dimanche 29 décembre 2013

Marilyn de Philippe Parreno




L’exposition Philippe Parreno au Palais de Tokyo est l’occasion de découvrir son court-métrage Marilyn, réalisé en 2012. Le film est projeté sur un grand écran dans une salle vide, dans laquelle il n’y a qu’un banc pour s’asseoir. La lumière s’éteint,  la projection commence. Une chambre d’hôtel américaine dans les années 50, colorée et kitsch, on se croirait dans un décor de la série Mad Men, en fait la reproduction d’une chambre où séjourna Marilyn Monroe. Une voix off féminine, celle de l’actrice à priori, décrit méticuleusement le décor : la couleur des rideaux, le nombre de fenêtres, les magazines posés sur la table basse…. La caméra se déplace dans le décor vide. Les mouvements sont précis et lents. Gros plan sur une feuille de papier, on voit la plume d’un stylo à l’encre violette écrire des mots. Une écriture déliée et difficilement lisible. La plume rature les mots. Les mouvements de caméra mécanique sur le décor laissent alors place à  ceux d’une caméra portée, comme si la personne qui décrivait le décor était soudainement dedans, et que c’est à travers son regard qu’on percevait l’environnement. Il y a une présence. Une voix, un regard, une écriture. Il y a quelqu’un dans ce lieu mais on ne voit pas son corps. Comme un fantôme.  Les choses se dérèglent. Le téléphone sonne mais personne ne répond. L’écriture devient folle et la plume repasse à l’identique sur des phrases déjà écrites les dédoublant à l’identique. Comme une mécanique enrayée. On découvre à la fin que ce qui tient le stylo n’est pas une main, mais un bras robotique avec une pince tenant le stylo. Travelling arrière. La caméra dévoile le décor de cinéma en faisant apparaitre l’environnement qui l’entoure, celui d’un studio de cinéma. La chambre apparait alors comme une maison de poupée. Pendant que la caméra recule, le rail du travelling apparait dans le cadre. On découvre des informaticiens derrière des ordinateurs qu’on imagine piloter les éléments mécaniques. Parreno utilise une scénographie simple et des outils technologiques avancés pour reconstituer une Marilyn Monroe chimérique. Technologie d’autant plus avancée quand on apprend que la voix de Marilyn est vraiment la sienne, ou plutôt une recréation informatique de sa voix réalisée à partir de mots qu’elle a pu prononcer dans des films ou des interviews.  Et que le bras mécanique piloté par ordinateur qui écrit sur la feuille reproduit l’écriture de Marilyn. Parreno c’est le Baron de Frankenstein, utilisant la science pour fabriquer une étincelle de vie. Mais il ne fabrique pas un corps. Il fabrique des éléments épars qui donne à imaginer Marilyn plus qu’à la reconstituer. On a ressenti une présence. Marilyn est le plus beau film de fantôme qui soit.
La projection s’achève. Les lumières se rallument. Derrière l’écran, il y a une salle. On s’y dirige. Des monticules de neige sont là. Le froid s’empare de nous. Le blanc de la neige c’est celui de l’écran de cinéma. Mais immaculé, sans image projetée. La solitude s’empare de nous. Les larmes coulent de nos yeux. On pense à Marilyn. On pense aux absents.





Accueil automatique




L’hôtesse d’accueil est une poupée
Qu’on remonte six heures d’affilée

Elle passe sa journée au téléphone
Elle distribue le courrier aux employés
Elle ouvre la porte quand sonne l’interphone
Elle prête une  clé à café ceux qui l’ont oubliée
Elle montre son beau profil aux coursiers
Elle sourit même quand elle se fait humilier

Mais parfois la mécanique s’enraye
C’est un automate à nul autre pareil
Elle dissimule péniblement sa peine
Le coupe-papier non loin de la veine 

lundi 4 novembre 2013

"Protect me from what I want" - Backtrack, Dennis Hopper (1989)

 

 
Image extraite du film BACKTRACK
Protect me from what I want, Jenny Holzer (1983-1985)
Dennis Hopper réalise en 1989 BACKTRACK, un thriller dans lequel il joue un tueur à gage à la solde de la Mafia chargé d'éliminer un témoin génant interprété par Jodie Foster.
Foster incarne une artiste conceptuelle. Féru d'art contemporain, Hopper avait proposé à l'artiste new-yorkaise Jenny Holzer de réaliser les panneaux lumineux qu'on voit à l'écran censé avoir été conçus par le personnage. Dans les années 80, Holzer avait réalisé une série de photo sur lesquelles le mantra "Protect me from what I want", écrit avec des LED, se superposait sur différentes battisses (building, casino). Hopper va se réapproprier cet aphorisme qui apparait régulièrement dans tout le film.







