lundi 28 mars 2011

Des nouvelles de Philippe Barassat



Il y a quelques jours, on vous signalait l’existence du site http://www.barassat.com/ présentant les courts-métrages de Philippe Barassat ainsi que les aventures ayant conduit son film Lisa et le pilote d’avion, starring Eric Cantona, Rachida Brakni, Marilou Berry, Mathieu Demy à rester inachevé et invisible. On a voulu demander au réalisateur, en exil au Maroc, la situation actuelle du projet.

Que s'est-il exactement passé avec Eric Cantona ?
Eric Cantona était co-producteur sur le film pour 250 000 euros dont 60 000 qui couvraient les dépassements dûs à la dernière semaine de tournage qu'il souhaitait en tant que coprod que nous fassions (avec l'engagement de les donner au lendemain du dernier jour de tournage) et cela en échange de 30% des parts du film. Mais à la date dite il s'est désengagé ce qui a amené la société à la faillitte et lui a permis de racheter pour 10 000 euros le film avec 100 % des parts et l'engagement contractuel de finir le film avec un apport perso de 200 000 euros. Les contrats d'acteurs de Cantona et de sa femme Rachida ayant mystérieusement disparu, nul autre que lui ne pouvait racheter le film. C'est pourquoi Florence Vignon, co-scénariste, [César de la meilleure adaptation pour Mademoiselle Chambon ; actrice dans Le Bleu des villes] et moi même avons accepté cette proposition qui nous garantissait la bonne fin du film. Mais il ne s'est rien passé et Cantona a alors quasiment disparu. Ce n'est que lorsque son avocat lui a rappelé que si le film n'était pas terminé dans les deux ans (nous arrivions à l'échéance) il devait rembourser l'avance de 400 000 euros au CNC que Cantona a décidé de lancer un petit tournage pour des scénes qu'il m'a faite réécrire et de lancer les finitions du film. J'ai alors préparé ce tournage, mais le jour dit, personne n'était là, et personne ne m'a prévenu de l'annulation du tournage. Entre temps son avocat avait obtenu l'asssurance du CNC qu'on ne lui demanderait pas le remboursement .

Où en est le film aujourd'hui ?
Le film est toujours bloqué et la situation reste inchangée. Après un premier jugement qui a condamné les Cantona à me payer une petite partie de mes droits d'auteurs et à me rendre ainsi qu'à Florence Vignon ces dits droits, nous avons décidé de faire appel, car du fait de ce jugement qui conserve à Cantona le matériel du film en lui en retirant les droits, aucun de nous ne peut plus faire quoi que ce soit et le film est ainsi tué par le jugement. En vérité, le juge rappelait que Cantona était dans l'obligation de rembourser l'avance sur recettes au CNC si le film ne se terminait pas, LA décision rendant définitivement impossible la finition du film, le remboursement est obligatoire. Je pense que si le jugement a été en première instance quelque peu clément envers les Cantona, c'est afin de ménager une porte de sortie au film: mis devant l'obligation de rembourser les 400 000 euros, du fait de ce jugement, Cantona devrait plutôt vouloir sortir les 200 000 euros qu'il s'était engagé à mettre dans le film très officiellement au moment de son rachat auprès du liquidateur judiciaire (c'était même la condition de rachat) et terminer, avec mon accord, le film.

Malheureusement c'est sans compter sur le CNC qui malgré de nombreuses lettres de ma part continue à protéger Cantona en refusant de lui réclamer ce qu'il doit, bloquant à nouveau la situation de façon tout à fait scandaleuse. En effet le CNC choisit depuis le début de privilégier des producteurs incompétents, déterminés à détruire ce film, et désormais condamnés par la justice, et cela en toute illégalité, (puisque le remboursement de l'avance sur recette est obligatoire dans notre cas). Et cela au détriment d'un auteur réalisateur à qui on a refusé toute dérogation pour qu'il puisse présenter de nouveaux films (Lisa ayant obtenu l'avance sur recettes, je ne peux plus présenter d'autre film tant qu'il n'est pas terminé). La seule dérogation qui m'ait enfin été accordée l'année dernière m'autorise à présenter mes projets au second collège du CNC, c'est à dire en concurrence avec des auteurs qui ont déjà réalisé des films de long métrage, que l'on peut voir et qui permettent ainsi d'évaluer le projet présenté, ce qui n'est bien sûr pas mon cas.

