Retour à Reims
Stephen Frears était célébré au festival du film policier, durant lequel était projeté The Hit, un de ses premiers films. Compte rendu de l’hommage rendu au grand cinéaste anglais.
Pour le titre de cet article, on paraphrase à dessein le titre du fameux
roman de Didier Eribon, mais pour évoquer le Britannique Stephen Frears. C’est
en effet au cinquième festival du film policier de Reims, qui s’est tenu du 3
au 6 avril 2025, que nous avons pu rencontrer le cinéaste. Un hommage lui
était rendu, et trois de ses films ont été projetés au cours de la semaine :
Les Arnaqueurs, The Program et le titre qui nous intéresse ici
The Hit.
Reims donc.
Hasards de la vie, le film y fut déjà projeté à sa sortie, en 1984, lors du
« 6e festival du film et du roman policier » qui se tenait à la Maison de la
Culture, ancêtre putatif du festival actuel, même si personne dans la ville ne
semble s’en souvenir. À l’époque, The Hit avait des allures de premier
film car rares étaient ceux qui connaissaient ses vies d’avant. En effet,
Frears avait déjà quarante-trois ans, une carrière d’assistant-réalisateur
auprès de grands cinéastes britanniques tels que Karel Reisz. Il avait déjà
réalisé un premier long-métrage, certes méconnu et alors quasi invisible,
Gumshoe avec Albert Finney (1971) – Frears avait été l’assistant de
Finney sur son unique réalisation Charlie Bubbles en 1968 – et surtout,
il avait œuvré pendant plus de dix ans à la BBC, où il tourna presque autant
de téléfilms pendant cette décennie que de films pour le cinéma dans les
quarante années qui suivirent (ce qui veut dire beaucoup puisque Frears a été
un cinéaste productif). Si The Hit marquait en réalité le début de sa
seconde partie de carrière, il possédait aux yeux des spectateurs d’antan
l’aura des débuts.
Quarante et un ans ont passé depuis cette projection
rémoise. Frears est un cinéaste admiré depuis longtemps, du public et des
acteurs. C’est aussi un vieux monsieur (83 ans), l’œil vif mais la démarche
ralentie, qui n’arrive pas à monter son dernier projet en date,
Billy Wilder et moi, d’après le roman de Jonathan Coe, une histoire
d’un vieux cinéaste en décalage avec son époque, observé par une jeune femme
qui n’a jamais entendu parler du réalisateur de La Garçonnière.
Ironiquement, c’est une des raisons pour lesquelles le film n’arrive pas à se
faire : « le public actuel ne connaît pas Billy Wilder », a-t-on entendu
regretter Frears.
Hommage lui fut rendu dans la grande salle du cinéma Opéraims par Aude Hesbert, la directrice du festival, puis via des vidéos enregistrées par John Malkovich (en tournage sur l’île de Pâques !) et Helen Mirren. Frears est, on le sait, avare en paroles, discret, peu loquace ; école John Ford. Il confessa toutefois que ces déclarations d’amour lui mirent la larme à l’œil, salua le public français très cinéphile selon lui (à la question qu’il posa au public, venu en masse, « Qui connaît Jean Vigo ? », une armée de bras se leva), critiqua ses compatriotes pour le Brexit et retourna s’asseoir, sincèrement ému.
Bizarrerie : le film qui fut projeté dans la foulée, Old Guy, n’était pas signé Stephen Frears mais Simon West, sans doute pour
proposer un titre inédit aux festivaliers, forcément plus événementiel qu’une
œuvre de patrimoine. On parle bien ici de Simon West, le réalisateur de
Les Ailes de l’enfer, Tomb Raider ou Le Déshonneur d’Elisabeth Campbell. On l’avait un peu oublié devant ce pedigree, mais West est anglais. Son
dernier film se déroule entre l’Angleterre et l’Irlande, une histoire de tueur
à gages mis en retraite forcée par ses employeurs, réussie quand elle réunit
son trio d’âmes solitaires (le tueur cacochyme, son jeune remplaçant, et une
tenancière de bar qui les accompagne). On n’est pas si loin de l’univers de
The Hit, même si le ton est différent : moins cosmique, plus comique.
Simon West, fringant sexagénaire, monta sur scène et, très bon, se lança dans
un numéro pince-sans-rire comme seuls les Anglais savent le faire. On ne sait
pas s’il devait juste présenter son nouvel opus ou prolonger l’hommage à
Frears. Toujours est-il qu’il se lança dans un long laïus pour évoquer son
angoisse à l’idée de savoir que son aîné allait découvrir son nouveau film, se
retrouvant dans la même situation que, trente ans plus tôt, quand il assista à
la projection de Les Ailes de l’enfer à Cannes et que Ridley Scott
était dans la salle – ses deux cinéastes anglais préférés. Cette insistance ne
cachait-elle pas une façon malicieuse de pousser Frears à rester alors qu’il
avait peut-être décidé de quitter les lieux une fois l’hommage terminé ? Qui
sait si un dîner mondain ne l’attendait quelque part dans la ville où Clovis
fut baptisé, ou alors peut-être qu’il n’aurait pas très envie de voir un film
avec en vedette Christoph Waltz, l’acteur qui devait justement jouer Billy
Wilder dans ce projet qu’il n’arrive pas à financer.
Simon West
poursuivit en racontant qu’à l’âge de 18 ans, il travaillait à la BBC, « avec
Mike Leigh » (un sourire invisible nous barra le visage à l’association de ces
deux noms). Il eut l’occasion de voir Stephen Frears au travail une seule fois
alors qu’il visitait un de ses tournages, au début des années 1980. Le décor
était celui d’une vraie cale de navire, sombre, le tournage était bruyant et
il y avait des dizaines et des dizaines de figurants. West se dit impressionné
par le capharnaüm qui régnait, les odeurs, le bruit, l’agitation. Et soudain,
au milieu d’une foule compacte de figurants, surgit de nulle part le visage de
Frears. West se dit avoir été marqué à jamais par le visage « stressé » (il
prononça le mot plusieurs fois) du cinéaste, qui avait ainsi émergé des
entrailles du navire au milieu de ces visages anonymes. On n’avait jamais
imaginé que Frears puisse être aussi angoissé. Alors qu’il pensait échanger
avec lui, « le visage de Frears disparut » aussi soudainement, reparti dans
l’enfer du plateau et les boyaux du bateau. Un peu déçu, West déclara qu’il ne
comprit que bien plus tard, quand lui-même était devenu réalisateur, combien
ce métier pouvait être stressant et que la concentration exigée vous empêchait
de voir tout ce qui était extérieur. Comme on voit le mal partout, on prit ce
propos pour une façon élégante et très british de West de faire savoir à
Frears que, même si c’était pardonné depuis, il avait été un peu vexé à
l’époque.
Ce n’est que le lendemain de cette soirée que The Hit fut enfin projeté ; le cinéaste présenta, en plein après-midi, à un public dans l’ensemble à peine majeur, le road movie noir qui nous importe ici : comme quoi les jeunes ne connaissent peut-être pas Billy Wilder, mais ils connaissent Stephen Frears. The Hit commence par un générique d’ouverture atmosphérique qui insère un plan étrange de John Hurt se tenant près d’un rosaire au sommet d’une colline sablonneuse, puis l’image se fige. On ne le comprend qu’à la fin, mais ce plan provient d’une des dernières scènes : c’est un flash-forward. Se dessine la figure du cercle, la vie, la mort, puis tout recommence.
Quarante ans après, The Hit était de retour à Reims.
(THE HIT est disponible en édition Blu-ray/Dvd)
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