jeudi 30 mai 2019

LE GANGSTER, LE FLIC ET L'ASSASIN : entretien avec le réalisateur Lee Won-tae

 


Il y a la mention que le film est tiré de faits réels. Quels étaient-ils ?

Ce n’est pas tiré d’un seul fait réel. J’ai travaillé sur plusieurs événements ou faits divers qui se sont déroulés en Corée. Par exemple, le film commence en 2005 ; 2005 est une année où la mode des salles de jeux battait son plein non seulement à Séoul mais dans tous le pays. Ces salles privées étaient souvent gérées par des mafieux, et les machines étaient trafiquées, donc les jeux l’étaient aussi.  Il y avait tout un business parallèle très lucratif et totalement illégal. Les descentes de police dans ce genre de lieux étaient fréquentes. Je me suis servi de cette histoire comme d’un élément de contexte. Concernant les meurtres, le film ne fait pas référence à un tueur en particulier. Des assassinats irrésolus, il y en a régulièrement, et pas seulement en Corée. Les serial-killers sévissent dans le monde entier.

Est ce que l’idée théorique de la confrontation entre un flic, un gangster et un serial killer était  l’idée de départ sur laquelle vous avez ensuite greffé toutes ces histoires ?

Tout à fait. Au début j’avais l’idée de construire une histoire autour de deux antagonistes qui vont s’allier pour en traquer un troisième.  Un chef de gang qui travaille de concert avec un inspecteur, ça c’était l’idée de départ. Comme l’ambivalence de ces deux personnages et leur rapport à la loi étaient au coeur du récit, la figure du serial-killer comme antagoniste commun s’est vite imposée. Il fallait en quelque sorte les confronter au mal absolu pour que leurs frontières déjà mouvantes entre le bien et le mal soient encore remises en question.  

J’ai l’impression que le sujet du film c’est le corps humain et sa capacité de résistance aux agressions. Tout le monde se tape dessus tout le temps, se poignardent, s’agressent. Même une scène aussi calme sur le papier que celle où le flic va voir sa copine légiste est montrée comme un combat. 

C’est pour ça que j’ai enlevé les élements psychologiques au fur et à mesure du tournage. Ce qui m’intéressait, c’était la rencontre entre ces individus que tout oppose, et la rencontre se fait physiquement, au combat, comme dans la grande scène de baston dans le hangar où le gangster et le flic s’associent pour de bons en affrontant leurs adversaires.

Au cinéma, les serials killers sont très organisés, intelligents, méthodiques. Ils incarnent un Mal absolu aux contours définis.  Le vôtre a une façon inattendue de se comporter : il est souvent désorganisé et change  de mode opératoire. Avez-vous voulu prendre le contre-pied de l’imagerie du serial-killer ?

Effectivement, c’est le personnage le plus difficile à écrire, on n’arrive pas l’appréhender et à saisir son essence. J’ai lu beaucoup de livre en amont sur les serial killers – notamment américains. C’est aux Etat-Unis  que la littérature de profiler est la plus abondante. Leur point commun le plus évident  est que tous ces tueurs en série n’ont pas de motif pour faire ce qu’ils font.  Cet absence de mobile est ce qui rend leur arrestation difficile. Ils sont imprévisibles. C‘est que j’ai voulu transmettre à l’écran . Je me demandais « pouquoi il fait ça » ? J’avais cherché à lui donner un background plus complexe, mais j’ai supprimé beaucoup de choses au tournage, ça serait devenu trop lourd de trop exposer la vie des trois personnages principaux. Mais à la fin, je révèle tout de même quelques éléments sur qui il est.

Comment avez vous choisi l’acteur KIM Seong Kyu ?

On peut le voir dans une série Kingdom, il a des yeux inoubliables. il fallait un acteur qui, malgré les horreurs qu’il commet, puisse être instantanément inoubliable.

Il y a deux références au christianisme (un plan sur un hôpital chrétien, une autre fois dans les dialogues). Est-ce que le film est une relecture (blasphématoire ?) de la Trinité (le père le fils, le saint-esprit) ?

 A l’époque, quand j’ai commencé à l’écrire, il y avait beaucoup plus de références à la religion, j’en ai beaucoup enlevé au tournage, mais visiblement vous avez remarqué les quelques unes qui restent. J’ai choisi le christianisme uniquement parce que c’est une des religions les plus répandues dans le monde.

Dans la religion il y a toujours ce message d’amour pour son prochain qui est véhiculé, ce qui n’empêche pas certains prêtres de commettre des exactions insupportables. Ce  n’est donc pas pour lancer la pierre à cette religion ou aux religions en général que j’ai mis ces références, c’est plus pour interroger la relativité du bien et du mal, qui existe chez tous les individus, même les plus ouvertement vertueux.

Dans la vie, les gens normaux, comme vous et moi peuvent aussi mal se comporter. J’avais envie de montrer que les gens qui paraissant les plus gentils peuvent aussi faire des choses horribles. Le bien, le mal, tout cela est relatif. Le but de mon film était de mettre en perspective ces différents niveaux de relativité. 

 

Merci à Pascal Launay et à la traductrice Ah-ram Kim