’ai pas violée, je me suis juste branlé sur sa bouche » dira-t-il plus tard à sa femme). A l’aéroport, l’homme à la carcasse opulente fend pourtant l’air dans un aérogare presque vide, tirant sa petite valise qui roule, et drague –encore- l’hôtesse de l’air qui l’accueille. La chair est triste peut-être, mais pas que. L’homme veut plaire à toutes tout le temps. Rien n’existe que ce besoin organique qui pourtant ne lui procure plus de satisfaction. Une jeune femme tombe même sous son charme. Celles qui se refusent à ses avances sont brutalisées. C’est sa nature. 

Rarement aura-t-on vu un portrait d’une telle franchise dans la noirceur. Pas de moralisme, pas de circonstances atténuantes. Ferrara ne lui cherche pas plus d’excuses que le personnage lui-même ne s’en cherchent.  Ferrara nous envoie la part obscure humaine en pleine face, celle qui nous constitue aussi, celle qui n’est expliquée pas rien si ce n’est l’abomination contenu dans chaque Homme. Sa noirceur, ce pourrait être aussi la nôtre.  

Le personnage de sa femme, Simone, est très beau. A son mari, elle n’a que des reproches à lui opposer et des remarques pécuniaires mesquines.  Mais c’est une femme bafouée, blessée dans son amour et son amour propre. Elles posent des questions qui, elle le sait, n’appellent pas de réponses. Alors elle tape et tape encore, dans le vide. Elle rejette son homme parce qu’elle ne veut pas sentir son odeur (« Tous les hommes font ça, ils nous retiennent avec leur odeur »). L’homme et la femme, dans ce petit théâtre de l’appartement de Tribecca, s’affrontent une fois encore, mais le combat est perdu d’avance. La femme caresse le drap du lit conjugal comme on essaierait de balayer la honte. Mais c’est peine perdue.

1 commentaire:

  1. Ferrara, cinéaste féminin ?
    http://lemiroirdesfantomes.blogspot.fr/2015/04/snake-eyes-regarde-les-hommes-tomber.html?view=magazine

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