A bientôt j'espère

(To Chris M.)

jeudi 18 octobre 2012

Flying Swords of the dragon inn (Tsui Hark)











Il y a une scène amusante vers la fin de Flying Swords of the dragon Inn. Un des personnages s’est fait passer pour un autre, et pour se faire reconnaître, il a donné à son sbire un mot de passe « Flying Swords of the dragon inn » (le titre du film) censé le distinguer de celui dont il a usurpé l’identité la. Sauf que le mot de passe est sorti du cercle restreint, et que la pléthore de factions et antagonistes qui se retrouvent dans l’assaut final de la l’auberge en question est au courant de celui-ci. Les protagonistes sont à l’image du spectateur : perdus entre tous ces groupes sans savoir qui sont les bons qui sont les méchants, qui doit combattre qui. Le valet donne le mot de passe en espérant que son maître le reconnaîtra… sauf que tout le monde se met à utiliser le code espérant que l’adversaire en face fasse in fine partie de son propre clan allié. Résultat, le mot ne sert à rien, la mystification est devenu si complexe qu’on est revenu au point de départ : tout le monde se bat sans vraiment savoir pourquoi.

Après le ripoliné Detective Dee, Tsui Hark revient à un film très hong kong style avec sa pléthore de personnages aux motivations obscures. Malheureusement la période Film Workshop est définitivement close et Tsui hark a l’air un peu seul désormais. Il lui reste de l’énergie à revendre mais on regrette ses collaborateurs du passé qui l’aidaient à être le génie qu’il fut. Ici il n’y pas plus grand monde pour épauler le maître entre une bande originale impersonnelle, une direction artistique laide, des effets digitaux voyants et une photo sans invention. Le spectacle n’est pas déplaisant pour autant, certaines joutes sont magnifiques, Tsui Hark a encore le sens du casting féminin comme l’atteste la superbe guerrière tartare et les vingt dernières minutes ont un charme serialesque indéniable.
Tsui Hark n'a pas perdu son talent à filmer de jolies filles

mardi 16 octobre 2012

Mon rêve d'Alfortville


Le Théâtre-Studio d'Alfortville est une magnifique salle établie dans une ancienne usine. Salle magnifique certes, mais nue comme un vers. Pas de scène, les acteurs jouent à même le sol, pas de décors possibles si ce n’est celui de bâtiment avec ses poutres apparentes. Le public est assis sur des sièges en gradin pouvant contenir une centaine de personnes maximum. Les acteurs se tiennent à quelques centimètres du premier rang. C’est l’essence même du théâtre qui se joue là, où l’on doit faire semblant que ce mur blanc est une forêt mystérieuse ou que ce fauteuil Ikea là bas est la chaire d’un Roi. Comme il n’y a pas de rideau, il arrive souvent que les spectateurs s’installent pendant que les acteurs sont déjà dans le « décor ».

