samedi 28 août 2010

Odyssey – the Ultimate Trip (1977)



Certains aficionados du porno américain des années soixante dix ont parfois reproché à Gerard Damiano son infatuation galopante qui parerait ses films d’une prétention terminale. Nous ne faisons pas partie de cette caste de jaloux, au fond des déçus de voir l’objet de leur passion soudainement accaparé par la critique traditionnelle d’alors et le grand public qui ne daigne pas s’intéresser au genre par ailleurs- mais si ceux là devait brandir un film de lui pour illustrer leur ire, ce Odyssey – The Ultimate Trip pourrait constituer un bon objet du délit. Damiano n’a en effet jamais été plus expérimentateur que sur ce film.



L’entrée en matière est évocatrice du niveau d’ambition du projet. Il s’inscrit à l’écran, en trois temps, l’incipit suivante : “In The Beginning we are born / The Middle is called life / In the End we die”. Puis apparaît le titre, si simple et si beau dans sa capacité à ouvrir magiquement, dès qu’on le murmure intérieurement, les portes de l’Imaginaire, « Odyssey »… Sans surprise, le film se découpe en trois parties indépendantes illustrant, à priori, la triple accroche de l’ouverture. A priori seulement, Gerard Damiano étant plus malin que ça et à l’intérieur de chacune des parties, il introduit des ruptures et des bifurcations rendant le spectacle sans cesse déstabilisant pour le spectateur et impossible à assigner à son concept apparent.



Partie 1. Le récit débute par une très longue scène de dialogue dans un night club où deux couples se retrouvent. Les spotlights créent sur les danseurs s’agitant sur le dance floor des effets psychédéliques donnant vraiment l’impression que nous sommes déjà dans le trip du sous-titre. Autour de la table, Richard Bolla et son épouse incarnée par la blondinette Nancy Dare, et leur couple d’amis, l’étrange Michael Gaunt (American Babylon de Roger Watkins) et Crystal Sync (affublée d’une coiffure atroce) tous deux dans une participation non hard. Pendant que les femmes sont aux toilettes, Richard Bolla se plaint auprès de son ami de ses relations avec sa femme avec qui ne le sexe n’a plus d’intérêt (sa femme faisant le même constat en parallèle). Son ami lui explique que son couple a connu une impasse similaire avant de se retrouver, suite à leur visite chez une certaine Madame Zenobia. Tenancière de Maison Close ? Psychiatre ? Qui est réellement cette dame ? Avant de répondre, Damiano, toujours dans cette volonté de perturber le système du film, intercale une séquence étrange dans laquelle Bolla filme sa femme avec du matériel vidéo, un moniteur dans la pièce retransmettant les images en direct. Son épouse s’empresse de le chauffer crument (masturbation, insultes) à son grand désarroi. Désarçonné, il la gifle, et choqué par son geste, vient immédiatement la prendre dans ses bras pour la consoler. Second mouvement du récit avec Bola s’introduisant dans le bordel de Madame Zenobia, il visite le lieu, rempli de créatures langoureuses. Affublée d’un masque, sa femme est en retrait, regardant son mari déambuler. Celui s’arrête dans une pièce pour regarder Sharon Mitchell, déguisée en homme, faire l’amour avec un homme déguisé en femme, tandis qu’une autre prostituée pratique une fellation sur un homme. Cut. Bolla portant un masque transparent et sa femme dotée du même masque, nus, sont allongés sur un grand carré lumineux située au milieu d’une pièce noire font l’amour sans se pénétrer. Fin de la partie 1. Etrange segment, énigmatique, qui fonctionne sur des motifs obsédants. Un écran de TV en noir et blanc parasité par le balayage vidéo / des masques inquiétants / des pipes interminables / un grand espace cosmique troué par la lumière éclatante du « lit » conjugal semblant sortir de la séquence finale 2001, l’Odyssey de l’Espace. Le passage d’une séquence à l’autre est brutal et n’est pas provoqué par un système de cause à effet, en tout cas celui-ci est beaucoup moins évident que ce qu’on pourrait supposer de prime abord. Les scènes sont comme des blocs, quasiment imperméables entre eux. Le seul ciment qui les lie vraiment, c'est l’imaginaire du spectateur en ébullition.


