dimanche 5 octobre 2025

THE HIT de Stephen Frears (Festival de Reims 2025)

   

Retour à Reims

Stephen Frears était célébré au festival du film policier, durant lequel était projeté The Hit, un de ses premiers films. Compte rendu de l’hommage rendu au grand cinéaste anglais.


Pour le titre de cet article, on paraphrase à dessein le titre du fameux roman de Didier Eribon, mais pour évoquer le Britannique Stephen Frears. C’est en effet au cinquième festival du film policier de Reims, qui s’est tenu du 3 au 6 avril 2025, que nous avons pu rencontrer le cinéaste. Un hommage lui était rendu, et trois de ses films ont été projetés au cours de la semaine : Les Arnaqueurs, The Program et le titre qui nous intéresse ici The Hit.

Reims donc. 

Hasards de la vie, le film y fut déjà projeté à sa sortie, en 1984, lors du « 6e festival du film et du roman policier » qui se tenait à la Maison de la Culture, ancêtre putatif du festival actuel, même si personne dans la ville ne semble s’en souvenir. À l’époque, The Hit avait des allures de premier film car rares étaient ceux qui connaissaient ses vies d’avant. En effet, Frears avait déjà quarante-trois ans, une carrière d’assistant-réalisateur auprès de grands cinéastes britanniques tels que Karel Reisz. Il avait déjà réalisé un premier long-métrage, certes méconnu et alors quasi invisible, Gumshoe avec Albert Finney (1971) – Frears avait été l’assistant de Finney sur son unique réalisation Charlie Bubbles en 1968 – et surtout, il avait œuvré pendant plus de dix ans à la BBC, où il tourna presque autant de téléfilms pendant cette décennie que de films pour le cinéma dans les quarante années qui suivirent (ce qui veut dire beaucoup puisque Frears a été un cinéaste productif). Si The Hit marquait en réalité le début de sa seconde partie de carrière, il possédait aux yeux des spectateurs d’antan l’aura des débuts.
Quarante et un ans ont passé depuis cette projection rémoise. Frears est un cinéaste admiré depuis longtemps, du public et des acteurs. C’est aussi un vieux monsieur (83 ans), l’œil vif mais la démarche ralentie, qui n’arrive pas à monter son dernier projet en date, Billy Wilder et moi, d’après le roman de Jonathan Coe, une histoire d’un vieux cinéaste en décalage avec son époque, observé par une jeune femme qui n’a jamais entendu parler du réalisateur de La Garçonnière. Ironiquement, c’est une des raisons pour lesquelles le film n’arrive pas à se faire : « le public actuel ne connaît pas Billy Wilder », a-t-on entendu regretter Frears.

Hommage lui fut rendu dans la grande salle du cinéma Opéraims par Aude Hesbert, la directrice du festival, puis via des vidéos enregistrées par John Malkovich (en tournage sur l’île de Pâques !) et Helen Mirren. Frears est, on le sait, avare en paroles, discret, peu loquace ; école John Ford. Il confessa toutefois que ces déclarations d’amour lui mirent la larme à l’œil, salua le public français très cinéphile selon lui (à la question qu’il posa au public, venu en masse, « Qui connaît Jean Vigo ? », une armée de bras se leva), critiqua ses compatriotes pour le Brexit et retourna s’asseoir, sincèrement ému.


Bizarrerie : le film qui fut projeté dans la foulée, Old Guy, n’était pas signé Stephen Frears mais Simon West, sans doute pour proposer un titre inédit aux festivaliers, forcément plus événementiel qu’une œuvre de patrimoine. On parle bien ici de Simon West, le réalisateur de Les Ailes de l’enfer, Tomb Raider ou Le Déshonneur d’Elisabeth Campbell. On l’avait un peu oublié devant ce pedigree, mais West est anglais. Son dernier film se déroule entre l’Angleterre et l’Irlande, une histoire de tueur à gages mis en retraite forcée par ses employeurs, réussie quand elle réunit son trio d’âmes solitaires (le tueur cacochyme, son jeune remplaçant, et une tenancière de bar qui les accompagne). On n’est pas si loin de l’univers de The Hit, même si le ton est différent : moins cosmique, plus comique. Simon West, fringant sexagénaire, monta sur scène et, très bon, se lança dans un numéro pince-sans-rire comme seuls les Anglais savent le faire. On ne sait pas s’il devait juste présenter son nouvel opus ou prolonger l’hommage à Frears. Toujours est-il qu’il se lança dans un long laïus pour évoquer son angoisse à l’idée de savoir que son aîné allait découvrir son nouveau film, se retrouvant dans la même situation que, trente ans plus tôt, quand il assista à la projection de Les Ailes de l’enfer à Cannes et que Ridley Scott était dans la salle – ses deux cinéastes anglais préférés. Cette insistance ne cachait-elle pas une façon malicieuse de pousser Frears à rester alors qu’il avait peut-être décidé de quitter les lieux une fois l’hommage terminé ? Qui sait si un dîner mondain ne l’attendait quelque part dans la ville où Clovis fut baptisé, ou alors peut-être qu’il n’aurait pas très envie de voir un film avec en vedette Christoph Waltz, l’acteur qui devait justement jouer Billy Wilder dans ce projet qu’il n’arrive pas à financer.


Simon West poursuivit en racontant qu’à l’âge de 18 ans, il travaillait à la BBC, « avec Mike Leigh » (un sourire invisible nous barra le visage à l’association de ces deux noms). Il eut l’occasion de voir Stephen Frears au travail une seule fois alors qu’il visitait un de ses tournages, au début des années 1980. Le décor était celui d’une vraie cale de navire, sombre, le tournage était bruyant et il y avait des dizaines et des dizaines de figurants. West se dit impressionné par le capharnaüm qui régnait, les odeurs, le bruit, l’agitation. Et soudain, au milieu d’une foule compacte de figurants, surgit de nulle part le visage de Frears. West se dit avoir été marqué à jamais par le visage « stressé » (il prononça le mot plusieurs fois) du cinéaste, qui avait ainsi émergé des entrailles du navire au milieu de ces visages anonymes. On n’avait jamais imaginé que Frears puisse être aussi angoissé. Alors qu’il pensait échanger avec lui, « le visage de Frears disparut » aussi soudainement, reparti dans l’enfer du plateau et les boyaux du bateau. Un peu déçu, West déclara qu’il ne comprit que bien plus tard, quand lui-même était devenu réalisateur, combien ce métier pouvait être stressant et que la concentration exigée vous empêchait de voir tout ce qui était extérieur. Comme on voit le mal partout, on prit ce propos pour une façon élégante et très british de West de faire savoir à Frears que, même si c’était pardonné depuis, il avait été un peu vexé à l’époque.


Ce n’est que le lendemain de cette soirée que The Hit fut enfin projeté ; le cinéaste présenta, en plein après-midi, à un public dans l’ensemble à peine majeur, le road movie noir qui nous importe ici : comme quoi les jeunes ne connaissent peut-être pas Billy Wilder, mais ils connaissent Stephen Frears. The Hit commence par un générique d’ouverture atmosphérique qui insère un plan étrange de John Hurt se tenant près d’un rosaire au sommet d’une colline sablonneuse, puis l’image se fige. On ne le comprend qu’à la fin, mais ce plan provient d’une des dernières scènes : c’est un flash-forward. Se dessine la figure du cercle, la vie, la mort, puis tout recommence.

Quarante ans après, The Hit était de retour à Reims.

(THE HIT est disponible en édition Blu-ray/Dvd)





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