Que deviens la version longue du Nécrophile, Amours mortes, qu’on peut visionner en copie de travail sur www.barassat.com ?

Pour ce qui est du Nécrophile, la boite de production ayant fait faillite, mes projets et mes films ont été emportés avec et je dois les racheter et trouver les sous pour les terminer. C'est à peu prés fait avec "Le nécrophile" version longue, où il manque encore la conformation et l'établissement de la copie zéro. Mais le film dérange profondément et semble dangereux à tout distributeur.

De quoi vis-tu depuis l’arrêt de Lisa ? (parenthèse : on n’évoque jamais chez les réalisateurs de films la précarité dans laquelle beaucoup vive, comme si le fait de parler de la société annulait leur appartenance à celle-ci, avec les difficultés économiques que cela comporte, comme tout un chacun. Fin de la parenthèse)

Disons que je survis plus que je ne vis, à cinquante ans ou presque sans autre compétence que celle de cinéaste et ne pouvant exercer mon métier, il est très difficile de trouver du travail, à part livreur des journaux à 600 euros par mois, ce qui est peu pour vivre à Paris. Je vis donc actuellement sur les sous gagnés lors du procès et en m'exilant hors de France dans un pays moins cher. J'ai bien sûr conservé mes amis les plus proches, mais j'ai du faire face à une indifférence généralisée, un peu comme si j'étais un pestiféré, mes films et moi même sombrant peu à peu dans l'oubli.

Qu’as-tu fait depuis l’arrêt de Lisa, il y a plus de quatre ans maintenant ?

Malgré l'assassinat de mon œuvre et de mon travail par Cantona avec la complicité du CNC, je continue à écrire et à essayer de monter des projets, mais je n'ai guère d'espoir de motiver un producteur qui ne peut être qu'inquiet de savoir que mon précédent film est inachevé et que je n'ai aucune possibilité d'obtenir une avance sur recettes. Pour survivre après une période de RMI (dû au fait que sur Lisa je n'avais pas été payé et que je n'avais donc pas d'ASSEDIC), j'ai été livreur de journaux la nuit, et lorsque j'ai enfin obtenu le paiement de mes salaires, je me suis arrangé pour vivre souvent en dehors de France au Maroc où la vie est moins chère.

J'ai écrit trois nouveaux scénarios : Marinette, un amour fou, Oreste, ou Les dieux ont soif et en collaboration avec Frédéric Lecoq Les entravés et je continue à travailler sur d'autres scénarios perso que j'essaie d'aboutir.

Marinette c'est l'histoire de l'amour démesuré d'une mère pour sa famille, ses enfants et son mari à qui elle consacre sa vie. La mort accidentelle du dernier bébé provoque la séparation du couple. Marinette va tout faire pour le reconquérir, jusqu'à l'internement psychiatrique et le lavage de cerveau.

Oreste est l'adaptation de la tragédie grecque, dans un coin abandonné et misérable du Maroc que la modernité semble avoir épargné. C'est aussi une réflexion sur le terrorisme.

Enfin, Les entravés, est un voyage sexuel au cœur de l'univers des personnes les plus handicapées, l'histoire d'un jeune homme qui, pour arrondir ses fins de mois et payer les études de sa fiancée, se prostitue auprès de personnes lourdement handicapées jusqu'à devenir leur jouet.

Pour ces trois films j'ai obtenu les accords de tous les acteurs que je souhaitais. Ce sont des films que l'on peut réaliser avec des moyens minimums, en décors naturels, mais qu'aujourd'hui aucun producteur n'accepte de lire, compte tenu de ma situation.


Rien à voir avec le sujet, mais plutôt que de nous sortir des intégrales de Stanley Kubrick en Blu-ray ou un coffret Alien, on se demande s'il ne serait pas plus urgent de sortir des films qui n'ont jamais édité où que ce soit en dvd ou qui restent invisibles. On me traitera de démagogue de dire cela, soit, on me dira qu'il n'y a pas de rapport entre la sortie en Blu-ray de 2001 et la non-sortie de Lisa et le pilote d'avion, soit encore, mais dans un univers d'artistes qui le plus souvent se disent de gauche, on s'étonne un peu (naïvement sans doute)  que là, autant qu'ailleurs, on ne prête qu'aux riches.

Tout ça pour dire qu'on a très envie de voir un nouveau film signé Philippe Barassat.

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