mardi 26 juin 2018

LE 15h17 POUR PARIS (Clint Eastwood) / chronique Blu-ray-Dvd



Clint Eastwood et ses acteurs

Le 15h17 pour l'OASIS

"Il y a une différence entre connaître le chemin et arpenter le chemin" Morpheus, Matrix

Sorti sans quasiment de promotion ni projections de presse telle la dernière comédie française avec Christian Clavier, régulièrement considéré comme le pire film sa carrière par ceux qui sont allés le voir en salles, Clint Eastwood s'est rarement fait autant détruire que pour le 15h17 pour Paris. Même le sympathique mais nanardesque La relève ou l'affreux Créance de sang avaient reçu un meilleur accueil en leur temps, et Firefox ou La sanction avaient pour eux l’excuse de l’absence de sérieux. Adapté d'un fait divers survenu à peine trois ans plus tôt, Eastwood donne l'impression de tourner n'importe quoi n'importe comment, quand bien même il n'y aurait rien à raconter si ce n’est de recenser les bonnes nouvelles de l'héroïsme made in USA. Un avion a amerri ? Cela donnera Sully. Un attentat a été évité en Europe par trois Gi’s en vacances ? Cela donnera Le 15h17 pour Paris. D'ailleurs ces deux films aux sujets minimalistes sont aussi les plus courts de sa carrière. 1h37 pour Sully, 1h33 pour Le 15h17.

Un colosse à la pensée agile. Longtemps défendu par ses thuriféraires comme un homme qui aurait injustement été traité de fasciste à une époque où beaucoup d'entre nous n'étaient pas nés, ce sont bizarrement ses œuvres les plus originales et les plus humaines comme Au-delà ou ce 15h17 qui sont accueillies comme des navets de la pire espèce. Evidemment, voir le solide-cinéaste-réalisateur de westerns crépusculaires et de polars musclés filmer une journaliste française projeter d'écrire une biographie de François Mitterrand ou situer son climax dans un salon du livre où Derek Jacoby jouant son propre rôle fait une lecture publique (Au-delà), ou finir son film par un discours in extenso de François Hollande (avec en doublure dos Patrick Braoudé sic) peut avoir quelque chose de déstabilisant. Qui aurait imaginé Dirty Harry ou le Pale Rider s’intéressant un jour à pareils sujets ? Mais c'est la preuve que Eastwood continue de se passionner sincèrement pour le monde dans lequel il vit. Pas mal pour un cinéaste supposé réactionnaire et sénile.  

Close-up Le 15h17 pour Paris relate l’attentat du Thalys empêché par de valeureux soldats américains avec les vrais militaires dans leur propre rôle. Sully montrait les erreurs engendrées par les simulations ; comme pour aller plus loin, Eastwood reconstitue l'événement au plus près de la réalité en engageant les trois héros car il sait que le facteur humain est primordial. Cette décision n’a pas été aussi évidente puisqu’on apprend dans un des suppléments qu’un casting classique a eu lieu avant que Eastwood, sur un coup de tête, décide de les engager (« I like to try crazy things » dit le cinéaste). Entre Rossellini et Kiarostami, Eastwood mélange fiction et documentaire sans attribuer à l’un ou à l’autre une place trop définie. Le réel, nos trois soldats se le prennent en pleine face de leur enfance à leur vie de jeune adulte : entre l’école catholique qui les rejette très vite pour cause d’inadaptabilité, la guerre qui leur est vendue dans des spots publicitaires très différents de l'inaction qui les attend sur place, l’espoir de servir leur pays qui leur est refusé pour des motifs médicaux, Eastwood filme des gens ordinaires sans misérabilisme, sans condescendance, sans cynisme. On n’a pas souvent vu de films sonner aussi « vrai » dans leur description sans fard du quotidien, fait de petites humiliations, d’espoirs déçus et de beaucoup d'ennui. Et que ceux qui voit de la propagande dans ce film me citent une image plus glaçante sur l’Amérique que celle du garçon sortant de son armoire à jouets un arsenal d’armes à air comprimé pour s’amuser avec ses copains en forêt.

V.R. Lorsque les trois soldats en vacances partent visiter l’Europe, ils vont pénétrer un monde ancestral très différent, entre ruines antiques et mythologie, sans doute pour y chercher naïvement de l’authenticité. Cet eurotrip, aussi lent que celui des Lois de l’attraction était rapide, sera tout aussi irréel. Ils vont de cliché en cliché et passent littéralement leur temps à se photographier – perche à selfies à gogo – comme s’ils étaient dans un jeu vidéo immersif, Eastwood nous montrant les joueurs évoluer dans ce jeu à ciel ouvert. Imaginez Le 15h17 pour Paris comme un Ready Player One où jeu et réalité se confondraient et se répondraient sans cesse sans qu’on sache jamais ce qui est vrai et ce qui est virtuel, les deux pouvant l’être en même temps. Comme dans un jeu vidéo, nos héros traverseront des arènes et rencontreront des danseuses trop belles pour eux dans des clubs à Amsterdam. Mais tout n’est pas faux non plus dans ce monde, et ils découvriront par exemple comment l’histoire peut être réécrite du point de vue de celui qui l’enseigne, scène simple mais marquante où nos héros découvrent, via un guide touristique, qui leur donne une vision différente de ce qu’ils tenaient pour acquis, que des mondes différents coexistent sans doute, que la « réalité » est un concept complexe et mouvant. Les héros de Eastwood ne sont pas moins « geeks » que les héros du Spielberg (qui, rappelons-le, produisit Mémoires de nos pères), et eux aussi passent leur temps dans un monde fantasmé, entre jeu vidéo et références cinématographiques (Kubrick est une référence partagée : dans Ready Player One il s'agit de Shining ; dans Le 15h17, un poster de Full Metal Jacket est accroché dans la chambre d’un des héros ; à noter que Eastwood prend acte d'être lui même une icône puisque Alek Skarlatos porte un T-shirt à son effigie dans une scène). Mais ces exercices ludiques (les jeux vidéos, les combats avec armes factices) leur seront tout aussi profitables. Dans cette analogie, le combat final contre le terroriste pourrait avoir la valeur du boss de fin. Mais non seulement Eastwood ne se permettrait pas une comparaison aussi douteuse, mais surtout, cette scène finale à moins valeur d’un accomplissement qu’une remise en cause rétrospective de tous ceux qui avaient refusé de croire en eux (l’école, l’armée). Finalement, si Eastwood a engagé les trois jeunes gens comme acteur, c’est une façon concrète de montrer que lui leur accorde vraiment sa confiance.

Game on La scène de l’attentat est incroyablement brève, sale, filmée sans le moindre ralenti ni le moindre plaisir. Il n’y a même pas de suspense pour l’introduire. La raison d’être du film est filmée a minima. Il faudra d’ailleurs une featurette d’une durée équivalente à la scène (huit minutes) pour entendre, tel un commentaire audio, les héros raconter tout ce qui leur est passé par la tête. Eastwood n’a cure de cette psychologie a posteriori, seuls l’intéressent les actes, mais les actes dans leur contexte. Il aura fallu l’intervention du hasard (qui, à mon sens, n’est pas du tout synonyme de Dieu) pour mettre en valeur leurs compétences. Oeuvre simple et expérimentale, violemment anti-institutions américaines, totalement dénuée de pensée binaire, ouverte aux jeunes et à leurs centres d’intérêt, Le 15h17 pour Paris est un grand film de Clint Eastwood.




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(merci à FAL et Johanna Dayan)

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