Ce théâtre qui ne ressemble pas à une salle traditionnelle mais qui par sa pureté en est un plus que n’importe quel autre était le lieu idéal pour accueillir la création de Mon rêve d’Alforville, pièce de théâtre qui n’était pas destinée à l’être au départ mais qui à l’arrivée en est indéniablement une, et de la plus belle espèce. Lorsqu’on entre dans la salle, ils sont sept sur scène, sept habitants d’Alfortville, quatre hommes et trois femmes d’âges variés, habillés de la façon la plus banale qui soit (« banale » n’est pas peut être pas le bon terme, en tout cas ce sont leurs vêtements quotidiens et pas des costumes). Ils disent bonjour au gens qui arrivent, sans manière, comme n’importe qui serait accueillie à, disons, une réunion. Lorsque tout le monde est assis, la lumière ne bouge pas. Et chacun des sept acteurs se met à raconter comment ils se sont retrouvés à travailler avec Stéphane Schoukroun , concepteur de la chose (et comédien professionnel, non alfortvillais), eux qui n’avaient rien à voir avec le monde du théâtre. Il y a un an, ils ont eu connaissance par petite annonce que quelqu’un cherchait à monter un spectacle autour des habitants et leur ville. Des gens sont venus, partis, certains sont restés. Pendant un an, ils se sont retrouvés tous les lundis, sans parfois savoir la finalité de la chose, à évoquer Alfortville et leur rapport à leur ville. La plupart n’allaient pas au théâtre, Babeth, Alfortvillaise de longue date, se souvient être venue au Théâtre Studio il y a quinze ans et s’y être fermement ennuyée. Hughes était étudiant depuis un an à Alfortville et a vu en face de son studio, par la fenêtre, l’écriteau « Théâtre Studio » qui l’a intrigué. Enfin bref, voilà, un spectacle est né de ces réunions, un spectacle qui n’en est peut être pas vraiment un nous avertit- on, et la représentation va commencer. Evidemment, nous sommes déjà entrés de plein pieds dans la pièce et peut être que ces propos ne sont pas les leurs, peut-être sont-ils la synthèse des dizaines de témoignages recueillis durant cette année, peut-être… Ca commence maintenant pour de vrai, donc « pour de faux ». La lumière est tamisée. Nordine parle de son arrivée à Alfortville, étudiant venu en France après une enfance heureuse à Alger dans la Casbah et le choc thermique qu’il a connu. Les anecdotes se multiplient. Les acteurs ne jouent pas vraiment en tout cas ne donne pas l’impression d’être en représentation. Ils sont maladroits, buttent sur les mots… mais peut être ce volontaire tant petit à petit, chacun des sept comédiens si fragile au début impose sa présence, sa voix, raconte une histoire qui va en contradiction avec une autre racontée plus tôt, preuve que ces corps sont l’expression d’une multitude voix, et que ces alfortvillais sont des comédiens. Il y a des pauses historiques, comme ce moment où on lit la demande des conseillers généraux du quartier d’Alfortville, en 1885, de devenir une commune indépendante de Maisons-Alfort, dont elle était à l’origine un quartier prolétaire. L’anecdotique devient historique, le théâtre documentaire. Cette approche pointilliste de la ville finit petit à petit par transformer la pièce en une rêverie sur son rapport à sa ville et au monde, puisqu’on parle de beaucoup d’autres endroits qu’Alfortville (Paris qu’il faut quitter la mort dans l’âme parce qu’il faut s’agrandir, le Maghreb, les communautés portugaises, arméniennes, maliennes intégrées à la ville). Les problèmes sociaux prennent une part importante. Que faire quand une barre d’immeuble doit être détruite pour désenclaver un quartier et qu’on a passé quarante de sa vie là bas ? Comment vivre dans la même ville mais ailleurs ? La pièce se veut réflexive et le travail qui a présidé à sa création est sans cesse remis en question. Un des personnages essaie à un moment de composer un texte qu’il lit à haute voix pour tenter une approche plus poétique de la cité, un autre lui répond qu’il est là pour être prosaïque et parler de la ville, pas pour faire du théâtre. Un autre se plaint que le ton est trop positif et que tout ceci manque de nerf et de critique. Mon rêve d’Alfortville a évidemment un regard bienveillant sur la ville, mais pas niaiseux. La multiplication des points de vue, la richesse de l’approche aussi bien sociologique, théâtrale, urbanistique, historique, documentaire… donne un éclairage subtil de la réalité d’une ville, complexe dans son histoire et dans sa géographie, dans son rapport à l’Ailleurs.

vendredi 12 octobre 2012

Gebo et l'ombre (Manoel de Oliveira)



L'ombre de l'Oncle Vania plane sur le film...

Un bateau genre cargo est à quai. L'éclairage est tamisé, les tons mordorés. Un homme regarde le bateau puis disparait. Les crédits du génériques s'inscrivent alors sur l'écran. C'est le "Money Shot" du film, le plan le plus spectaculaire, celui qui va donner au film sa tonalité esthétique et décrire un horizon impossible à dépasser, celui du port, dont on ne part pas. L'appel du grand large sera pour un autre jour, pour l'instant, c'est la nuit qui tombe.
Pour faire entrer le monde, il suffit à Manoel de Oliveira d'une maison, mieux, d'une pièce - la cuisine, voir de moins de choses encore, une simple table autour de laquelle toutes les scènes vont se dérouler.  Le monde est un théâtre et rarement on aura eu l'illustration de cette sentence devant ce film, à la fois pauvre formellement et pourtant d'une densité à nulle autre pareil. Tout le monde est las. Gebo compte ses pièces en évitant de penser à la chute de sa famille, du monde. Sa femme est interprétée de façon outrancière et assez effrayante par Claudia Cardinale, la beauté fânée, la laideur presque exacerbée. Le fils rebelle, disparu, qu'on pense mort ou malade, réapparait, mais dont la prose révolutionnaire semble poseuse et le dernier geste, un vol, criminel. Le film est désespéré, tragique... et pourtant... sa sérennité, sa simplicité font que Gebo et l'ombre n'apparaît jamais misanthrope. Seulement d'une grande lucidité.