mercredi 11 septembre 2013

L'annonce faite à Marie d'Alain Cuny (1991)







 « Image de la beauté éternelle, tu n’es pas à moi ».

J’ai découvert ce film en VHS, la seule façon de pouvoir le visionner à ce jour.  Difficile dans ces conditions d’apprécier au mieux ces « coups de projecteur sur la beauté », comme Alain Cuny avait cherché à définir son film. Mais comme c’est la seule version encore existante de ce film quasi-disparu, considérons cela comme un miracle. Et que la beauté émerge maintes fois de cet amas de pixels grossiers, de ces couleurs délavées, de cette image tremblante en est un autre.
L’annonce faite à Marie est un film étonnant, assez différent de ce que à quoi je m’attendais. Avec son casting de non professionnels et son austérité revendiquée, j’imaginais  une adaptation de la pièce dans la lignée des films de Jean-Marie Straub/ Daniele Huillet, les rois des textes des difficiles mis en image de la façon la plus blanche qui soit (pas de mouvement de caméra, acteurs récitants le texte de façon sèche, jeu de scène minimal) ou Robert Bresson (pour ses acteurs amateurs dévitalisés et récitant de manière monocorde). Voire, Alain Cavalier dont le Thérèse pourtant ardu fut un des hits du cinéma français des années 80. Je m’attendais un film à l’écoute du texte, un film donnant à se plonger dans les mots de Claudel en simplifiant tout le reste. Le résultat est très différent de cela. La mise en scène d’Alain Cuny est déroutante et complexe. Quand Chris Marker (qui a dû apprécier qu’un maneki-neko, ce chat porte bonheur japonais qui lève la patte, soit visible à plusieurs reprises au milieu de la cuisine moyenâgeuse), dans son exercice d’admiration, écrit à Alain Cuny (*) qu’il imagine qu’il a fait son film à l’instinct plus qu’après une longue méditation, il me semble qu’il vise juste. On sait que Cuny passa vingt ans à tenter d’adapter la pièce de Claudel au cinéma, et qu’il n’y arriva que tardivement, au crépuscule de sa vie. Le film ne ressemble pourtant en rien à un film muri depuis trop longtemps, comme cela arrive souvent quand des cinéastes passent des années sur leur projet fétiche, et quand ils parviennent enfin à transformer leur rêve en réalité, le résultat semble curieusement éteint, comme un fruit gâté par le temps. 

La mise en scène de L’annonce faite à Marie ne ressemble à rien de connu. Elle semble faite par une jeune personne qui n’aurait jamais vu de film de sa vie, et essaierai d’utiliser la caméra comme bon lui semble, sans précaution particulière. Le film rassemble à peu près l’intégrale des figures qu’il ne faut pas faire, en tout cas qu’aucun cinéaste (bon ou mauvais) ne fait habituellement. Personnage filmés de dos et de loin ; visages systématiquement masqués par des chapeaux ou la présence d’un acteur en amorce, faux raccords systématiques, changement d’axe sur un même personnage sans qu’on sache la raison de ces changements incongrus (dos / nuque/ menton… presque du Wong Kar-wai !) … A cela Cuny intercale des images de documentaires animaliers dans lesquels on voit des insectes se nourrir ou une image de mérou sous la mer intercalée entre des plans d’un pécheur près d’un trou dans la glace (sur le plan du mérou, il reste le sous titres du doc dont il est tiré). Ajoutons que toutes les voix sont post-synchronisées par d’autres acteurs, et que rares sont les plans où le son est synchrone avec les lèvres des acteurs (scène magnifique où Violaine en off récite son dialogue tandis qu’à l’écran est projeté un plan figé de l’actrice les lèvres fermées. Après quelques instants, l’image se remet en mouvement et elle reprend là où en est le texte off, la chair et l’esprit se retrouvant). Cela fit dire à la sortie du film à la « Revue du cinéma » que Cuny employaient tous les moyens du cinéma expérimental le plus éculé. 

Je ne crois pas que le film cherche à être « expérimental ». Je dirai plutôt « empirique ». Il me semble que c’est un film humble et qui cherche en permanence. Malgré sa connaissance profonde du texte, Cuny n’avance jamais en donneur de leçon, en celui qui connaitrait la vérité du texte mieux que quiconque. J’ai l’impression qu’à chaque scène, il y a une remise en question de l’auteur, une tentative d’approcher le mystère du texte. Cette mise en scène éclatée est la marque de cette approche par tâtonnement. Mais aucune maladresse là-dedans. Cuny est un vieil homme qui a de l’expérience, et cette recherche de la vérité, se fait avec calme et sérénité. Comme quoi on peut douter de tout, et avancer droit devant. 

Cuny ne cherche pas à filmer les scènes dans leur globalité. A l’intérieur d’une même scène, il casse le rythme, stoppe le dialogue, ajoute des plans qui brisent l’osmose entre les acteurs, pour mieux y revenir. Il cherche à l’intérieur de la scène la phrase qui l’habite, qui lui donne son sens, autour de laquelle elle tourne.  Chaque dialogue éclate ainsi comme une épiphanie.
Alain Cuny fait un travail qui se rapproche de celui du peintre, essayant de fixer l’instant par les moyens qui lui sont propres, donnant à la réalité une apparence transfigurée par la perspective, la couleur, le trait, le style.  Ce n’est pas un hasard si les costumes exubérants ont été dessinés par Pierre Tal-Coat, ce peintre breton, ami de Cuny, qui décéda quatre ans avant le tournage. Mais ses travaux préparatoires ont été conservés. Scène sublime que celle où Mara vient voir Violaine, lépreuse. Elles sont toutes deux habillés dans des redingotes noires, on ne voit pas leur visage. Le décor est une terre enneigée près d’un bois. Les deux femmes sont deux taches noires sur une surface immaculée. On pourrait avancer que l’approche de ce texte religieux est celle d’un profane. Le résultat est d’une beauté divine.


Mara et sa soeur Violaine
 

Lavis de Pierre Tal-Coat
(*) Lettre de Chris Marker à Alain Cuny, parue dans le catalogue du Festival d’automne, 1993.

2 commentaires:

  1. Merci Nikola pour cette review magnifique!
    je cherche depuis plusieurs mois à entrer en contact avec une personne ayant une VHS de ce film / sans aucun succès. Pouvez vous eventuellement m'aider? Merci infiniment! Céline (Mon contact: lepetitchaos(arobase)yahoo(point)com)

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  2. Bonjour,
    Je recherche également ce film : pouvez-vous me contacter ?
    Merci !

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