mercredi 27 mars 2019

SUSPIRIUM









Le remake de Suspiria signé Luca Guadagnino aura été accueilli de façon sévère dans l’ensemble, en tout cas en France (même si le film a été un échec commercial aux Etats-Unis, au moins la critique fut -elle plus positive). Les fans de fantastique pur et dur lui on reproché sa prétention, son enflure, et d’être une insulte au film d’Argento, d’avoir été fait pour un public qui n’aime pas le fantastique ; les fans de films d’auteur intello,  à qui le film était supposément destiné selon ses contempteurs, l’ont souvent trouvé laid et bête. On a envie de reprendre ce que Chris Marker disait de l’accueil négatif au nord et au sud de son livre de photos sur la Corée (du Nord), « On peut se flatter de ce genre de symétrie, se comparer à Charlie Chaplin à la fin du Pélerin lorsque, canardé par les deux camps, il marche, un pied devant l’autre, sur la frontière, et se dire que lorsqu’on se fait flinguer des deux côtés on a quelque chance d’être sur la bonne route ».

La comparaison avec le livre markerien n’est pas totalement hasardeuse, puisque comme la Corée coupée en deux, Suspiria 2018 se déroule dans le Berlin de 1977 scindé par le mur qui porte le nom de la ville. A l’Est la partie sous l’égide soviétique. A l’Ouest la partie occidentale. La scission est le motif qui organise Suspiria, où tout est double. Déjà, parce c’est tout simplement le remake du sublime film de Dario Argento dont il ne reprend que quelques éléments : le synopsis, le nom des personnages parfois distribué différemment, des embryons de scènes, mais aussi le célèbre lustre en verre. C’est une version en miroir, mais en miroir brisé où le film original se diffracte tellement qu’on peut ne plus le reconnaître (au grand désespoir de certains admirateurs). Cette métaphore est littéralement figurée par le film où deux salles de répétition cohabitent, une grande où s’organisent les danse en groupe ; une plus petite où se déroulent les auditions mais aussi les meurtres. Les deux pièces sont liées magiquement ; pendant que Susie danse dans l’une, Olga est démembrée dans l’autre au rythme de la chorégraphie de l’héroïne (dans une scène qui s’impose déjà comme un classique de l’horreur). Double comme le conscient et l’inconscient, d’où l’introduction d’un personnage de vieux psychanaliste hanté par la perte de sa femme pendant la seconde guerre mondiale et d’un name dropping amusé (« Ach, Lacan ! »). Double comme les sorcières vivant dans l’école de danse tiraillée entre leurs deux chefs putatifs, Madame Blanc, la chorégraphe, et Héléna markos, celle qui a crée la compagnie et qui vit désormais sous une forme putride - et hilarante - dans les sous-sols du bâtiment.
Luca Guadagnino et son scénariste David Kajganich nont en quelque sorte repris l’original pour combler les trous par les obessions qui les taraudent : la danse comme expression de la sorcellerie, la culpabilité allemande suite à la seconde guerre mondiale et le réveil des consciences, la psychanalise, « l’empowerment ». Tous les deux ont rajouté du background, des flash-backs, des personnages secondaires, des scènes annexes jusqu’à transformer une intrigue simple voire simpliste en fresque monstrueuse. On pourrait trouver que cette obession à bétonner l’histoire pourrait aboutir à un film lourd et indigeste, mais le génie de ce Suspiria, est de se servir de cette emphase et de ce trop-plein  pour mettre en valeur le mystère absolu de ce récit, tout en regard intense, en mains qui se serrent et en personnages féminins opaques. Si beaucoup ont évoqué le malaise pour le décrire, il nous semble au contraire que ce film est chaleureux et doux. On boit des cafés pendant qu’il neige dehors, on se serra comme des soeurs au fond du lit pour se réconforter, on mange dans des brasseries avec le sentiment satisfaisant de la communauté réunie, et on trouve enfin le repos éternel  - certes avant d’en arriver là, il a fallu que la moitié du casting voit ses têtes exploser dans des gerbes de sang.
Finalement, le cinéma auquel fait le plus penser Suspiria  est finalement moins argentien ou fassbinderien que britannique.  Il nous semble que son ambition, sa folie, sa richesse, sa joie, nous rappelle les films d’un autre duo, Michael Powell et Emeric Pressburger. Suspiria, c’est en quelques sorte Les chaussons noirs meets Le narcisse rouge. Et de se souvenir que ceux « Les Archers » (du nom de leur société de production ) avaient eux aussi été accusés en leur remps des mêmes maux que ceux qu’on reproche aujourd’hui à Suspiria.  Alors n’attendons pas quarante ans avant de donner à ce film hors norme la place qu’il mérite.
Markos !

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