Pour le DVD sorti chez Metropolitan Films, une interview de la monteuse Wende Mente, réalisée en novembre 2013.




Entretien avec Wende Mate (monteuse)

Wende Mate est la monteuse de Backtrack. Sur le générique de la version remontée, elle est créditée uniquement en tant que monteuse additionnelle.  Mais sur les crédits à faire apparaître sur les affiches ou les jaquettes, c’est son nom qui est mentionné. Sur la Director’s cut c’est bien elle qui est créditée comme la monteuse en chef.


Backtrack est un film curieux. Les personnages ont un comportement souvent illogique (surtout celui de Jodie Foster), et ce qui semble être important est avant tout ce qui est à l’image : les décors naturels, les œuvres d’art…
Pour répondre à votre remarque, c’est vrai que Backtrack est un film très étrange. Les œuvres d’art et les lieux de tournage sont des personnages à part entière. Je suis quasi certaine que Dennis les avaient volontairement envisagés ainsi. D’ailleurs, ce film était plus personnel pour lui que la plupart des films le sont pour les réalisateurs. Pas seulement parce qu’il joue dedans, mais aussi parce que la plupart des lieux où il a tourné lui appartenaient. L’appartement où vit Anne était attenant à celui de Dennis, à Venice (lorsque Charlie Sheen regarde la fille en sous-vêtements dans l’appartement d’en face, c’est chez Dennis Hopper ! [scène uniquement dans la version longue]) . La cabane à la fin lui appartenait, et aussi, même si je n’en suis plus certaine, je crois qu’il possédait, ou avait possédé, la le théâtre à Taos où va Jodie Foster.

Comment se passait le travail avec Dennis Hopper ?
J’ai adoré travaillé avec lui. C’était un homme complexe, mais j’ai pris beaucoup de plaisir à monter ce film. Il était gentil, généreux et très drôle. Il arrivait presque tous les jours dans la salle de montage portant chemise, veste et cravate. Il ne restait pas beaucoup assis dans la salle, il préférait me donner des notes sur ce que je devais faire et venait ensuite assister au résultat. Je crois qu’il était assez content du film. Il était au courant que les producteurs eux ne l’étaient pas, à cause des projections-tests auprès du public qui n’avaient pas très bien fonctionné. Mais Dennis Hopper n’attachait pas beaucoup d’importance à ce qui se disait lors de ces  séances tests.

Tournait-il beaucoup de pellicules ? Les scènes sous différents angles ?
Dennis Hopper ne tournait pas plus de métrage que la moyenne. Il avait une idée précise de ce qu’il voulait visuellement, et il ne tournait pas les scènes sous tous les angles possibles. A cet égard, tout semblait assez simple, mais il faudrait demander au directeur de la photo de ce qu’il en pense !

Quelles étaient les difficultés sur ce film ?
La chose la plus difficile dans le travail sur ce film était que Dennis Hopper était amoureux de certaines performances d’acteur ou de certains plans et qu’il refusait de les couper. Je dis que c’était « difficile » parce qu’en tant que monteur, une grande partie du travail est de faire avancer l’action en créant du rythme, donc en coupant. C’était compliqué à faire parce que Dennis voyait de la beauté partout, jusque dans la banalité du quotidien : les cabines téléphoniques, la raffinerie de San Pedro la nuit, le désert aride du Nouveau Mexique, et il aimait s’attarder sur ces lieux. C’est pourquoi la séquence d’ouverture près de la raffinerie est si longue, et aussi pourquoi le personnage d’Anne Benton fait ce tour d’hélicoptère sans raison dans la région d’Anazi. Il aimait que le film prenne son temps et voyage dans des lieux qu’il trouvait beau.

On sent bien le plaisir qu’il a à filmer les lieux, mais on sent le même plaisir à filmer les acteurs…
En ce qui concerne les personnages, Dennis était si concentré sur les nuances d’expression de leurs visages  qu’il refusait de couper tant que ce visage avait encore une expression à offrir. Il disait rarement « couper » tant que l’acteur exprimait encore quelque chose dans son regard combien même il avait prononcé sa dernière réplique depuis cinq ou dix secondes. Si je coupais après la dernière ligne de dialogue, il me demandait de rajouter ce qui avait été tourné après cette réplique afin de conserver toutes les expressions. Selon lui, couper ces moments allaient à l’encontre de ce qu’était le travail de l’acteur. Dennis respectait tous les comédiens qui étaient dans son film. Il n’était jamais lassé de les regarder jouer, en particulier Vincent Price et Dean Stockwell.  Joe Pesci ne le fatiguait jamais, pas plus que John Turturro et Tony Sirico. Plus particulièrement, je me souviens de lui disant que Catherine Keener, qui n’a qu’une scène, était d’une actrices les plus naturelles et les plus talentueuses qu’il avait jamais rencontré.