Partie 2. Un segment central se déclinant en trois histoires. Une psychiatre (ou ce qu’on croit comprendre comme telle) reçoit chez elle des femmes qui exposent leurs névroses ou leurs aventures, montrées en flash-backs. La belle Samantha Fox raconte sa découverte du désir lorsqu’elle entendit sa sœur coucher avec son petit ami, dans une chambre contigüe. Belle scène tournée dans une obscurité pesante d’où n’émergent que des parties des corps. Ensuite une femme divorcée expose ses désirs crus qu’elle assouvit dans des coups d’un soir (Philip Marlowe, l’inspecteur de Water Power). Troisième et derniers récit, Gloria Leonard, hardeuse et éditrice de la revue porno High Society, parle de ses envies homosexuelles évoquées dans une séquence sensuelle et délicate. C’est la partie la moins expérimentale du tryptique mais c’est aussi la plus délicate, celle où le désir est capté dans toute sa simplicité.



Partie 3. La plus longue, un film dans le film. Elle est centrée autour d’un personnage de modèle, incarnée par la mélancolique Susan MacBain (actrice séduisante ayant souvent héritée de seconds rôles). L’ouverture est ultra réaliste lorsqu’on la suit, du lever du jour sur New York, à ses déplacements dans la ville. Première étape : un casting pour un film érotique dans lequel est doit se déshabiller de façon humiliante sous les ordres du réalisateur (Damiano hors champ). Ensuite session photo SM. Retour à la maison où sa mère a laissé sur son répondeur plusieurs messages éplorés et égoïstes où elle demande à être rappelée sans prendre de nouvelles de sa fille. Le décor de l’appartement ressemble à celui d’un film de science-fiction. Damiano confère aux objets de la vie quotidienne une présence suffocante (cf. les plans insistants sur le gigantesque répondeur téléphonique). C’est l’heure de rejoindre le monde des rêves le temps d’une séquence onirique musclée (avec la fine fleur du hard new-yorkais Vanessa Del Rio, C.J. Laing et les regrettés Wade Nichols et Bobby Astyr). Réveil de l’héroïne. Séance de rasage (le péché mignon de Damiano). Nouveau rêve pour une scène d’amour à deux plus tendre cette fois ci. Réveil. Dépression, suicide. Radical. Ce moyen métrage est une sorte de remake à l’envers de Devil in Miss Jones et peut-être ce que Damiano a filmé de plus beau. L’isolement, la frustration, la sensation d’être une coquille vide et de ne plus avoir de rapport au monde. Le cinéaste évoque toutes ses sensations avec acuité.



Film quasi Lynchien avant l’heure, Damiano tord le réel aussi bien en introduisant des séquences oniriques puissantes qu’en filmant de façon ultra stylisé l’ameublement d’un appartement. Mais le réel, il s’attache aussi à le filmer de la manière la plus frontale qui soit, que ce soit dans une discussion sur le couple, la vision de la ville au petit matin, le récit d’un souvenir sexuel ou une audition dénuée du moindre érotisme. Ce film-collage rythmée par une BO easy listening entêtante a l’ambition de filmer les hommes et les femmes comme des entités mystérieuses, fascinantes et inexplicables. Pour cela, il n’utilise pas les moyens de la psychologie et des ressorts narratifs. Comme un peintre abstrait, il privilégie une approche kaléidoscopique en ne s’interdisant aucune technique pour transmettre telle ou telle émotion. Aussi composite soit-il, Odyssey garde une unité générale saisissantes grâce à ce quelque chose qu’on appelle « mise en scène ». Chef d’œuvre.


DVD Wild Side / Vost et Vf (doublage honorable). Suppléments : interview carrière avec Sharon Mitchell, complète et passionnante.

(merci à Cédric Landemaine)




Répondeur et téléphone circa 1977

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