Quand le film a été remonté par Vestron, vous êtes-vous occupée du remontage ?
Non, je n’ai plus été impliquée sur le film après que les producteurs aient décidé de le raccourcir. D’ailleurs, jusqu’à ce que vous demandiez cette interview, je n’avais jamais vu la version remontée. 





.



mardi 29 octobre 2013

Double feature 2013




Amoureuses solitaires : A la merveille (Terrence Malick) / Haewon et les hommes (Hong Sang-soo)

Seul(s) dans la nuit : Maalich (Thomas Jenkoe) / Maniac (Franck Khalfoun)

Disparition : L’image manquante (Rithy Panh) / La Dernière fois que j’ai vu Macao (Joao Pedro Rodriguez, Joao Rui Guerra da Mata)

Mon père, cet homme : La danza de la realidad (Alejandro Jodorowsky) / Un documentaire sur mon père (Charles Habib-Drouot)

Scott Adkins : Universal Soldier : le jour du jugement (John Hyams) / Ninja : Shadow of a tear (Isaac Florentine)

jeudi 19 septembre 2013

Drug War de Johnnie To / De la technique de l'acteur

Honglei Sun  et Louis Koo.


Drug War de Johnnie suit une équipe de policier antidrogue cherchant à infiltrer un réseau. Pour cela, ils se servent d’un trafiquant qu’ils ont arrêté, incarné par Louis Koo, qui en échange de son aide à les infiltrer auprès de ses associés aura une remise de peine. A la tête de l’équipe policière, Honglei Sun, génial acteur chinois. L’essentiel du film tient en des séquences où Honglei Sun et Louis Koo établissent le contact avec des trafiquants, et doivent gagner leur confiance. Le suspense repose alors sur la façon dont ils vont tenir leur rôle : Louis Koo jouera-t-il franc jeu et n’essaiera-t-il pas d’alerter discrètement ses associés de l’opération policière qui se joue en coulisse ?  Honglei Sun arrivera-t-il à se faire passer pour un trafiquant crédible ?  
Les deux personnages sont décrits de façon très différente. Louis Koo, le traitre, est un personnage dont le background familial nous est expliqué. Il est dans l’affect (il accepte le deal parce qu’il a peur d’être condamné à mort) et l’émotion (il pleure la mort de sa femme). A tel point que l’acteur arrive pendant tout le film à montrer que c’est un humain agissant par un réflexe de survie très fort, plus qu’un lâche désespéré prêt à toutes les trahisons pour s’en sortir (ce qu’il est pourtant). Du policier Honglei Sun on ne saura rien. Visage fermé, caractère rigide, il est entièrement dévoué à sa mission et le monde n’existe pas en dehors d’elle. 

Au milieu du film, son personnage doit endosser le rôle d’un trafiquant bien réel auprès d’autres interlocuteurs qui ne connaissent ledit trafiquant que de réputation. La caractéristique du trafiquant est de conclure ses phrases par une sorte de rire sarcastique et idiot, et de sourire en permanence.  Après avoir étudié en quelques minutes l’homme via une caméra cachée lors d’un deal, le personnage de Honglei Sun entre en une fraction de seconde dans le personnage et son visage jusqu’alors crispé reproduit les mimiques outrancières du trafiquant qu’il est censé jouer. 

Drug War est un film sur le métier de comédien. On pourrait dire de Louis Koo qu’il incarne l’acteur formé à l’actors’ studio. Il doit se mettre physiquement et émotionnellement dans son rôle, savoir d'où vient le personnage. Honglei Sun est l’acteur classique, dont le travail est de faire vivre des personnages de façon plus technique sans avoir besoin d’être le rôle. On se souvient de l’anecdote célèbre sur le tournage de Marathon Man, où Laurence Olivier voyant Dustin Hoffman piquer un cent mètres parce que la scène qu’il devait jouer exigeait qu’il soit essoufflé, lui répliqua « Pourquoi ne pas jouer?  C’est beaucoup plus facile ». Drug War illustre cette anecdote. Mais comme Olivier et Hoffman sont tous les deux très bons dans le thriller de John Schlesinger, à la fin du film, pas de vainqueur entre Honglei Sun et Louis Koo. Tous les deux sont remarquables. Qu’importe la méthode, pourvu qu’on ait l’ivresse.